Le successeur du Concorde ? Vraiment ?

Bombardier relance la vitesse dans le ciel civil, mais le Concorde reste hors de portée.

Afficher le sommaire Masquer le sommaire

L’événement est passé presque inaperçu. Le 8 décembre 2025, Patrick Dovigi, entrepreneur canadien, recevait le premier exemplaire du Bombardier Global 8000. C’est un avion civil, certifié, livré, opérationnel. Et c’est le plus rapide du monde.

Mach 0,95 : une performance relative

Depuis le retrait du Concorde en 2003, les records de vitesse avaient déserté le ciel civil. Le Global 8000 vient de refermer cette parenthèse de deux décennies. À Mach 0,95 – soit environ 1 158 km/h –, il détrône sans bavure tous les appareils en service. Le Gulfstream G800 ? Coincé à Mach 0,935. Le Cessna Citation X+ ? Idem. Une marge qui suffit à établir une nouvelle hiérarchie, celle des avions subsoniques.

Ce titre d’« avion civil le plus rapide » relève toutefois davantage du marketing que de la prouesse technique absolue. Le Global 8000 est l’avion civil subsonique le plus rapide – une distinction qui change tout. Entre Mach 0,95 et les Mach 2,04 du Concorde (environ 2 172 km/h), il y a l’abîme du mur du son.

Bombardier a d’ailleurs révisé à la hausse la vitesse maximale de son appareil : annoncée initialement à Mach 0,94 en mai 2022, elle a été portée à Mach 0,95 en octobre 2025, après optimisation finale des moteurs GE Passport lors de la phase de certification. Car oui, l’appareil de Bombardier reste en deçà du mur du son. Il ne prétend pas ressusciter la stridence des vols supersoniques commerciaux. Il s’inscrit dans une autre logique : celle de la performance maîtrisée, de la vitesse optimisée, dans un cadre certifié.

Une certification express mais prudente

La Federal Aviation Administration américaine n’a pas attendu 2026. Contrairement aux prévisions initiales, elle a tranché dès le 19 décembre 2025, soit onze jours seulement après la livraison du premier appareil. Un feu vert express qui valide la maturité technique de l’appareil et témoigne de l’efficacité des équipes de Bombardier.

Transports Canada avait ouvert le bal le 5 novembre dernier. La certification européenne de l’EASA reste en cours, constituant le dernier verrou important avant de pouvoir vendre massivement en Europe, au Moyen-Orient et en Chine – trois marchés stratégiques pour ce segment.

La machine est lancée. Et elle arrive avec un argument de vente inattendu : l’altitude cabine. En novembre 2025, Bombardier a annoncé un record industriel avec une pression cabine équivalente à 2 691 pieds d’altitude lorsque l’avion vole à 41 000 pieds. C’est la plus basse altitude cabine de tout avion d’affaires en production, inférieure au Global 7500 (2 900 pieds) et au Gulfstream G800.

Concrètement, les passagers ressentent l’équivalent d’être au sommet du Burj Khalifa à Dubaï (environ 800 mètres), contre 1 500 à 2 500 mètres pour la plupart des jets concurrents. Sur un vol ultra-long-courrier de 14 heures, respirer à Dubaï plutôt qu’à La Paz fait toute la différence : moins de fatigue, meilleure oxygénation, réduction du jet lag. Bombardier ne vend pas qu’un avion rapide, mais un avion sain.

Un précédent supersonique sans lendemain

Pourtant, le constructeur a flirté avec l’héritage du Concorde. En mai 2021, lors d’essais en vol aux États-Unis, un prototype du Global 7500 (le cinquième véhicule d’essai, FTV5) a brièvement dépassé Mach 1 en piqué – Mach 1,015 exactement. L’appareil était accompagné d’un F/A-18 Hornet de la NASA pour vérifier la mesure de vitesse. Une première pour un jet d’affaires alimenté par du carburant d’aviation durable (SAF).

Mai 2021, ciel américain : un bang marketing autant que sonique. Car ce record, obtenu en descente avec le soutien d’un chasseur de la NASA, n’a aucune traduction commerciale. En service, le Global 8000 reste sagement sous Mach 1. La communication a précédé le produit. Ce dépassement ponctuel n’a jamais eu vocation à devenir la norme. En croisière, le Global 8000 reste sagement sous la barre symbolique.

Un client emblématique, mais pas un symbole national

Patrick Dovigi n’est pas un « entrepreneur canadien » comme les autres. C’est un milliardaire (fortune estimée à 1,08 milliard USD), fondateur et PDG de GFL Environmental Inc. (Green For Life), géant canadien de la gestion des déchets valorisé à plusieurs milliards de dollars.

Son parcours ? Ancien gardien de but professionnel de hockey, drafté par les Edmonton Oilers en 1997, il a reconverti son expérience sportive en empire industriel. Dovigi incarne le profil type du client Global 8000 : fortune bâtie dans un secteur industriel peu glamour – la gestion des déchets –, reconversion spectaculaire d’un sportif de haut niveau, et appétence pour les symboles de réussite technologique.

Client fidèle de Bombardier depuis 15 ans, il remplace son Global 7500 actuel par le 8000, illustrant la stratégie de montée en gamme du constructeur. Son passage du 7500 au 8000 n’est pas un caprice : c’est un signal au marché. 78 millions de dollars. Le prix d’un immeuble de rapport à Paris, d’une flottille de supercars, ou d’un Global 8000. Pour ce tarif, Bombardier vend plus qu’un avion : un écosystème de services, une image de marque, et l’assurance d’être dans le club fermé de ceux qui peuvent relier Dubaï à Houston sans escale, à 8 000 milles nautiques (14 800 km) de rayon d’action. Le prix n’est pas un frein, c’est un filtre.

