Les entreprises à impact : révolution économique ou adaptation cosmétique ?

L'émergence des entreprises à impact en France soulève une question fondamentale : assistons-nous à une transformation profonde de notre modèle économique ou à un simple ajustement de façade ?

Selon le dernier mapping de France Digitale et Bpifrance (2023), la France compte désormais 1 142 startups à impact, valorisées à 27,5 milliards d’euros. Une progression spectaculaire de 57% en un an, qui témoigne d’une dynamique sans précédent. Cependant, ces chiffres, bien qu’impressionnants, ne représentent qu’une fraction des 3,8 millions d’entreprises françaises. À titre de comparaison, la capitalisation boursière du seul CAC 40 s’élevait à 2 600 milliards d’euros fin 2022.

C’est quoi, une entreprise à impact ?

Une entreprise à impact se définit comme une organisation qui place la création de valeur sociétale et environnementale au cœur de son modèle d’affaires, au même titre que la performance financière. Contrairement aux approches traditionnelles de responsabilité sociale des entreprises (RSE), souvent périphériques à l’activité principale, ces entreprises intègrent leur mission d’impact dans leur ADN opérationnel et stratégique. Elles cherchent à résoudre des problématiques sociales ou environnementales tout en générant des revenus, défiant ainsi la dichotomie classique entre but lucratif et non lucratif.

Ce modèle hybride soulève des questions fondamentales sur la nature même de l’entreprise dans notre système économique : peut-on concilier durablement la recherche de profit et la poursuite d’un impact positif ? La réponse à cette question pourrait bien redéfinir les contours du capitalisme au 21ème siècle. Cependant, en l’absence de définition juridique stricte, la frontière entre une véritable entreprise à impact et une simple opération de « impact washing » reste parfois floue, appelant à une vigilance accrue des régulateurs et des consommateurs.

La performance économique : le nerf de la guerre

La rentabilité de ces entreprises reste l’enjeu central. Prenons l’exemple d’Ynsect, fleuron français de la production d’insectes pour l’alimentation animale. Malgré une levée de fonds record de 224 millions d’euros en 2020, l’entreprise n’a pas encore atteint l’équilibre financier. Son chiffre d’affaires, estimé à 10 millions d’euros en 2022, illustre le défi colossal de concilier impact positif et viabilité économique à grande échelle.

Ce mouvement n’est pas sans rappeler l’émergence de l’économie sociale et solidaire dans les années 1970. Cependant, là où l’ESS restait en marge du système capitaliste, les entreprises à impact cherchent à le transformer de l’intérieur. Cette évolution fait écho aux travaux de l’économiste Michael Porter sur la création de valeur partagée, mais aussi à ceux de Joseph Stiglitz sur la nécessité de repenser nos indicateurs de richesse au-delà du seul PIB.

Implications macroéconomiques : un potentiel disruptif

L’essor des entreprises à impact pourrait avoir des répercussions majeures sur l’économie française. En termes d’emploi, l’Institut de l’Économie Positive estime que l’économie positive pourrait créer jusqu’à 1 million d’emplois d’ici 2030. Quant à la compétitivité, la France pourrait se positionner comme leader européen dans ce domaine, à condition que ces entreprises parviennent à s’imposer sur les marchés internationaux. Cependant, cela soulève la question de l’adaptation de nos outils de politique économique : comment la Banque de France et Bercy doivent-ils intégrer ces nouveaux modèles dans leurs prévisions et leurs décisions ?

La dimension internationale : une course mondiale

À l’échelle internationale, la France n’est pas seule dans cette course. Les États-Unis, avec leurs « Benefit Corporations », affichent déjà des résultats probants. Patagonia, entreprise emblématique de ce mouvement, a réalisé un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars en 2021. Mieux encore, son fondateur Yvon Chouinard a récemment transféré la propriété de l’entreprise à un trust dédié à la lutte contre le changement climatique, redéfinissant ainsi les contours de la propriété d’entreprise.

L’équation complexe de l’impact

Le risque d' »impact washing » est réel, comme l’a montré le scandale DWS en Allemagne. En août 2022, le domicile du PDG de DWS a été perquisitionné dans le cadre d’une enquête sur des allégations de greenwashing, conduisant à sa démission. Cet épisode souligne l’urgence de développer des métriques fiables pour mesurer l’impact réel de ces entreprises.

De plus, ces entreprises peuvent-elles vraiment croître sans compromettre leur mission ? La théorie économique classique, notamment les travaux de Milton Friedman, suggère qu’une entreprise ne peut poursuivre efficacement qu’un seul objectif : la maximisation du profit. Les entreprises à impact défient ce principe, mais à quel coût pour leur efficacité économique ?

Le développement des entreprises à impact pose la question du rôle de l’État. La loi PACTE de 2019, qui a introduit le statut d’entreprise à mission, est un premier pas. Mais faut-il aller plus loin ? Le rapport Rocher de 2021 préconise la création d’un crédit d’impôt « transition sociale et écologique » pour les entreprises à mission. Une telle mesure pourrait-elle accélérer la transition sans créer de distorsions de concurrence ?

Perspectives d’avenir : trois scénarios possibles

L’intégration : les pratiques des entreprises à impact deviennent la norme, transformant l’ensemble de l’économie. C’est le scénario le plus optimiste, mais aussi le plus exigeant en termes de transformation économique.

La segmentation : elles restent un secteur distinct mais significatif, coexistant avec l’économie traditionnelle. Ce scénario, plus probable à moyen terme, pose la question de la cohabitation entre différents modèles économiques.

La marginalisation : elles s’avèrent non viables à long terme et disparaissent progressivement, rejoignant d’autres expérimentations économiques dans les livres d’histoire.

L’issue dépendra en grande partie de leur capacité à résoudre l’équation complexe entre impact, rentabilité et croissance, mais aussi de l’évolution du cadre réglementaire et fiscal.


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