A Byblos, Neda Farah fait couler le plus vieux vin du monde

Au Liban, il n’y a pas que l’eau, le lait et le miel qui ruissellent des montagnes jusqu’aux rivages gorgés de Méditerranée. Dans le pays du Cèdre, que Lamartine aimait à présenter comme la Perle du Levant, est né le vin, il y a 7 000 ans. Neda Farah, une entrepreneuse de l’évènementiel passionnée de France, de Liban et de vin, organisait la 9è édition de son festival « Byblos en blanc et en rosé ». Reportage et dégustations dans le pays où Bacchus et Noé se seraient rencontrés.

« Soyez les bienvenus au festival Byblos en blanc et en rosé ! » déclare officiellement Neda Farah sur le podium qui domine le vieux port phénicien d’où partaient, jadis, les barques et les bateaux remplis d’amphores, de tonneaux et de victuailles, à destination de la Palestine, de l’Afrique, et jusqu’aux pourtours de l’Europe. Cette soirée-là, ce 27 juin, ils sont plusieurs milliers à fouler la digue du vieux port, transformée en cave géante à ciel ouvert. Byblos est l’endroit idéal où il faut être en cette fin de juin. Son port est un véritable petit bijou architectural et patrimonial, qui sent bon l’histoire de notre civilisation. Avec ses vieilles pierres dorées chargées d’aventures antiques et de sable, sa petite tour de guet, sa citadelle encore dressée debout, qui domine… on se croirait dans un décor de cinéma hollywoodien, où se rejoue le célèbre Ben-Hur.

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La diaspora de retour au pays

Les Libanais de la diaspora, cet été, vont être moins nombreux que d’habitude à venir fouler leur vieux pays phénicien. Avant d’atterrir, et après avoir survolé Chypre, ils ont aperçu, au loin, les différentes montagnes de leur pays de rêve. Un véritable Jardin d’Eden qui, hélas, a vécu les affres des guerres de 1975 à 1990 et des crises économiques de 2019-2020. Au-dessus de la Méditerranée, ils aperçoivent, soudain, le mont Liban et le mont Hermon, qui flottent au-dessus des nuages. Ah, la diaspora, qui déverse chaque année entre 5 et 7 milliards de dollars dans l’économie. Une manne pour toutes les familles et le pays.

Selon les chiffres qui circulent, ils vont être, cette année, plus ou moins un million à rentrer le temps des vacances. Certains vont se rendre à Byblos, l’incontournable, la belle. Au vieux port, en plus de la soixantaine d’exposants qui ont posé leurs comptoirs et leurs stands éphémères le temps du festival, la star qui transforme le vin en festival, d’année en année, c’est elle : Neda Farah.

« Le festival se termine samedi. Vous êtes les bienvenus tous les jours… » Telle une petite fée, elle s’échappe, va et vient. Elle virevolte en multipliant les « bienvenus », les embrassades et les salutations, au moment où la musique fait son entrée sur scène. L’ambiance est festive, liquide, pétillante. La convivialité du célèbre « Vivre Ensemble » libanais est au rendez-vous de cette première et une nuit, alors que le soleil commence à tirer sa révérence, au loin. D’autres vont suivre…

F comme Festival, V comme Vin

« Oui, vous pouvez l’écrire, je suis passionnée par tout ce que je fais. Par mon pays, par la France où je me suis rendue des dizaines de fois et où j’ai trouvé mon inspiration pour monter ce festival. Je suis passionnée par l’entrepreneuriat, par mes activités dans l’évènementiel, et par le vin. Vous savez, dans ces temps qui sont difficiles, si tous s’asseyaient autour d’une bonne table, d’une table de fête, où la gastronomie et le bon vin seraient honorés, le monde irait mieux, beaucoup mieux », finit par dire Neda, avant de s’échapper de nouveau pour vérifier que tous les vignerons soient bien installés. Remontons le fil de son histoire…

Il y a une vingtaine d’années, elle a lancé sa société, EVENTIONS, (Event et Inventions). « A la base, cela peut paraître étrange, mais je suis une pharmacienne. Je ne me destinais pas à l’évènementiel et au vin. Pendant mon enfance, à la maison, nous parlions beaucoup le français… Francophone, je suis devenue francophile. » En roulant les r, à la libanaise, et alors que le temps d’un tête-à-tête est, enfin, venu, Neda Farah, raconte son histoire, ses passions, sa vie.

Dans les années 70, alors qu’elle n’a pas encore 20 ans, elle participe à un évènement en Grèce qui va fortement la marquer : celle d’un festival du vin. Elle en rêve. Puis, elle le réalise. En 2002, effectivement, elle lance son premier festival dédié aux vins libanais, qui porte le joli nom de Vinifest.

« Au départ, j’ai pu réunir dix producteurs de vin : Musar, Ksara, Saint-Thomas, etc. » Neda continue à raconter. Son festival est vite une réussite qui grandit d’année en année. Mais, en 2005, après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, elle doit tout arrêter brusquement. 2 ans plus tard, elle le relance avec un œnologue venu de… France. Elle retrouve, alors, l’excellence des millésimes libanais.

