Combien coûtent les anciens Premiers ministres à la France

Voitures, secrétariat, sécurité : les ex-chefs du gouvernement conservent des privilèges coûteux pour les finances publiques.

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Huit Premiers ministres se sont succédé en moins de deux ans. Une instabilité politique inédite sous la Ve République, qui s’accompagne d’une explosion silencieuse : celle du coût croissant des avantages accordés aux anciens chefs du gouvernement. Salaires différés, véhicules avec chauffeur, secrétariat particulier, protection policière… ces dispositifs, pensés à l’origine pour honorer le service de l’État, pèsent lourd sur les finances publiques. Ils posent aussi une question de fond : jusqu’où l’État doit-il prendre en charge ses anciens dirigeants, parfois déjà réinsérés dans des fonctions bien rémunérées ?

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Le statut d’ancien Premier ministre ouvre droit à plusieurs avantages matériels. Durant leur mandat, les chefs du gouvernement touchent la même rémunération que le président de la République : 16 038 euros bruts mensuels, incluant un traitement de base, une indemnité de résidence et une indemnité de fonction. Ils sont logés à l’hôtel de Matignon, disposent de personnel de maison, de véhicules avec chauffeur et d’une protection rapprochée.

Après leur départ, une indemnité équivalente au traitement ministériel peut être versée pendant trois mois, sauf en cas de reprise d’un emploi rémunéré. Par ailleurs, les anciens Premiers ministres peuvent demander la mise à disposition d’un collaborateur pour leur secrétariat, ainsi qu’un véhicule de fonction avec conducteur. La protection policière est accordée selon une évaluation du risque par le ministère de l’Intérieur.

Depuis 2019, ces avantages sont limités à une durée de dix ans et à un âge plafond de 67 ans, pour les Premiers ministres quittant leurs fonctions après cette date. Le décret signé en 2025 par le Premier ministre Sébastien Lecornu renforce ces limitations : les véhicules avec chauffeur ne sont maintenus que dix ans après le mandat, et la protection rapprochée est désormais limitée à trois ans, sauf exception.

En 2024, la facture globale a atteint 4,4 millions d’euros, dont 1,58 million pour les frais directs (collaborateurs, véhicules) et environ 2,8 millions pour les protections policières.

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Des bénéficiaires toujours actifs dans le privé ou le public

La liste des anciens Premiers ministres bénéficiant encore d’un soutien logistique de l’État comprend plusieurs figures toujours actives professionnellement. Dominique de Villepin, dont les dépenses ont atteint 207 072 euros en 2024, dirige une société de conseil et donne des conférences à l’étranger. Bernard Cazeneuve, associé au cabinet d’avocats August Debouzy, a coûté 198 290 euros. Jean-Pierre Raffarin, aujourd’hui consultant et intervenant dans des activités de lobbying, a généré 158 208 euros de frais. Édith Cresson, Lionel Jospin et François Fillon figurent également parmi les bénéficiaires, respectivement avec 157 223 euros, 157 657 euros et 149 089 euros.

Élisabeth Borne, encore inscrite dans le dispositif début 2024 pour un total de 110 779 euros, en a été exclue dès sa nomination comme ministre de l’Éducation nationale en décembre 2024.

Ces avantages ne s’interrompent que lorsqu’une fonction publique est exercée. Jean Castex, devenu président de la RATP puis de la SNCF, n’a pas perçu d’indemnités ni bénéficié des dispositifs post-fonction. Édouard Philippe, en tant que maire du Havre, et Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel jusqu’en mars 2025, ne figuraient pas non plus parmi les bénéficiaires durant leurs mandats publics.

Un système saturé par l’instabilité gouvernementale

La multiplication des anciens Premiers ministres en un temps court a mécaniquement accru les dépenses liées aux privilèges. Michel Barnier, nommé le 5 septembre 2024 et censuré le 4 décembre suivant, n’a exercé que 99 jours. François Bayrou, en poste du 13 décembre 2024 au 8 septembre 2025, a tenu 270 jours. Gabriel Attal, chef du gouvernement pendant 240 jours, a repris son mandat de député. Élisabeth Borne, en fonction entre mai 2022 et janvier 2024, a été nommée ministre de l’Éducation nationale à la fin de l’année 2024.

Ces mandats express alimentent le phénomène. Chacun de ces Premiers ministres devient, dès son départ, un potentiel bénéficiaire des dispositifs, à condition de ne pas occuper de fonctions publiques.

Une réforme en réaction à la pression de l’opinion

Face à l’ampleur des dépenses et à la grogne populaire, le gouvernement Lecornu a pris des mesures en septembre 2025. Le décret n° 2025-965 limite le bénéfice du véhicule avec chauffeur à dix ans, et restreint la durée de la protection rapprochée. Ces mesures, applicables au 1er janvier 2026, entraînent la suppression immédiate des avantages pour les Premiers ministres ayant quitté leurs fonctions depuis plus de dix ans, comme Dominique de Villepin, François Fillon, Lionel Jospin ou Édith Cresson.

Avant de quitter Matignon, François Bayrou avait également confié à René Dosière, ancien député et président de l’Observatoire de l’éthique publique, une mission sur les avantages indus ou excessifs des responsables politiques. Le rapport est attendu fin 2025.

Des privilèges toujours controversés dans un contexte de rigueur

Le débat dépasse les anciens Premiers ministres. Il touche à la question plus large de l’exemplarité de la classe politique, dans un climat de défiance renforcé par l’instabilité gouvernementale et les tensions budgétaires. La comparaison européenne ne permet pas de trancher clairement : la France n’est ni la plus généreuse, ni la plus stricte. Mais la visibilité médiatique des cas individuels, combinée à la fréquence des changements de gouvernement, rend la question particulièrement sensible dans l’Hexagone.

Le système mis en place sous la Ve République, pensé pour une stabilité et une continuité politique, semble aujourd’hui mal adapté à la volatilité actuelle. La réforme engagée en 2025 en réduit la portée, mais sans remettre en cause la logique même d’un traitement privilégié accordé à des responsables publics, parfois engagés dans des carrières privées très lucratives.

La question reste posée : dans une démocratie moderne, que doit l’État à ses anciens dirigeants ? Et jusqu’où peut-il aller, sans rompre le contrat moral avec les citoyens ?



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