Atos, décryptage d’un désastre français

Comment Atos est-il passé d’emblème technologique à symbole du chaos industriel ? L’autopsie d’une descente aux enfers.

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C’était un fleuron. Il ne reste qu’un champ de ruines. En cette fin 2025, Atos n’est plus qu’un géant technologique français vidé de sa substance, réduit à gérer les séquelles d’une crise industrielle d’une rare intensité. L’entreprise a tout perdu : sa valeur, sa crédibilité, son avenir.

Le cours de Bourse donne encore le change — 52 euros ce 31 décembre — mais l’illusion ne résiste pas à l’arithmétique. Le 24 avril, Atos a procédé à un regroupement d’actions d’une brutalité rare : 1 pour 10 000. Traduction réelle : le titre ne vaut plus que 0,005 euro d’avant-crise. Une décote quasi totale.

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Un naufrage d’ingénierie interne

La chute ne vient pas d’un retournement conjoncturel. Elle vient de l’intérieur. Les chiffres le confirment : la marge opérationnelle est passée de 10,3 % en 2019 à moins de 4 % sur les deux derniers exercices. La machine a calé. Les plans de transformation se sont enchaînés sans jamais enrayer la spirale. Capgemini, dans le même secteur, a affiché 13,3 % de marge opérationnelle. Le contraste est accablant.

Atos a cru croître par la taille. Il a empilé les acquisitions — plus de 40 entre 2008 et 2022 — sans jamais réussir l’intégration. Ce qui aurait dû être une mécanique de précision s’est transformé en chaos bureaucratique. Les talents sont partis, les structures absorbées se sont diluées dans la complexité du groupe.

À cela s’est ajoutée la dette. Thierry Breton affirmait, lors de son départ en 2019, laisser une entreprise sans dette nette. Les comptes publiés peu après montraient déjà 1,7 milliard d’euros. En 2022, la dette brute atteignait 5 milliards. Aucun dirigeant n’a réussi à redresser la barre.

Scission avortée, dilution massive

Pour éviter l’implosion, Atos a choisi la fuite en avant stratégique. La scission entre Tech Foundations et Eviden, présentée comme la voie du salut, s’est soldée par un fiasco industriel et financier. Un milliard d’euros d’honoraires pour un résultat nul.

La rupture intervient à l’été 2024. L’échec des négociations avec Daniel Křetínský précède l’entrée en restructuration judiciaire. Les créanciers reprennent la main et convertissent trois milliards d’euros de dette en capital. Les actionnaires historiques sont effacés : dilution supérieure à 99,9 %. Ils ne restent que pour constater les dégâts.

Dans le même temps, l’État se désengage. L’offre de rachat des activités souveraines (BDS — Big Data & Security) capote en octobre, faute d’accord sur le prix. Atos conserve des actifs sensibles — supercalculateurs, cybersécurité — mais ne peut plus les financer. Piège parfait.

Seule la cession de Worldgrid à Alten, pour 270 millions d’euros, a permis d’entrer un peu de trésorerie. Un montant dérisoire face aux besoins d’un groupe exsangue.

Salle, l’homme de la dernière chance

Dans ce décor d’après-catastrophe, Philippe Salle entre en scène. D’abord président du conseil d’administration à l’automne 2024, il prend la direction opérationnelle en février 2025. Son plan « Genesis » tranche net : fin de la scission, retour à une structure unifiée. Objectif : « One Atos ».

Le patient, toutefois, est en soins intensifs. Les effectifs sont passés de 110 000 à 70 000 en un an. L’érosion ne vient pas seulement des départs volontaires ou des suppressions de postes : les clients, eux aussi, ont déserté. Les notations catastrophiques de S&P (plusieurs fois noté « D ») ont paralysé la signature de nouveaux contrats.

Salle dirige un groupe de 70 000 personnes en mode start-up : pas pour innover, mais pour survivre.

Des comptes trafiqués, la justice saisie

Sur le papier, l’effacement de la dette nettoie le bilan. Mais le passé judiciaire, lui, ne passe pas. L’affaire des « black contracts » — ces contrats à la rentabilité anticipée artificiellement grâce à la norme IFRS 15 — est aujourd’hui entre les mains des tribunaux.

Fait rare, la colère des actionnaires a pris forme organisée. L’association UPRA (Union pour la Réparation des Actionnaires) mène une action collective contre les commissaires aux comptes Deloitte et Grant Thornton. En ligne de mire : la validation de bilans biaisés, le recours massif à l’affacturage inversé, et la non-dépréciation du « goodwill » sur les acquisitions américaines les plus coûteuses.

Atos n’est pas mort. Mais l’entreprise n’est plus qu’un corps blessé en convalescence prolongée. Ce n’est plus sa technologie qui dicte son avenir, mais la patience de ses clients — et la sévérité de ses juges.



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