Narcotrafic : combien gagne un guetteur ?

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Le guetteur – ou « chouf » – est payé pour surveiller les allées et venues des forces de l’ordre aux abords des points de vente de drogue. Sa rémunération varie selon la ville, le réseau et l’intensité du trafic. À Marseille, elle tourne autour de 60 euros par jour (Cour des comptes, octobre 2024). À Grenoble, elle peut atteindre 150 euros (Cour des comptes, octobre 2024). Dans certains quartiers particulièrement exposés, des guetteurs expérimentés sont payés jusqu’à 200 euros par jour (Éric Mangin, France Info, octobre 2024).

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Sur un mois complet, un guetteur à temps plein peut toucher entre 1 800 et 4 500 euros (Cour des comptes, octobre 2024). En comparaison, le SMIC brut mensuel s’élève à 1 801,80 euros (Ministère du Travail, novembre 2024). Le guetteur débutant peut ainsi gagner jusqu’à deux fois le salaire minimum légal, sans contrat, sans diplôme, sans cotisation.

Salaires du narcotrafic : une hiérarchie bien rodée

La position de guetteur s’inscrit dans une organisation structurée, où chaque rôle a sa place, son tarif et ses risques. Selon les données compilées à partir de rapports judiciaires et policiers :

  • Coursier : 30 €/jour
  • Guetteur : 60 à 150 €/jour
  • Rabatteur : environ 120 €/jour
  • Vendeur (« charbonneur ») : 150 à 300 €/jour
  • Nourrice : 1 500 €/mois
  • Livreur « Uber-shit » : environ 4 000 €/mois
  • Gérant de point de deal : 4 000 à 5 000 €/mois
  • Semi-grossiste : entre 500 000 et 800 000 €/an
    (Cour des comptes, MILDECA, France Info, 2024–2025)

Cette structuration emprunte les codes du management d’entreprise : turn-over régulier, spécialisation des tâches, surveillance numérique, et rémunération en fonction de la performance (Cour des comptes, octobre 2024).

Les réseaux recrutent sur Snapchat et Telegram

Le recrutement des guetteurs se fait désormais massivement via les réseaux sociaux. Snapchat, TikTok ou Telegram servent de vitrines à un marché parallèle du travail. Des messages chiffrés annoncent la couleur : « Recherchons guetteur 100 €/jour. Horaires 10h–22h. Nourri, logé, récup à la gare » (France Info, novembre 2024).

Des logos de Pôle Emploi détournés en « Cité Emploi » accompagnent parfois ces annonces. Des quiz anonymes permettent aux candidats de choisir un poste (guetteur, vendeur, sécurité), avec les tarifs correspondants, entre 120 et 400 €/jour (France Info, novembre 2024).
La cible : des adolescents de 14 à 18 ans, parfois plus jeunes. Selon la MILDECA, près de 10 000 mineurs étaient impliqués dans le trafic de drogue en 2024 (MILDECA, décembre 2024). L’âge moyen des « petites mains » tourne autour de 15–16 ans. Certains réseaux utilisent des enfants dès 10 ans, jugés pénalement irresponsables (Cour des comptes, octobre 2024).

Des jeunes surexposés, sans droits, sans protection

La réalité du quotidien est très éloignée des promesses affichées sur les réseaux sociaux. Les guetteurs travaillent 10 à 12 heures par jour.
Le vice-président du tribunal de Marseille, Éric Mangin, qualifie cette main-d’œuvre de « forme d’esclavage moderne » (audition publique, octobre 2024). Les adolescents sont souvent soumis à une dette fictive, à des pressions familiales ou à des menaces physiques. Un guetteur n’a aucune marge de négociation : il est remplaçable, à tout moment.

À Marseille, les guetteurs sont exposés en première ligne à la violence. Certains sont tués pour avoir mal alerté ou pour avoir été suspectés de trahison. En octobre 2024, un adolescent impliqué dans un réseau a été poignardé puis brûlé vif (La Provence, octobre 2024). D’autres cas documentés font état de séquestrations, de tortures au chalumeau ou de viols filmés (France Info, 2019–2024).

