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Malgré l’afflux massif d’aide internationale depuis des décennies, Madagascar stagne parmi les pays les plus pauvres du monde. Entre subventions mal ciblées, corruption chronique et déséquilibres géographiques, la question de l’efficacité réelle de cette aide s’impose. Où va l’argent ? Et pourquoi ne transforme-t-il pas durablement le pays ?
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Une pauvreté massive malgré des décennies d’aide
En 2022, 75,2% de la population nationale était pauvre, dont 79,9% dans les zones rurales et 55,5% dans les zones urbaines. Le seuil de pauvreté international retenu est de 2,15 dollars US par jour.
Selon des données plus récentes, environ 80% de la population vivait sous ce seuil en 2024. Le PIB par habitant s’établit à seulement 456 dollars en 2024.
Ce niveau de revenu place Madagascar au 4e rang des nations les plus pauvres au monde en 2025, avec un indice de développement humain très faible, à la 177e place sur 193 pays. Malgré les flux d’aide mentionnés depuis des années, le constat reste celui d’une pauvreté endémique et durable.
Une aide « considérable mais fragmentée »
Selon un document du PNUD publié en novembre 2024, environ 793 millions de dollars ont été décaissés en 2021 au titre de l’aide extérieure. Cette aide provient principalement des agences multilatérales, qui représentent 72,9% du total des décaissements, contre 27,1% pour les agences bilatérales.
Le FMI a approuvé en juin 2024 un financement total de 658 millions de dollars sur trois ans, composé de 337 millions au titre de la Facilité élargie de crédit et 321 millions au titre de la Facilité pour la résilience et la durabilité. Le 3 juillet 2025, le conseil d’administration du FMI a achevé les deuxièmes revues et autorisé un décaissement immédiat d’environ 107 millions de dollars (environ 50 millions de dollars au titre de la FEC et environ 56 millions de dollars au titre de la FRD).
La Banque mondiale via l’Association internationale de développement a approuvé un financement de 100 millions de dollars en juin 2025 pour soutenir la deuxième opération de politique de développement. Un financement additionnel de 211,5 millions de dollars a été conclu le 30 juin 2025 pour le Projet Connecter Madagascar pour une Croissance Inclusive (PCMCI).L’Agence française de développement a honoré son engagement financier de 240 millions d’euros sur quatre ans (2020-2023) pour soutenir le Plan Émergence Madagascar, et a signé le 1er mars 2024 trois nouveaux accords de financement pour un montant cumulé de 88,8 millions d’euros.
Les États-Unis constituaient un bailleur majeur, avec 787 millions de dollars versés sur cinq ans entre 2019 et 2024, dont 253 millions pour le secteur de la santé. Toutefois, l’USAID a officiellement cessé ses activités à Madagascar en juillet 2025, suite au décret présidentiel américain suspendant l’aide internationale.
La région d’Analamanga concentre l’essentiel de l’aide extérieure
L’analyse de la répartition sectorielle de l’aide en 2021 montre que le secteur social absorbait 43,9% du total, suivi du secteur productif avec 21,8%, du secteur administratif avec 17,8% et des infrastructures avec 16,4%. Cette structure révèle une concentration sur les urgences sociales au détriment d’investissements productifs structurants.
Au niveau national, la région d’Analamanga, qui abrite la capitale, concentre historiquement l’essentiel des flux d’aide extérieure. Ce point alimente l’idée d’un déséquilibre géographique patent entre la capitale et les zones rurales défavorisées.
La combinaison d’une priorité sociale et d’une concentration territoriale dessine une aide davantage orientée vers l’urgence et les centres administratifs que vers une transformation productive durable. Le résultat, à ce stade, est une dilution possible de l’objectif de développement dans la dispersion des besoins et des lieux.
Entre 150 et 250 millions de dollars pour soutenir la Jirama
Une part considérable du budget national est engloutie dans les subventions à la compagnie nationale d’eau et d’électricité, la Jirama. Initialement prévue à 300 milliards d’ariary dans la Loi de finances initiale 2024, cette subvention a été revue à la hausse à 475 milliards d’ariary dans le projet de Loi de finances rectificative 2024, soit environ 200 millions de dollars.
Au total, les subventions pour le secteur de l’énergie devront s’élever à 1 034 milliards d’ariary en 2024, incluant le maintien des prix des carburants. Malgré ces injections massives, les délestages persistent et la dette cumulée de la Jirama dépasse 2 700 milliards d’ariary.
Le président Andry Rajoelina a déclaré le 13 octobre 2025 que l’État débourse annuellement entre 150 et 250 millions de dollars pour soutenir la Jirama. Un plan de redressement présenté en 2025 ambitionne de ramener le déficit opérationnel de la compagnie de -1 070 milliards d’ariary à un équilibre en 2028, mais il ignore les causes systémiques : contrats déséquilibrés avec les producteurs privés, régulation absente et gouvernance opaque.
Corruption et détournements
Le gouvernement malgache a découvert, grâce aux données de l’Initiative internationale pour la transparence de l’aide, l’existence de 830 millions de dollars d’engagements de dépenses sur dix ans qui ne figuraient pas dans les données obtenues directement auprès des bailleurs. L’IITA a révélé 830 millions de dollars US d’engagements de dépenses qui ne figuraient pas dans les données obtenues directement auprès des bailleurs. 38 organisations publiant sur l’IITA ne figuraient pas dans l’AMP-Madagascar, représentant 288 millions de dollars US supplémentaires de promesses de dépenses et plus de 300 millions de versements réels.
Ces découvertes mettent en lumière un manque criant de coordination et de transparence dans le système d’aide, avec des millions de dollars investis sur le territoire sans que les autorités nationales en aient connaissance préalable. Madagascar utilise une plateforme nationale censée centraliser les informations, mais de nombreux donateurs et organisations non gouvernementales opèrent en dehors de ce système, créant des zones d’ombre dans le suivi des flux financiers.
Madagascar occupe la 145e place sur 180 pays dans l’Indice de Perception de la Corruption 2023 avec un score de 25/100. Dans l’IPC 2024, le pays s’est amélioré à la 140e place avec un score de 26/100. En octobre 2025, les nouvelles autorités malgaches issues d’une transition politique ont lancé une offensive contre la corruption et le détournement des fonds publics, avec un mot d’ordre de « tolérance zéro » et une exigence de restitution.
Le cas emblématique de la Jirama concentre des pratiques décrites comme des achats sans appel d’offres et surévalués, des détournements de fonds par les dirigeants, des surfacturations systématiques, des fournitures de carburant frelaté endommageant les générateurs, et une absence de paiement de factures en échange de pots-de-vin. Transparency International a déposé le 10 novembre 2022 des signalements concernant le commerce du litchi, et le 5 juillet 2023, l’ONG a alerté lors d’un point de presse à Antananarivo sur des cas de détournements d’aides humanitaires destinées aux populations de l’extrême sud.


