Kamala Harris, une Américaine à Paris

Qui est vraiment Kamala Harris, première femme à accéder à la vice-présidence des Etats-Unis ?

Naufrage de l’âge en direct 

Le débat télévisé Biden-Trump sur CNN qui vient d’avoir lieu, improprement qualifié de “présidentiel », puisqu’aucun des deux protagonistes n’avait encore été officiellement adoubé par la Convention de son parti respectif, a tourné au cauchemar pour le Président en exercice qui l’avait pourtant demandé. Telle est d’ailleurs bien la question du choix du champion appelé à guerroyer qui se pose, en particulier dans le camp démocrate, après la calamiteuse prestation du Président en exercice – devant plus de 70 millions de téléspectateurs américains et une trentaine d’autres millions sur internet pour les seuls États-Unis – qui a mis une fois de plus en évidence les faiblesses physiques et même sans doute mentales de ce dernier, dues aux ravages de l’âge.

Les noms de nouveaux présidentiables démocrates circulent déjà sur une short list dressée par les médias, parmi lesquels ceux de la Vice-Présidente, de plusieurs Gouverneurs de Californie ou encore du Michigan. Dès avant le désastreux débat, une rumeur avait d’ailleurs déjà circulé, selon laquelle la Convention démocrate pourrait être amenée à prendre une drastique décision, dans la perspective de la consultation du mois de novembre, en choisissant finalement un autre candidat que Joe Biden.

L’Inde, la Jamaïque et le rêve américain

Kamala Harris est la fille d’un économiste d’origine jamaïcaine de l’Université de Stanford et d’une chercheuse en oncologie indienne, qui furent par ailleurs des activistes au sein du mouvement pour les droits civiques durant leurs études à Berkeley. Kamala Harris a donc de qui tenir sa forte inclination pour la justice sociale. Elle a toujours voulu changer la société et défendre la « vérité », conformément au titre de l’un de ses ouvrages (The Truths We Hold : An American Journey).

Ell a développé cette passion pour la justice, à la suite de ses études en sciences politiques et en droit. Entre 2011 et 2017, elle fut une procureure générale de Californie, fonction qui aux Etats-Unis requiert naturellement des compétences appropriées mais résulte aussi d’une élection. En 2017, elle a prêté serment (NB: devant le Vice-Président Biden) en tant que Sénatrice des Etats-Unis, et est apparue comme l’une des opposantes démocrates les plus déterminées au Président Trump et à son administration.

Histoire de raison, d’amour et de rêve

Kamala Harris n’a rien de la riche héritière du film Un Américain à Paris (1951) de Vincente Minnelli, sur une musique de Gershwin, avec l’inoubliable Gene Kelly et Leslie Caron. L’héritière n’est finalement pas le personnage central par rapport au happy end entre ces dernières stars.

Il est finalement tant mieux pour elle qu’elle ne puisse être assimilée à une personne incarnant des amours impossibles. La question qui va se poser désormais pour elle aura trait à sa relation personnelle avec l’Amérique et son peuple. Une élection présidentielle est en effet une double histoire, la sienne propre et celle de ceux dont elle est susceptible de solliciter les suffrages. Ces deux parcours se rejoignent dans un projet, qui peut être aussi un rêve et ne relève pas uniquement de la rationalité. Pour cette raison là, John Fitzerald Kennedy, Ronald Reagan même et Barack Obama auront marqué l’histoire contemporaine et la mémoire collective des États-Unis, plus même que Harry Truman, malgré la bombe atomique, Lyndon Johnson, malgré le paroxysme de l’engagement au Vietnam ou encore Georges Bush Jr, en dépit du 11 septembre, de l’Afghanistan et l’Irak.

Compétences et méthode de travail

Kamala Harris s’est consacrée aux sciences humaines, mais sa méthode de travail est héritée sa mère, chercheuse en oncologie, qui était une scientifique de haut niveau. Son obsession fut – et sans doute demeure – la recherche de l’innovation, dont est susceptible de bénéficier la sphère publique et politique. Dans cette perspective, la bonne démarche, selon elle, consiste à formuler tout d’abord des hypothèses, à approfondir la recherche et surtout à réaliser des tests permettant de vérifier, par l’expérimentation, des schémas théorique et préétablis. Il doit en résulter un plan d’action – toujours orienté vers le monde des réalités – car ill n’est pas question en politique de se limiter à la rhétorique est de ne pas proposer des solutions.

C’est la raison pour laquelle son slogan favori fut toujours « d’aller sur le terrain » (Go to the scene). C’est ce qu’elle fit tout au long de sa carrière, y compris judiciaire, en constatant des ravages de la pollution dans son État de Californie, en étant aux côtés du contingent en Irak ou encore en visitant des camps de réfugiés syriens en Jordanie. Enfin, selon la vice-Présidente, le « capital public » ne peut être conçu en fonction d’intérêts qu’il pourrait rapporter, mais il doit être entièrement dépensé au bénéfice des populations.

Le test de la popularité

Cette approche approche générale des problèmes lui a-t-elle permis de surmonter la « fatalité protocolaire » qui frappe généralement les Vice-présidents des Etats-Unis, quel que soit leur dynamisme, en en faisant des personnalités par définition effacées ? Thomas Jefferson, troisième Président des Etats-Unis dans les toutes premières années dus XIXe siècle, après avoir assumé la Vice-présidence, fut une exception; Il avait en effet déjà été l’auteur principal en 1776 de la fameuse Declaration of Independence.

