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Ce mardi 25 novembre, la Cour de cassation examine un dossier capital pour l’empire Bolloré. En jeu : la reconnaissance ou non d’un contrôle de fait sur Vivendi, qui pourrait contraindre le milliardaire à lancer une offre publique de retrait (OPR) sur le groupe. Le verdict, attendu le 28 novembre, pourrait éviter à Vincent Bolloré une facture estimée entre 6 et 9 milliards d’euros. L’affaire, très technique, dépasse le seul cas Vivendi : elle pourrait redéfinir la jurisprudence boursière française sur le contrôle d’une société sans majorité capitalistique.
Vivendi : une scission contestée, un contrôle en question
L’affaire trouve son origine dans la scission opérée par Vivendi en décembre 2024. Le conglomérat s’est alors fragmenté en quatre entités : Canal+ (cotée à Londres), Havas (Amsterdam), Louis Hachette Group (Euronext Growth à Paris) et Vivendi SE, réduite à un portefeuille de participations. Approuvée à 97,5 % par les actionnaires lors de l’assemblée générale du 9 décembre 2024, la scission a été dénoncée dès l’origine par le fonds activiste CIAM, actionnaire minoritaire de Vivendi.
Pour CIAM, cette opération visait à permettre à Vincent Bolloré de renforcer son contrôle sans franchir le seuil légal des 30 % qui impose une OPA obligatoire. L’Autorité des marchés financiers (AMF), saisie en novembre 2024, avait initialement estimé que Bolloré ne contrôlait pas Vivendi, faute de majorité de droits de vote.
Une décision de la cour d’appel en rupture avec l’AMF
Le 22 avril 2025, la cour d’appel de Paris a totalement inversé la position de l’AMF. Dans un arrêt particulièrement étayé de 38 pages, elle a considéré que Bolloré exerçait un « contrôle de fait » sur Vivendi, en vertu de l’article L. 233-3 du code de commerce. Elle s’est fondée sur un faisceau d’indices allant au-delà du strict pourcentage de droits de vote : influence informelle, autorité personnelle, capacité à faire nommer ses proches — dont son fils Yannick à la tête du conseil de surveillance depuis 2018 — et adoption systématique des résolutions soutenues par le groupe.
La cour note également que le groupe Bolloré a représenté en moyenne 43,39 % des voix exprimées en assemblée générale entre 2017 et 2024. Un niveau insuffisant pour une majorité formelle, mais décisif dans un contexte de dispersion capitalistique. Elle conclut que cette position permettait à Bolloré de déterminer les décisions collectives de la société.
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Le 18 novembre, Le Monde a révélé que l’avocate générale de la Cour de cassation, Irène Luc, avait rendu un avis favorable à la cassation de l’arrêt de la cour d’appel. Elle défend une interprétation strictement arithmétique de la loi, estimant que le contrôle de fait ne peut être établi qu’en cas de majorité relative lors de plusieurs assemblées générales. Selon elle, les 43,39 % de droits de vote détenus en moyenne par le groupe Bolloré ne suffisent pas à caractériser un contrôle effectif, dès lors que d’autres actionnaires minoritaires pouvaient théoriquement s’y opposer. Elle critique également l’approche « holistique » retenue en appel, jugée trop subjective.
Plus significatif encore : la Cour de cassation a informé les parties qu’une « cassation sans renvoi » est envisagée. Une issue rare, qui empêcherait toute nouvelle procédure devant une cour d’appel, et mettrait un terme définitif à l’affaire.
Deux scénarios aux conséquences diamétralement opposées
Si la Cour suit l’avis de l’avocate générale et casse l’arrêt, Bolloré serait exonéré de toute obligation d’OPA sur Vivendi. Il éviterait ainsi de devoir racheter les titres des actionnaires minoritaires, dont la valorisation est estimée entre 6 et 9 milliards d’euros. L’annonce de cet avis a déjà eu un effet immédiat sur les marchés : le titre Vivendi a perdu 13 % le 18 novembre, les investisseurs anticipant l’absence d’offre.
À l’inverse, si la Cour confirme la décision de la cour d’appel, le groupe Bolloré devra déposer un projet d’OPA puis d’OPR sur les actions Vivendi qu’il ne détient pas. L’AMF a déjà ordonné cette démarche en juillet, avec un délai de six mois. En intégrant les 3,7 % d’actions autodétenues par Vivendi, le seuil des 30 % serait franchi, déclenchant mécaniquement l’offre obligatoire.
Selon les analystes, cette opération pourrait coûter entre 2,5 et 9 milliards d’euros selon l’évolution des cours et le périmètre final retenu. Un montant qui pourrait affecter directement la fortune personnelle de Vincent Bolloré, estimée à 9,2 milliards d’euros par Challenges.
Un cas emblématique de “contrôle rampant”
L’affaire met en lumière une stratégie de contrôle progressif et discret, souvent qualifiée de « contrôle rampant ». Depuis 2012, Bolloré a renforcé méthodiquement sa position au capital de Vivendi sans jamais franchir le seuil déclencheur d’une OPA. Il a ainsi façonné un pouvoir de fait, tout en restant en deçà du seuil réglementaire.
La scission de décembre 2024 s’inscrit dans cette logique : en cotant les nouvelles entités sur des marchés plus permissifs (Londres, Amsterdam, Euronext Growth), Bolloré a évité les contraintes françaises. Ces places financières ne prévoient pas de seuil d’offre obligatoire à 30 %, voire n’en prévoient aucun. Parallèlement, la scission a permis de réaliser une plus-value nette de 3,6 milliards d’euros sur la cession de Bolloré Logistics, tout en constatant une moins-value de déconsolidation de 1,9 milliard d’euros.
Pour CIAM, cette opération constitue une atteinte directe aux droits des actionnaires minoritaires, en contradiction avec l’esprit des règles de marché.
CIAM prêt à saisir la Cour européenne des droits de l’homme
Face à un éventuel revers judiciaire, CIAM ne compte pas abandonner. Sa cofondatrice, Catherine Berjal, a déclaré que le fonds était prêt à porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme si la cassation intervenait sans possibilité de renvoi. Spécialisé dans la gouvernance d’entreprise et les droits des minoritaires, CIAM s’est déjà illustré dans les affaires Club Med, Euro Disney ou Zodiac Aerospace. Dans le cas Vivendi, il entend défendre le principe d’égalité entre actionnaires et contester ce qu’il considère comme une manœuvre de contournement.