L’Egypte, la France et le Liban

Neda a un point fort : elle sait s’entourer des meilleurs. Et, elle puise son inspiration dans les sources du pays redevenu le premier exportateur de vin au monde. « Oui, cette année, la France est de nouveau sur la première marche du podium des exportateurs, même si elle a dû et doit, encore, réduire sa production. » Remontons, de nouveau, le fil de son histoire…

Libanaise de la Montagne, elle est née en Egypte, à Alexandrie. Il faut se rendre dans cette ville du Grand Alexandre, du Conquérant, pour comprendre d’où vient sa pétillance : un mélange d’eau et de vent méditerranéen, qui lui donne son enthousiasme, sa fulgurance, son souffle. Dans un pays en mode révolution, qui change de régime, la famille vit au rythme des années Nasser. Alors qu’ils se trouvent en vacances au Liban, ses parents sont avertis qu’à leur retour ils risquent la prison. Toute la famille s’installe, définitivement, à Beyrouth. L’enfance de Neda continue au pays du Cèdre et dans les voyages.

Elle apprend le piano et se passionne pour les festivals de musique classique. Cette passion va l’emmener à découvrir le monde du vin. Mais avant tout, cette francophone-francophile marche sur les pas de son père et poursuit ses études en pharmacie.

Sa déclaration d’amour

« J’ai visité Paris 30, 40, 50 fois, je ne sais plus. J’aime, aussi, Versailles. J’aime l’histoire de France. Avec mon mari, que j’ai connu à l’université, et nos deux filles, nous sommes vraiment amoureux de la France. Tout le monde aime la France chez nous. »

L’amoureuse de France se rend, également, souvent à Bordeaux, et c’est là où elle découvre un peu plus le monde du vin. Serait-elle plus Bordeaux que Bourgogne ? « Non, le vin que je préfère est le vin… libanais. Celui qui vient de la Bekaa. » Sa déclaration d’amour continue. Elle est plurielle et se drape des couleurs du Liban et de la France. Il ne lui reste plus, ensuite, qu’à lancer sa société et à organiser ses propres festivals. Ce qu’elle fait dans les années 2000.

En 2006, elle crée EVENTIONS, qui fourmille d’activités évènementielles. Elle organise, aussi, Le Dîner du Sommelier. « Ces soirées sont très raffinées. Elles disent quelque chose du Liban, de notre histoire, de notre patrimoine. Les plats de nos chefs sont associés aux vins du Liban. Notre sommelier nous raconte alors l’histoire des vins et nous fait rentrer dans leurs univers. C’est le mariage de la gastronomie et des vins libanais. »

Sa déclaration d’amour pour les vins libanais n’en finit pas avec son… Vinitour. Comme son nom l’indique, là, il s’agit de visiter des vignobles. Au Liban, ils sont plus d’une quarantaine.

L’INVV et l’UVL deux institutions phares

L’Union vinicole du Liban a été fondée en 1997. Elle assure le développement de la filière viticole en mettant l’accent sur la communication, les exportations, et sur les relations avec de nouveaux partenaires. C’est la première institution phare du Liban.

Depuis, le 19 décembre 2012, elle est accompagnée de l’Institut National de la Vigne et du Vin. « Il ouvrait officiellement ses portes en mai 2013 », précise Neda. A l’époque, il s’agissait de favoriser et d’organiser un peu plus la filière. Aujourd’hui, l’institut travaille sur le terroir, le développement et le marketing du vin à destination du marché intérieur et de l’international.

Le vignoble libanais c’est quoi ?

Quels en sont les chiffres, les hommes et les terroirs clés ? « La vallée de la Bekaa est incontournable », répond la fée de l’évènementiel. Le vignoble libanais, s’il est petit par sa taille, est grand par ses noms de domaine. Il représente chaque année à peu près 10 millions de bouteilles. Comparées aux 900 millions de bouteilles produites dans le Bordelais, le Liban est loin derrière. Mais, il n’a pas à rougir, car comme le répète Neda : « Au Liban, la qualité est au rendez-vous. Nos vins sont souvent récompensés à l’international. » Il faut ajouter qu’il fait vivre plus de 5 000 familles, ce qui n’est pas négligeable.  

Retour à Byblos

Le festival bat son plein dans le vieux port. Les générations d’amateurs de vin se suivent et ne se ressemblent pas. Ils déambulent tout le long des berges, un petit verre à la main. Plus la nuit avance, dans un ciel aux mille et une étoiles, plus la nouvelle génération, les jeunes adultes, prend ses marques. L’ambiance festive est devenue plus que joyeuse. Tout le monde se salue, comme lors d’une grande cousinade. Les rencontres et les retrouvailles se multiplient au rythme de la musique et des verres qui se vident et se remplissent.

Des « kessaks » et des « sartens » se diffusent de comptoir en comptoir. Américains, Français, Espagnols, Allemands, Australiens, Suisses, etc., toute la diaspora est là. C’est nuit de fête à Byblos, bercé par les vagues qui viennent s’échouer, silencieusement, sur le rivage. Les verres de dégustation se remplissent de nouveau. Les blanc, rosé et rouge sont les rois.

Au loin, très au loin, de l’autre côté, plein est, en direction de la Bekaa, Bacchus et Noé se sont donné rendez-vous. Ils dégustent ensemble, comme deux vieux copains, le regard tourné vers Byblos, le plus vieux vin du monde : celui de Dieu.

De notre envoyé spécial Antoine Bordier
Auteur de Arthur, le petit prince du Liban


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