Le phénomène n’épargne pas les victimes collatérales. En 2021, Rayanne, 14 ans, a été tué dans une fusillade visant un point de deal où il se trouvait par hasard (France 3 PACA, août 2021). Il n’avait aucun lien avec le trafic. Sa mort symbolise la banalisation de la violence et le danger omniprésent autour de ces zones de non-droit.

Le narcotrafic continue de recruter massivement des mineurs

En 2024, 61 % des condamnés pour infraction liée aux stupéfiants avaient entre 15 et 25 ans (Ministère de la Justice, février 2025). À Marseille, plus de 500 mineurs étaient impliqués dans des affaires de drogue (Nicolas Bessone, rapport d’activité, janvier 2025). En Seine-Saint-Denis, 15 narchomicides ont été recensés en 2024 contre 5 en 2023 (Ministère de l’Intérieur, février 2025).

La réponse judiciaire reste limitée : en dessous de 13 ans, un mineur ne peut pas être poursuivi. Entre 13 et 18 ans, la peine maximale est de 5 ans de prison (Code pénal, ordonnance de 1945). Le plus souvent, les mineurs guetteurs écopent de simples mesures éducatives (Ministère de la Justice, 2025).

Le poids économique du trafic : jusqu’à 6 milliards d’euros par an

Selon l’Ofast, l’économie du trafic génère entre 3,5 et 6 milliards d’euros par an (Ofast, rapport annuel 2024), avec environ 21 000 “emplois” à temps plein. Environ 240 000 personnes vivraient directement ou indirectement de cette économie parallèle (Ofast, 2024).
À Marseille, le point de deal de la Castellane génère jusqu’à 50 000 euros par jour (Ofast, conférence de presse, septembre 2024). D’autres sites montent à 100 000 €/jour. Ces chiffres expliquent l’ampleur de la lutte pour le contrôle du territoire.

En 2024, les saisies ont atteint des records :

  • 53,5 tonnes de cocaïne (+130 % vs 2023)
  • 101 tonnes de cannabis (–19 %)
  • 9 millions de comprimés d’ecstasy (+123 %)
  • 618 kg d’amphétamines (+133 %)
    (Ofast, rapport 2025 publié en octobre)

Un arsenal juridique renforcé, mais encore inégal

La loi du 13 juin 2025 a introduit un nouveau délit de recrutement de mineurs dans un trafic, puni de 7 ans de prison et 150 000 euros d’amende (Journal officiel, 14 juin 2025). Elle crée également un parquet spécialisé pour les affaires de criminalité organisée.
Mais ces outils juridiques restent en décalage avec la réalité du terrain. La rapidité du recrutement, l’anonymat des réseaux sociaux, et la jeunesse des auteurs compliquent les poursuites.
Le programme LIMITS (Limiter l’Implication des Mineurs dans les Trafics), porté par la MILDECA, vise à enrayer le recrutement des mineurs par des actions de prévention, des séjours de rupture, et un accompagnement éducatif (MILDECA, 2025). À ce jour, ces dispositifs restent peu étendus.

Le guetteur, un pion jetable d’un système sans issue

L’attrait de l’argent facile masque une impasse sociale. La « carrière » de guetteur mène à trois issues : l’arrestation, la promotion dans le trafic (rare), ou la mort (Ofast, 2024). Les « narcotouristes », ces jeunes venus d’autres régions pour trafiquer à Marseille, en font souvent l’amère expérience.

Le procureur Nicolas Bessone évoque même des cas de traite d’êtres humains : « On les loge dans des squats, on les séquestre, on les force à travailler » (déclaration publique, janvier 2025). Les perspectives de réinsertion sont faibles, et les alternatives encore trop peu développées dans les quartiers les plus touchés.



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