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Les géants de l’intelligence artificielle ont franchi un seuil : l’IA générative doit désormais produire des résultats visibles, mesurables, rapides. Cette montée en exigence se joue dans un paysage verrouillé par quelques acteurs, où la capacité de calcul reste rare, l’énergie sous tension, les talents disputés et les données devenues armes stratégiques. Les projections macroéconomiques promettent monts et merveilles, tandis que les marchés financiers tutoient des sommets.
Mais derrière l’euphorie, la chaîne de valeur reste concentrée comme rarement, et l’écart se creuse entre les investissements massifs et les revenus réellement captés. Calcul, énergie, ingénierie et données propriétaires dictent la puissance dans un secteur encore loin de l’équilibre.
Un boom mondial sous étroite surveillance
Les estimations avancent que l’IA générative pourrait doper le PIB mondial de 7 % en dix ans et relever la productivité des entreprises de 1,5 % par an. Les marchés ont anticipé le mouvement : au premier trimestre 2024, ils ont atteint leur plus haut niveau en cinq ans, propulsés par l’essor de ces technologies. En parallèle, la relation homme-machine se transforme. L’IA fluidifie l’accès aux ressources internes, élargit les capacités de raisonnement, facilite la décision et accélère la découverte scientifique.
Mais l’euphorie s’accompagne d’une vigilance renforcée. Le président de la SEC, Gary Gensler, promet de sévir contre l’« AIwashing ». Elon Musk, lui, résume la tension du moment : « plus difficile d’obtenir des GPU que d’acheter de la drogue ».
La pénurie de calcul rebat les cartes
La chaîne de valeur repose sur un nombre étroit d’entreprises capables de maîtriser des infrastructures toujours plus lourdes. La qualité d’un modèle dépend du volume de calcul engagé.
Matériel insuffisant, logiciels optimisés en rupture, énergie sous contrainte : la rareté devient structurelle. Microsoft identifie même la pénurie de calcul comme un risque majeur. L’énergie, elle aussi, pèse dans la balance. Sam Altman ne cesse de le répéter : l’avenir de l’IA requiert une rupture énergétique. Il a déjà investi 375 millions de dollars dans Helion Energy et s’est engagé dans Oklo.
L’accès au calcul concentre donc le pouvoir. OpenAI, Mistral, Anthropic et Coherence dépendent des géants du cloud, tandis que Nvidia capture l’essentiel de la valeur immédiate. Sequoia note que sur 50 milliards de dollars investis dans des puces Nvidia, seuls 3 milliards se traduisent en revenus ailleurs dans la chaîne. Pour conserver leur avance, les grands du cloud étendent leurs infrastructures — y compris en Espagne —, prennent des participations et achètent des contenus récents. Nvidia, de son côté, soutient des acteurs du calcul à la demande comme Codeware.
Talents rares, données décisives
Le secteur réunit environ 140 000 ingénieurs IA et 20 000 entreprises. Mais seules quelques centaines maîtrisent réellement la conception des modèles les plus avancés. La plupart des startups n’alignent qu’une douzaine d’ingénieurs dédiés à l’entraînement, tandis que 80 % du budget d’un modèle s’évapore en calcul. D’où une bataille de talents féroce. Microsoft a ainsi recruté l’équipe d’Inflection sans racheter la société. Les géants, eux, voient leurs pionniers s’échapper : aucun des huit ingénieurs à l’origine des modèles fondateurs de l’IA générative ne travaille encore chez Google.
En parallèle, les données deviennent un levier stratégique. Les organisations dotées de corpus spécialisés affinent leurs modèles : Bloomberg a bâti BloombergGPT sur ses archives internes, et la BBC prépare son propre modèle tout en négociant l’accès à ses contenus. Mais la frontière juridique se trouble, puisque nombre de modèles ont été entraînés sur des données publiques non autorisées. D’où des accords structurants, comme celui d’OpenAI avec Axel Springer, pour sécuriser l’accès à des flux éditoriaux.
Une industrie en recomposition accélérée
Le tandem rareté du calcul–pression sur les talents, combiné à la valeur croissante des données propriétaires, redessine un marché encore instable. Les géants consolident leurs positions, les startups cherchent l’efficacité maximale — « Obtenir des modèles plus efficaces, c’est notre raison d’être », résume Arthur Mensch — et les lignes de fracture évoluent au rythme des investissements. Les gagnants comme les perdants commencent à émerger, mais la partie reste ouverte, conditionnée par des incertitudes énergétiques, économiques et réglementaires qui façonneront la prochaine phase de l’IA générative.