Une vraie course… sans Dassault pour l’instant

Ce qui distingue l’appareil, c’est sa double nature : la technologie poussée au maximum sans franchir les limites réglementaires, et une réalité industrielle solide. Contrairement aux projets supersoniques encore à l’état de maquettes, de rendus 3D ou de promesses, le Global 8000 vole, transporte, facture. C’est un produit, pas une hypothèse.

Mais le Global 8000 s’inscrit dans une bataille industrielle féroce. Le Gulfstream G800, son rival direct, a pris l’avantage calendaire : certifié par la FAA et l’EASA dès le 16 avril 2025, soit sept mois avant le Global 8000, il a livré son premier exemplaire le 27 août 2025, trois mois avant Bombardier. Sa vitesse maximale de Mach 0,935 est légèrement inférieure, mais son autonomie de 8 200 milles nautiques à Mach 0,85 dépasse celle du Global 8000. Gulfstream a frappé en premier. Bombardier riposte sur la vitesse.

Le troisième larron, le Dassault Falcon 10X, accumule les retards. En développement depuis 2018, ce concurrent français ne verra son premier vol que fin 2025 ou début 2026, avec des livraisons repoussées à fin 2027 – au lieu de fin 2025 initialement. Le retard est dû à des problèmes de certification du moteur Rolls-Royce Pearl 10X. Sa vitesse maximale prévue (Mach 0,925) et son autonomie record (13 890 km, soit 7 500 milles nautiques) ne compenseront peut-être pas le temps perdu. Dassault, englué dans les retards moteur, laisse le champ libre à ses concurrents nord-américains.

Le Global 8000 a choisi le timing parfait : assez tard pour capitaliser sur l’expérience du Global 7500 (dont il partage le fuselage et les ailes), assez tôt pour ne pas laisser Gulfstream seul sur le marché. La vitesse comme arme de différenciation.

Un marché qui gonfle, un carburant qui patine

Le Global 8000 ne débarque pas dans un marché atone. L’aviation d’affaires ultra-premium connaît une croissance soutenue. Le marché mondial des jets d’affaires était évalué à 34,9 milliards USD en 2024, avec une croissance prévue de 4,8 % par an entre 2025 et 2034. D’autres sources estiment le marché à 48,12 milliards USD avec un taux de croissance annuel composé de 3,49 % d’ici 2035.

Sur la période 2025-2035, les prévisions tablent sur 10 693 livraisons d’avions d’affaires pour une valeur totale de 273,50 milliards USD. Cette dynamique est portée par l’enrichissement de nouvelles fortunes (Asie, Moyen-Orient) et le besoin de mobilité rapide post-Covid. Le segment ultra-long-courrier (16-19 passagers), avec des prix entre 70 et 85 millions USD, représente le haut de gamme. Bombardier vise une part de ce gâteau de 273 milliards sur dix ans.

Le carnet de commandes de Bombardier témoigne de cette dynamique : 16,6 milliards USD au 30 septembre 2025, dopé notamment par une commande majeure de 50 avions + 70 options (potentiel 4 milliards USD) annoncée en juin 2025. L’objectif pour 2025 : livrer 150 appareils.

Bombardier vante l’utilisation de carburant d’aviation durable (SAF) lors de son vol supersonique de 2021. Le SAF, qui permet de réduire les émissions de CO₂ jusqu’à 80 % sur l’ensemble du cycle de vie par rapport au kérosène fossile, s’impose progressivement sous la pression réglementaire.

L’Union européenne impose un taux d’incorporation minimal de 2 % de SAF en 2025, qui passera à 5 % en 2030 puis 10 % et au-delà. Les jets d’affaires modernes, dont le Global 8000, sont conçus pour fonctionner avec des mélanges SAF-kérosène jusqu’à 50 %, voire 100 % à terme. Mais dans les faits, combien de Global 8000 voleront réellement au SAF en 2026 ? La technologie est prête, la production et le prix ne suivent pas. Le coût du SAF reste 2 à 4 fois supérieur au kérosène conventionnel, et la production mondiale reste largement insuffisante. Les compagnies aériennes commerciales (Air France-KLM, etc.) multiplient les contrats d’approvisionnement, mais l’aviation d’affaires accuse un retard dans l’adoption massive du SAF. Le marketing vert précède la réalité opérationnelle.

Le retour du supersonique : un défi pour plus tard

Le Global 8000 se présente comme « le plus rapide depuis le Concorde », mais cette couronne pourrait être provisoire. En janvier 2025, la start-up américaine Boom Supersonic a réalisé le premier vol supersonique civil depuis le Concorde avec son démonstrateur XB-1. Le projet commercial Overture vise une vitesse de Mach 1,7 (environ 2 100 km/h) pour 64 à 80 passagers, avec une commercialisation prévue en 2029-2030. Boom annonce 130 commandes et précommandes pour son appareil au prix catalogue d’environ 200 millions USD, qui fonctionnerait au SAF 100 %.

Mais l’obstacle principal reste la réglementation du « bang » sonique : les vols supersoniques au-dessus des terres restent interdits dans la quasi-totalité des pays. Si Overture tient ses promesses et que les régulateurs assouplissent les règles, le règne subsonique sera bref. D’ici 2030, Mach 0,95 pourrait ressembler à du passé. Sauf si la réglementation tue l’innovation dans l’œuf.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire