Tribune. Nos démocraties n’en finissent pas de vaciller sous les coups de la radicalisation des discours et de la prolifération de la haine sur les réseaux sociaux. Ce phénomène, autrefois marginal, prend aujourd’hui une ampleur inquiétante. Les échanges en ligne n’ont jamais été aussi radicaux. Il y a quelques années, seuls moins de 3 % des messages étaient d’une nature extrême. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé, atteignant 6 %. Cette augmentation n’est pas sans conséquences. La visibilité de ces discours radicaux atteint un seuil critique, rendant le climat en ligne de plus en plus toxique et dissuasif pour une participation saine. La violence verbale empêche ainsi les citoyens non militants de participer au débat démocratique.
Réduction volontaire de la modération
La radicalisation des discours trouve ses racines dans deux facteurs principaux : une modération insuffisante et une radicalisation des comptes influents. La réduction volontaire de la modération par des plateformes comme Twitter, Facebook et YouTube, couplée à une radicalisation croissante de certains leaders d’opinion, exacerbe ce phénomène. Ces personnalités influentes, en quête de visibilité et d’engagement, n’hésitent pas à adopter des propos outranciers pour capter l’attention et mobiliser leurs bases.
La violence des discours ne vient pas principalement des citoyens ordinaires, mais des leaders d’opinion : influenceurs et responsables politiques. Par leur radicalité, ils entraînent avec eux des communautés militantes, créant un climat d’entre-soi hermétique aux opinions divergentes. La quête de visibilité relègue au second plan la qualité du débat et la diversité des opinions.
La radicalité exclut toute discussion
La radicalisation en ligne menace directement la démocratie en créant un environnement anxiogène qui éloigne les citoyens du débat public. Les conditions d’un débat serein ne sont plus réunies, poussant les utilisateurs à se retirer pour éviter la confrontation. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les Français aspirent à une plus grande participation démocratique. Cette aspiration se heurte à une réalité où la radicalité exclut toute discussion constructive.
Tous les réseaux sociaux sont touchés par la radicalisation, mais certains le sont plus que d’autres. Twitter est en tête, suivi de près par TikTok, qui devient un espace d’affrontement entre communautés. Facebook génère localement de la radicalisation, notamment à travers le cyber-harcèlement dans les écoles. Même LinkedIn n’est pas épargné par la montée de contenus émotionnels et revendicatifs.
Twitter, TikTok…
La radicalisation en ligne a des répercussions concrètes. Les crises politiques et sociales actuelles trouvent souvent leur origine dans les réseaux sociaux. La mobilisation, le recrutement, la désinformation : tout passe par ces plateformes. La violence verbale se traduit par une conflictualité accrue dans la société.
Les plateformes sociales jouent un rôle crucial dans la propagation de la haine. Leur manque de modération est flagrant. Facebook, par exemple, devrait avoir des centaines de milliers de modérateurs, mais n’en compte que 40 000 tout au plus. Cette insuffisance permet la prolifération des discours haineux. Les leaders d’opinion et les responsables politiques ont également une responsabilité immense. Ils devraient s’auto-modérer, au lieu de profiter de l’absence de régulation pour tenir des propos extrêmes.
TikTok, l’outil de la Chine pour influencer les démocraties
Les réseaux sociaux sont devenus des outils de déstabilisation pour certains États. TikTok, avec sa faible modération, est utilisé par des puissances étrangères comme la Chine pour influencer les démocraties de l’intérieur. Ce réseau social, en particulier, est très prisé dans le cadre de conflits comme la guerre en Ukraine. La désinformation et la propagande trouvent sur ces plateformes un terrain fertile.
L’arrivée de l’intelligence artificielle générative risque d’amplifier ces phénomènes. Ces technologies, capables de créer des contenus artificiels indiscernables de la réalité, pourraient plonger nos sociétés dans un chaos démocratique où il devient impossible de distinguer le vrai du faux. Les leaders d’opinion et leurs militants utilisent déjà ces outils pour accroître leur influence, accentuant la radicalité et la violence des discours.
Face à cette situation, la régulation des plateformes est impérative. La Commission européenne a mis en place des règlements comme le DSA et le DMA. Mais l’absence de réseaux sociaux européens de premier plan est un problème majeur pour la souveraineté de l’UE. Les citoyens européens dépendent de plateformes américaines ou chinoises pour leurs échanges et débats, ce qui pose des risques en matière de liberté d’expression et de sécurité. L’Europe doit investir massivement dans la création de ses propres réseaux sociaux pour garantir un espace d’échange libre et démocratique, à l’abri des influences extérieures et des radicalisations extrêmes.