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Le licenciement d’une infirmière pour avoir porté un calot en dehors du bloc opératoire ravive les tensions autour de la laïcité à l’hôpital public. Loin d’un simple manquement au règlement, l’affaire soulève une question sensible : la neutralité religieuse est-elle appliquée de façon équitable ou devient-elle un outil de stigmatisation des personnels hospitaliers de confession musulmane ?
L’affaire a éclaté le 10 novembre 2025. Une infirmière de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) est radiée de la fonction publique pour avoir refusé de retirer un couvre-chef en dehors du bloc opératoire, en dépit de plusieurs convocations et rappels à l’ordre. La direction invoque une « tenue vestimentaire inadaptée », une entorse aux règles internes précisant que le port du calot est strictement limité aux situations d’hygiène justifiées.
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Le calot, un signe religieux masqué ?
Révélée par Mediapart et relayée par Le Quotidien du Médecin, l’affaire a fait rapidement tâche d’huile. Car ce qui aurait pu relever d’un simple litige administratif devient une affaire politique et symbolique : le calot, accessoire banal du personnel hospitalier, est soudain interprété comme un signe religieux masqué.
Sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, les vidéos de soutien à l’infirmière licenciée se multiplient. Des collègues, souvent elles-mêmes issues de l’immigration ou perçues comme musulmanes, dénoncent un traitement discriminatoire. Certaines nouent leur calot à l’arrière de la tête comme un geste de solidarité, d’autres parlent ouvertement de ciblage ethnique ou religieux.
Pour de nombreux personnels, la répression autour de cet accessoire relève d’une lecture biaisée : ni voile, ni kippa, le calot n’a en lui-même aucun contenu religieux. Pourtant, il semble parfois traité comme tel — à la lumière de l’apparence ou de l’origine supposée de celle qui le porte.
Climat de crispation dans l’hôpital public
Du côté de la direction de l’AP-HP, le cadre est clair : la neutralité des agents publics s’impose, conformément au Code général de la fonction publique et à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Dans un guide interne sur la laïcité publié en décembre 2023, l’AP-HP précise que le port du calot, s’il n’est pas strictement requis pour l’hygiène, « peut constituer l’expression d’une appartenance religieuse » et donc entraîner des sanctions disciplinaires.
Pour Jean-Luc Landas, médecin retraité et militant à la Ligue des droits de l’Homme, il s’agit d’une simple application des textes. « Une fois les soins terminés, aucune raison ne justifie de garder le calot. Ce n’est pas une question de religion, mais de respect des obligations professionnelles. »
Mais cette lecture ne fait pas l’unanimité. Tatiana Grundler, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Nanterre, rappelle qu’un objet peut devenir un signe religieux « par destination », c’est-à-dire selon l’usage ou l’intention supposée de celui qui le porte. « Le refus réitéré de retirer le calot peut être interprété comme révélateur d’une motivation religieuse », explique-t-elle. La jurisprudence du Conseil d’État laisse ici une large marge d’interprétation, ouvrant la voie à une appréciation au cas par cas — et donc, potentiellement, à des discriminations indirectes.
Au-delà de la question du calot lui-même, l’affaire révèle un climat plus général de crispation dans l’hôpital public. Selon les syndicats, l’attention excessive portée aux tenues des soignants cache un malaise plus profond.
La laïcité, outil de décision ?
La polémique tombe à un moment particulièrement tendu pour l’hôpital public : pénurie de personnel, restructurations, fermetures de lits. Dans ce contexte, le recours à la laïcité comme outil de régulation du comportement des agents peut aussi être lu comme une tentative de rétablir une forme d’autorité perdue — ou de détourner l’attention des vraies urgences.
Le cas du calot met en lumière les tensions autour de l’application du principe de laïcité dans la fonction publique. Faut-il s’en tenir à une stricte neutralité visible, quitte à alimenter un soupçon généralisé ? Ou bien reconnaître que l’interprétation de cette neutralité, dès lors qu’elle repose sur des critères implicites — comme l’origine perçue, le genre ou la confession supposée —, risque d’ouvrir la porte à des pratiques discriminatoires ?
Le Quotidien du Médecin pose la question sans détour : dans un contexte aussi sensible que l’hôpital public, la laïcité peut-elle rester un principe fédérateur, ou devient-elle un outil de division ?


