Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’upcycling ?
Simon Peyronnaud : L’histoire de Losanje, c’est l’histoire de deux constats. Le premier, implacable, que nous faisons avec Mathieu en 2020, est que l’industrie textile est excessivement polluante et émettrice de Co2 (la 2ème industrie la plus polluante au monde), et que les solutions qui existent actuellement pour répondre à ces enjeux sont insuffisantes. On produit trop (15 à 20% des vêtements produits ne seront jamais portés), et de façon trop polluante ; et si le « bio » ne change rien en termes d’émissions de Co2, le recyclage textile souffre de beaucoup trop de contraintes techniques pour se généraliser.
Le second constat, c’est qu’il existe une solution « miracle » qui peut permettre de répondre simultanément aux deux problématiques majeures rencontrées par le secteur (la réduction drastique des émissions de CO2 et la revalorisation de l’existant – invendus, seconde main, défectueux…-) : l’upcycling. L’upcycling, c’est reconstituer un nouveau vêtement/accessoire en découpant et ré-assemblant des produits existants. Il n’y aucune limite technique, si ce n’est la créativité.
Néanmoins, après quelques mois de développement, fin 2021, nous nous rendons compte que cette méthode est imparfaite, car exclusivement artisanale. Ne pouvant nous résoudre à laisser de côté ce que nous considérons comme la prochaine révolution du secteur, nous décidons de nous lancer un pari fou : industrialiser l’upcycling, en développant des outils robotisés spécifiques et dédiés à cette pratique. Ces outils viennent principalement automatiser la partie coupe en upcycling (i.e. désassembler le vêtement d’origine puis couper des morceaux à l’intérieur, en vue d’un ré-assemblage en un nouveau produit), car c’était la partie la plus chronophage et surtout qui induisait le plus de surcoût par rapport à une production traditionnelle.
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Comment êtes-vous financés ?
Mathieu Khoury : Notre premier tour de financement a été constitué d’un mix de prêts d’honneurs personnels et de « love money » de notre entourage, qui nous a permis de faire effet de levier avec un peu de dette bancaire, ainsi que d’avance remboursable / subvention de la BPI, de la Région BFC et de l’ADEME.
Ensuite, en 2023, pour marquer notre tournant industriel, nous avons levé 2.7M€ auprès de fonds d’investissement (UI Investissement et Centre Loire Expansion), de la BPI, de l’ADEME, de nos partenaires bancaires (Crédit Agricole et Caisse d’Épargne) et de la région BFC.
Combien avez-vous de collaborateurs ? Avez-vous prévu de recruter en 2024 ?
Mathieu Khoury : Nous sommes aujourd’hui une vingtaine à Losanje. Nous avons déjà recruté et continuerons à recruter en 2024, notamment à des postes de couturier.e.s, chef.fe d’atelier, chargé de communication, etc. C’est une des fiertés du projet Losanje : au-delà de la dimension écologique du projet, nous créons de l’emploi sur le territoire qui nous a vu grandir.
Qui sont vos principaux concurrents ? Et comment vous différenciez-vous de cette concurrence ?
Simon Peyronnaud : Nous sommes à ce jour la seule entreprise en Europe à développer des technologies industrielles pour l’upcycling. Néanmoins, nous pouvons identifier deux concurrences indirectes : les ateliers de production traditionnels qui proposeraient des prestations d’upcycling (mais sans disposer des outils adéquats) et les solutions de revalorisation qui diffèrent de l’upcycling (comme le recyclage, le downcycling, l’effilochage…).
Mathieu Khoury : Nous nous différencions forcément de cette concurrence, puisque nous apportons quelque chose d’unique : une capacité industrielle en upcycling.
Sur le volet de la production, nous ne considérons pas du tout les ateliers de production traditionnels comme des concurrents, mais comme des partenaires, avec lesquels nous travaillons en complémentarité. En effet, nous avons une maîtrise industrielle de la conception, et de la coupe en upcycling (i.e. désassembler le vêtement d’origine puis couper des morceaux à l’intérieur, en vue d’un ré-assemblage en un nouveau produit) ; mais sur la partie assemblage, nous travaillons en complémentarité avec les ateliers : soit nous leur sous-traitons une partie de nos projets, soit nous sommes un renfort dans leurs projets d’upcycling pour leurs clients.