Mais la liste est longue des Vice-présidents oubliés de l’histoire ou dont la marque fut postérieure ou extérieure à la fonction considérée: qui se souvient de Spiro Agnew élu avec Nixon en 1968 sinon des conditions de son départ pour faits d’évasion fiscale et de corruption ? Qui a le souvenir de Walter Mondale – qui incarna auprès du Sudiste J. Carter le nord industriel, progressiste et industrialisé des Grands Lacs -, pourtant premier Vice-Président « moderne » en participant à l’élaboration de la Politique étrangère et en obtenant de manière plus que symbolique un bureau à la Maison Blanche, mais qui échoua rudement dans la course à la présidence contre Ronald Reagan en 1984 avec pour la première fois, événement cependant notable, une colistière à ses côtés ?

Même George Bush Sr dont le cursus ne lasse pas de nous impressionner (cf. Ambassadeur à l’ONU en 1971, chef de la Représentation américaine en Chine populaire de 1974 à 1975, directeur de la CIA en 1976), qui fut pourtant le Vice-président de Ronald Reagan pendant huit années n’a laissé de souvenirs marquants que de sa présidence, en particulier de la guerre du Golfe en 1991 après l’invasion du Koweït. Plus près de nous encore, Mike Pence ne s’est fait véritablement connaître qu’en raison des circonstances de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, en se dissociant de Donald Trump.

De plus, la perception par l’opinion publique américaine, de l’action de K. Harris est ambiguë. Son passé de Procureur de Californie lui a forgé une réputation de dureté, notamment dans la répression à l’égard de la criminalité; elle finit d’ailleurs par devenir la cible du mouvement  Black Lives Matter. Mais elle s’inscrivit aussi dans la tradition démocrate classique de progressisme à l’américaine. Elle souhaita davantage de contrôle des armes à feu, sujet tabou s’il en est; elle s’engagea en faveur de la prise de conscience des changements climatiques; elle s’opposa à l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe et défendit le droit à l’avortement lors du débat à l ‘échelon national finalement tranché par la Cour Suprême qui renvoya la législation aux compétences des États fédérés. Paradoxalement, la visibilité que lui ont procurée toutes ces prises de position – qui l’on extirpée du relatif anonymat de la Vice-présidence – n’ont pas nécessairement joué en sa faveur, en termes de popularité.

Les responsabilités de l’Amérique et le monde

Selon un processus cyclique tout au long de leur histoire, Washington a oscillé entre l’isolationnisme et l’engagement dans le monde. Au cours des dernières années, Donald Trump a incarné la nostalgie d’une Amérique blanche, prospère, dominante et plutôt concentrée – sinon repliée – sur ses intérêts propres, Chine exceptée. Le Président Biden s’est aussi inscrit dans une évolution que Barack Obama a incarnée avec sa conception du « pivot de l’Asie » mais cette orientation fut teintée, sinon corrigée, d’une idéologie internationaliste traditionnelle chez les démocrates.

K. Harris peut être rapprochée, à certains égards, de Barack Obama (né à Hawaï et ayant vécu en Indonésie). Tous deux peuvent être dès lors qualifiés « d’alchimistes du monde nouveau ». Kamala, dans sa première jeunesse accompagnait d’ailleurs sa mère dans son laboratoire de recherches et elle maniait et nettoyait des burettes.

L’histoire de Kamala Harris est une belle histoire américaine. Est-elle encore si conforme que cela à l’un de ces beaux récits, tel qu’on les aime, que les États-Unis aiment mettre en scène ? Le reste du monde aimerait finalement le croire, dans une époque troublée et alors que les deux principaux protagonistes du débat politique dans le pays paraissent d’un autre âge et sont contestables à différents et bien des égards. Que l’on aime ou non la puissance dominante du monde occidental, celle-ci demeure encore incontournable dans le traitement des affaires du monde, c’est-à-dire aussi de nos propres intérêts. Mais nos besoins ont leurs limites et notre jugement peut être altéré en raisin de notre prisme:  “vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà”, selon les mots du philosophe.

Kamala Harris a projeté tout au long de sa carrière une image d’énergie, d’optimisme et d’attachement aux valeurs que nous aimons. Pour l’anecdote, Kamala Harris si elle est naturellement venue à Paris, notamment en pour la 4ème édition du Forum de Paris sur la Paix, a vécu à Montréal avec sa mère et elle y suivit une scolarité à l’école primaire française.

En raison de ses origines et d’une carrière longtemps californienne, elle est perçue comme étant par définition tournée vers la région Asie-Pacifique. Elle incarne à cet égard les États-Unis tels qu’ils sont devenus et même tels que l’on aimerait qu’ils deviennent ou redeviennent en demeurant attachés aussi, à la pointe de la modernité, à de belles traditions qui ont alimenté la séduction exercée par l’Amérique. « Paris, c’est comme l’amour, l’art et la foi », déclare un acteur du film An American in Paris. Il serait tellement bienvenu que Kamala Harris nous le rappelle, outre l’ambition de l’excellence.

Elle collectionna les premiers prix: après avoir été la première femme Procureur générale de Californie (élue en 2010 et réélue en 2014), Sénatrice des États-Unis (NB: elle prêta alors serment devant le Vice-président Joe Biden), elle devint la première femme Vice-Présidente, et par là même la première afro-américaine et afro-asiatique.

La voie de la présidence n’a-t-elle pas été tracée pour elle depuis longtemps ? Barack Obama fut en quelque sorte « pris en étau » entre Georges Bush Jr et Donald Trump; Kamala Harris, toutes proportions gardées, se trouve dans une situation comparable de pression conjuguée d’un héritage de la politique américaine traditionnelle – incarnée par un Joe Biden qui passa l’essentiel de sa carrière, pendant des dizaines d’années, dans l’univers confinée du Congrès – et les exigences, les pulsions et l’appel d’un vaste monde entièrement nouveau.

Patrick Pascal


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