Palantir, l’inquiétant allié des services de renseignement français

Palantir est-il un allié indispensable ou une menace déguisée pour la France ? La question se pose face à la dépendance croissante des services de renseignement français.

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La DGSI vient de reconduire pour trois ans son contrat avec Palantir, un logiciel d’origine américaine au rôle central dans les opérations de renseignement. Ce choix met en lumière une dépendance technologique croissante et soulève de sérieuses questions de souveraineté, d’éthique et de contrôle.

Un outil d’exception installé dans l’urgence

La première incursion de Palantir dans le renseignement français remonte à novembre 2015, à la suite des attentats de Paris. En l’absence d’alternative nationale ou européenne, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) fait alors appel à cette entreprise américaine fondée par Peter Thiel et soutenue par la CIA.

Le logiciel utilisé, OTDH (outil de traitement des données hétérogènes), est basé sur la version militaire de Palantir, connue sous le nom de Gotham. Il permet d’analyser de vastes volumes de données issues de sources disparates, en facilitant leur croisement, leur hiérarchisation et leur exploitation opérationnelle. Conçu pour dépasser les cloisonnements traditionnels entre bases de données, il constitue désormais l’architecture logicielle centrale de la DGSI.

Le contrat initial de 10 millions d’euros, signé en 2016, a été renouvelé une première fois en 2019. Palantir a récemment confirmé la prolongation de sa collaboration avec les services français jusqu’en 2028.

Une dépendance technique devenue structurelle

Présenté à l’origine comme une solution provisoire, Palantir s’est imposé de manière durable. Dans le contexte d’une menace terroriste persistante et d’une pression opérationnelle constante, la DGSI a privilégié la stabilité d’un système éprouvé à l’incertitude d’une migration technologique.

Changer de plateforme ne se résume pas à une mise à jour logicielle. Une telle opération implique la refonte des chaînes d’analyse, la redéfinition des procédures internes, la revalidation des normes de contrôle et le réentraînement des équipes, sans interrompre le travail de renseignement. Autant d’obstacles qui rendent tout projet de transition à la fois risqué, coûteux et potentiellement dangereux dans un secteur aussi sensible.

La souveraineté technologique mise à l’épreuve

Le renouvellement du contrat avec Palantir relance le débat sur la dépendance des institutions françaises à des technologies critiques étrangères. Dans le renseignement, cette dépendance n’est pas neutre. Elle pose la question du contrôle effectif de l’outil et de l’hypothèse d’un désengagement unilatéral du fournisseur. Le cas de l’Ukraine, où certaines technologies américaines ont été temporairement suspendues, est souvent cité en exemple.

Palantir assure que les données traitées par la DGSI sont stockées sur des serveurs dédiés, hébergés en France, et accessibles uniquement par des agents français habilités. Mais ces garanties techniques ne suffisent pas à dissiper les doutes quant à la souveraineté réelle des opérations menées avec un outil dont le code, les mises à jour et l’architecture globale échappent à tout contrôle national.

Une alternative française encore marginale

Face à cette dépendance, des tentatives ont été menées pour bâtir une solution souveraine. L’entreprise française ChapsVision s’est positionnée comme le principal acteur alternatif. Elle affirme pouvoir répondre aux exigences des services de renseignement en matière de performance, de sécurité et de conformité.

Un projet de bascule avait même été envisagé avant les Jeux olympiques de Paris 2024. Mais il n’a pas abouti. La DGSI a estimé que la fiabilité d’un nouvel outil ne pouvait être garantie à court terme sans prise de risque excessive. Dans un secteur où l’erreur se paie cher, les impératifs de souveraineté restent soumis à ceux de continuité et d’efficacité.

Palantir, une entreprise à la culture opaque

Le nom de l’entreprise fait référence aux pierres magiques de la saga Le Seigneur des anneaux, capables de tout voir à distance. Cette symbolique traduit une vision du monde binaire : celle d’un affrontement entre le bien et le mal, incarnée dans le slogan interne « défendre la Comté ».

Fondée dans la mouvance idéologique de la Silicon Valley post-11 septembre, Palantir revendique une culture d’entreprise singulière. Son cofondateur, Peter Thiel, est connu pour ses positions libertariennes et son soutien à Donald Trump. Le PDG actuel, Alex Karp, affirme que la société agit selon des principes éthiques stricts, tout en invitant à ne pas le croire sur parole.

Des contrats publics sous surveillance

Depuis sa création, Palantir a multiplié les contrats sensibles avec les administrations américaines. L’un des plus controversés concerne ImmigrationOS, un logiciel vendu à l’agence de l’immigration (ICE) pour faciliter l’identification et l’arrestation de migrants en situation irrégulière. L’entreprise a perçu plus de 113 millions de dollars de contrats fédéraux sous l’administration Trump.

Depuis la crise du Covid-19, Palantir s’est également positionnée dans le secteur de la santé, où elle fournit des outils d’analyse de données à plusieurs gouvernements. Cette diversification alimente les craintes de recoupements incontrôlés entre fichiers médicaux, judiciaires ou sociaux, malgré les garanties affichées en matière de traçabilité des consultations.



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