Sur le volet des solutions de revalorisation, l’upcycling apporte quelque chose de différent à bien des égards. Déjà, l’upcycling permet théoriquement de revaloriser 100% des produits finis en entrée, peu importe leur composition ; à la différence du recyclage, qui laisse de côté toutes les compositions mélangées et a du mal avec les matières non-naturelles. Ensuite, l’upcycling permet, en bout de ligne, de créer un produit à très forte valeur ajoutée, un vêtement ou un accessoire par exemple, ce n’est pas le cas des autres solutions de revalorisation (pour lesquelles, au mieux, on récupère du fil, quand le vêtement n’est pas simplement détruit). Enfin, dans la logique de « gain de valeur », l’upcycling permet de véhiculer un storytelling très fort, et de construire un business model profitable pour les acteurs qui se lancent dans cette méthode de production. C’est le cas de nombre de nos clients, issus de secteurs très divers : mode, luxe, industrie, évènementiels…
Quelle est votre stratégie de développement ?
Simon Peyronnaud : Après avoir automatisé la coupe en upcycling, nous poursuivons son industrialisation, notamment à travers le développement de nouvelles lignes de découpe industrielle. Les prochaines étapes pour Losanje consistent en la création de la première usine d’upcycling au monde. Cette première usine pilote nous permettra d’affirmer notre position de leader européen de l’upcycling textile. Par la suite, nous souhaitons implanter ces usines au plus près des fabricants et des bassins de vie textile, en France et en Europe.
Combien avez-vous de clients ? Quelle est leur typologie ?
Mathieu Khoury : Nous avons plus d’une trentaine de clients, avec une typologie très diversifiée. Nous travaillons autant avec des industriels qu’avec des maisons de luxe, avec des marques historiquement établies et des marques de créateurs… L’upcycling est une méthode de revalorisation qui peut s’adresser à l’ensemble des secteurs achetant ou vendant du textile : à un transporteur pour revaloriser les textiles de ses flottes en pochettes d’ordinateur, à une maison de luxe pour revaloriser ses textiles publicitaires en cadeau d’entreprise, à une marque de mode pour revaloriser ses invendus en vêtements à recommercialiser en magasin, à une chaîne de grande distribution pour revaloriser ses vêtements de travail en cabas à vendre à ses clients venus faire leurs courses…
Simon Peyronnaud : … toujours dans une démarche vertueuse à tous les niveaux : je produis de façon ultra-reponsable, je redonne de la valeur à un existant qui n’en a plus, je raconte une histoire, et je crée un business model profitable avec ces produits.
Quels sont vos objectifs pour l’année 2024 ?
Mathieu Khoury : Sur cette année 2024 nous souhaitons doubler le chiffre d’affaires réalisé l’année dernière, accélérer sur le développement de notre première usine, et continuer de montrer à l’ensemble du secteur que l’upcycling est un choix écologique, stratégique et économique.
À quelles transformations majeures votre secteur doit-il s’attendre dans les prochaines années ?
Simon Peyronnaud : Le secteur a déjà connu plusieurs évolutions majeures ces dernières années : essor de la seconde main, réglementations AGEC et Européenne sur la gestion des invendus, arrivée prochaine du passeport numérique et du scoring environnemental… Nous sommes intimement convaincus que l’upcycling représente l’une des prochaines révolutions du secteur, permettant, d’une certaine manière, de concilier l’ensemble des évolutions majeures (de consommation, de réglementation et de production) qu’a connu le secteur ces dernières années.
Mathieu Khoury : En effet, côté conso’, l’upcycling permet de proposer à la vente des produits avec un impact écologique quasi-nul, un story-telling très puissant et un style affirmé. Question réglementation, l’upcycling permet de répondre facilement aux obligations de revalorisation de l’existant portées par les lois françaises et européennes. Naturellement, en créant des produits bas carbone, les marques pourront voir arriver sereinement les obligations de transparence amenées par le passeport numérique et le scoring environnemental. Enfin, côté production, grâce à Losanje, l’upcycling prend un nouveau tournant. Auparavant cantonnée à une production artisanale, l’ensemble du secteur peut aujourd’hui envisager des productions industrielles, au niveau des volumes certes, mais également au niveau des tarifs. Et ça, ça change tout, car en devenant attractif en termes de coût, l’upcycling apporte une solution conciliant performance économique et écologique.