Les salaires indécents des neuf membres du Conseil constitutionnel

Plus de 20 millions d’euros versés en toute opacité : découvrez comment les Sages de la République échappent à tout contrôle depuis 20 ans.

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Depuis plus de vingt ans, les membres du Conseil constitutionnel bénéficient d’un régime indemnitaire sans base légale, mis en place en dehors de tout contrôle parlementaire. Une lettre confidentielle signée en 2001 a permis d’augmenter considérablement leur rémunération, aujourd’hui supérieure à celle du président de la République. Ce système, dénoncé à plusieurs reprises, n’a jamais été réformé. Enquête sur une exception institutionnelle devenue un privilège d’État.

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Un régime indemnisé sans fondement juridique

Le 16 mars 2001, Florence Parly, alors secrétaire d’État au Budget du gouvernement Jospin, signe une lettre qui va transformer en profondeur le traitement des membres du Conseil constitutionnel. Ce document, jamais publié, institue une indemnité dite « de fonction complémentaire » en compensation de la suppression d’un avantage fiscal jugé irrégulier. Aucune loi organique ne vient encadrer cette décision. Pourtant, selon le principe de séparation des pouvoirs, la rémunération des membres du Conseil devrait être fixée par la loi, non par une décision de l’exécutif.

Cette lettre, considérée comme un simple document administratif, aura des effets durables : elle crée un régime d’indemnisation qui contourne les textes fondateurs de la Ve République. L’ordonnance de 1958, qui fixe les rémunérations du Conseil constitutionnel, est désormais ignorée. Depuis lors, les membres de l’institution perçoivent un traitement largement supérieur aux plafonds légaux.

Des rémunérations qui dépassent celles de l’exécutif

En 2025, un membre du Conseil constitutionnel perçoit environ 15 000 euros bruts par mois. Le président, actuellement Richard Ferrand, touche 16 500 euros. Ces montants sont automatiquement indexés sur le point d’indice de la fonction publique, comme pour les hauts fonctionnaires. Mais ils restent largement supérieurs aux rémunérations prévues par les textes : l’ordonnance de 1958 fixe la rémunération des membres à 6 500 euros, celle du président à 7 000 euros.

Plus frappant encore : le président du Conseil constitutionnel est aujourd’hui mieux payé que le chef de l’État lui-même. En 2024-2025, Emmanuel Macron perçoit 16 039 euros bruts mensuels. Ce déséquilibre pose une question de fond : comment une institution censée incarner la rigueur constitutionnelle peut-elle bénéficier d’un traitement supérieur à celui des plus hautes fonctions exécutives du pays ?

Un cumul de pensions sans limite

Contrairement à d’autres autorités administratives indépendantes, comme le Défenseur des droits ou la Cour des comptes, les membres du Conseil constitutionnel peuvent cumuler leur indemnité avec l’ensemble de leurs pensions de retraite. Ancien ministre, parlementaire, maire ou président de la République : toutes les carrières antérieures alimentent ce cumul sans restriction.

Le cas de Valéry Giscard d’Estaing est particulièrement révélateur. En 2019, l’ancien président, membre de droit du Conseil, a perçu 179 991 euros bruts pour cinq réunions mensuelles, soit plus de 35 000 euros par réunion. En 2020, il reçoit 165 992 euros bruts pour une seule réunion, cumulant sa dotation d’ancien président, ses pensions et son indemnité de Sage. Alain Juppé, ancien Premier ministre, profite d’un schéma comparable, avec plusieurs sources de pension en plus de ses revenus du Conseil.

Des recours institutionnels bloqués

Face à cette situation, l’association Contribuables Associés a lancé plusieurs recours. En octobre 2021, elle saisit le Conseil d’État pour faire annuler le régime d’indemnisation, dénonçant son illégalité et l’opacité de sa mise en place. Le Conseil d’État rejette la demande en 2023, estimant que l’association ne dispose pas de la qualité pour agir. Seule une personne directement concernée, et donc percevant elle-même une indemnité, pourrait théoriquement contester ce régime.
Un recours a également été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme, sans succès. En 2024, l’association change de stratégie et saisit la Cour des comptes, espérant inscrire ce sujet à son programme de travail. Jusqu’ici, aucune institution n’a donné suite de manière concrète.

Le rapport Maximi : confirmation officielle de l’illégalité

En décembre 2024, un rapport parlementaire vient confirmer les irrégularités dénoncées depuis plus de vingt ans. Rédigé par la députée Marianne Maximi, rapporteure spéciale des crédits « Pouvoirs publics », ce document de 80 pages dresse un constat accablant. Il chiffre à plus de 20 millions d’euros le coût cumulé du régime d’indemnisation entre 2001 et 2024.

Le rapport met en évidence plusieurs points clés :

  • Les rémunérations versées sont plus de deux fois supérieures à celles prévues par l’ordonnance de 1958.
  • Le cumul des pensions permet à certains membres de percevoir l’équivalent de plusieurs mois de traitement en une seule réunion.
  • Aucune base légale n’encadre ce régime, qui n’a jamais été soumis à l’examen du Parlement.
  • Aucun projet de réforme n’a été engagé depuis la première révélation publique de ce dispositif en 2020.

Renouvellement de 2025 : changement de visages, permanence du système

Le 8 mars 2025, Richard Ferrand est nommé président du Conseil constitutionnel, en remplacement de Laurent Fabius. Sa nomination, validée à une voix près par le Parlement, suscite une controverse politique, notamment en raison de l’abstention stratégique du Rassemblement national, accusé d’avoir facilité son passage. Dans le même temps, deux nouveaux membres font leur entrée : Laurence Vichnievsky, ancienne députée MoDem et magistrate, et Philippe Bas, ancien sénateur LR.

Malgré ces renouvellements, aucune réforme du régime indemnitaire n’a été engagée. Les critiques récurrentes, les rapports parlementaires et les tentatives de recours sont restés sans effet. Le dispositif instauré en 2001 continue de s’appliquer dans une opacité totale.

Un scandale institutionnel sans sortie politique

Le paradoxe est total : les membres du Conseil constitutionnel, chargés de faire respecter la Constitution, bénéficient d’un régime de rémunération qui viole les principes qu’ils sont censés garantir. Ce déséquilibre fragilise la légitimité de l’institution elle-même. En l’absence de contrôle externe, et alors qu’aucune juridiction ne semble compétente pour remettre en cause ce privilège, la situation reste figée.

Seule une loi organique pourrait mettre fin à cette anomalie. Mais le Conseil dépend du bon vouloir du pouvoir législatif, qui désigne lui-même une partie de ses membres. Aucun acteur institutionnel n’a aujourd’hui intérêt à ouvrir ce dossier. Ce verrouillage révèle les limites du système français de contrôle de constitutionnalité, incapable de se réformer de l’intérieur.



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