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Lunettes à 2,95 euros, verres progressifs à 25 : la promesse de Blacksheep intrigue, voire dérange, dans un secteur où le ticket moyen dépasse les 300 euros. Depuis son lancement en juin 2025, la marque fondée par Pierre Wizman – cofondateur de Polette – agite le marché avec une offre radicalement low cost. Et suscite des réactions en chaîne, de l’enquête technique à l’analyse juridique, en passant par des retours clients loin d’être flatteurs.
Blacksheep revendique un modèle sans fioritures : une chaîne courte, directe, entre consommateurs européens et usines chinoises. Montures à 2,95 euros, verres unifocaux dès 5 euros, progressifs plafonnés à 25. Aucun intermédiaire, aucun opticien, et une production 100 % chinoise, assumée. Wizman n’hésite pas à comparer son approche à celle de Shein, le géant du fast fashion, et rappelle que « la majorité des lunettes du marché mondial sont fabriquées en Chine ». Il promet de la transparence, via des images de ses ateliers diffusées en ligne.
Le 3 décembre 2025, Blacksheep ouvre sa première boutique européenne, temporairement hébergée dans l’espace Polette au 91 rue de Rivoli à Paris. Une vitrine éphémère, plus démonstrative que pérenne.
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Des tests accablants sur les verres progressifs
Le 19 novembre 2025, l’organisation belge Test-Achats publie une évaluation de dix paires de lunettes Blacksheep, achetées entre 17,96 et 110,78 euros. Cinq avec verres unifocaux, cinq avec verres progressifs. L’analyse, menée à l’aveugle par un expert-optométriste, est formelle : aucune paire n’est adaptée aux yeux et au visage des porteurs.
Les défauts de centrage sont particulièrement graves : jusqu’à 4,9 mm d’écart horizontal et 13,4 mm vertical. Des marges qui dépassent largement les seuils de tolérance. Sur les cinq paires progressives, aucune ne permet la lecture de près. Deux comportent une correction incorrecte par rapport à l’ordonnance. L’une d’elles n’est même pas multifocale : elle offre uniquement une vision de près et intermédiaire.
Le traitement antireflet, l’absorption UV et la clarté optique sont jugés médiocres sur la majorité des verres progressifs testés. Les verres sont lourds, épais, esthétiquement décevants, avec des franges colorées visibles. Côté unifocaux, le bilan est un peu meilleur mais loin d’être parfait : des problèmes de clarté sont relevés sur quatre paires sur cinq.
Pour certains professionnels de santé, ces défauts techniques ne sont pas anecdotiques. « La qualité des verres est très en dessous des standards minimums attendus en optique médicale. Ce n’est pas qu’une question de confort, mais de sécurité visuelle à long terme, alerte un ophtalmologue parisien. Ces verres mal centrés ou mal traités peuvent générer des troubles de la vision, des maux de tête, voire une dégradation du confort visuel durable chez certains patients. »
Montures fragiles, montage imprécis
Les montures aussi posent problème. D’après Test-Achats, elles présentent une qualité globalement insuffisante. Aucune ne dispose de dispositifs pour éviter le desserrage des vis. L’ajustement des plaquettes ou des branches est impossible. Une monture est arrivée tordue, rendant le maintien du verre incertain.
Le montage montre des écarts systématiques : 0,5 à 1 mm de différence par rapport aux valeurs commandées. Toutes les paires testées présentent une tension excessive sur les verres, un facteur de risque pour la casse, la déformation optique ou l’altération des traitements. Huit verres sur dix ont des bords jugés trop tranchants.
L’examen de vue proposé par Blacksheep via Polette ne permet pas de mesurer le centrage avec la monture choisie. La hauteur du centre optique n’est ni relevée, ni même indiquable au moment de la commande. Un angle mort qui compromet tout ajustement précis.
Retours clients : un fossé entre prix et usage
Les avis clients sur TrustPilot donnent une note moyenne de 3,4 sur 5, selon la version belge francophone du site (284 avis au moment de l’enquête). Les commentaires positifs concernent surtout des corrections simples avec verres unifocaux. Le faible prix est alors perçu comme une bonne affaire.
Mais les critiques se concentrent sur les verres progressifs, jugés inutilisables. Les délais de livraison dépassent souvent les 6 à 10 jours annoncés. Le service client, réduit à un formulaire en ligne, agace. Aucune adresse, aucun numéro de téléphone accessible.
Test-Achats pointe également des manquements juridiques. Absence de mentions obligatoires (adresse du vendeur, numéro de téléphone). Clauses illégales sur les délais de livraison. Conditions générales difficilement accessibles. Modalités de rétractation non conformes à la législation européenne. Et surtout : obligation pour le client de renvoyer les produits en Chine, à ses frais.
Le 100 % Santé comme contre-modèle
La comparaison avec le dispositif français 100 % Santé n’est pas flatteuse pour Blacksheep. En France, il est possible d’obtenir des lunettes avec verres progressifs intégralement remboursées, y compris via des fournisseurs asiatiques. Mais le passage par un opticien garantit un niveau de contrôle et d’ajustement absent du modèle Blacksheep.
Pour la presse spécialisée et les organismes de défense des consommateurs, l’offre Blacksheep pourrait convenir à des besoins simples, peu exigeants, comme une faible correction unifocale. Elle ne remplace en aucun cas l’accompagnement technique d’un opticien pour des prescriptions complexes.


