100 Rafale à l’Ukraine : qui va payer ?

Paris promet 100 Rafale à Kiev. Mais que vaut cet accord sans argent ni contrat signé ? Enquête sur une promesse qui risque fort ne pas être tenue.

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L’image est forte : deux présidents côte à côte, sur le tarmac de Villacoublay, encadrés par les lignes tendues d’un Rafale prêt à décoller. Ce 17 novembre, Paris et Kiev ont signé une lettre d’intention ouvrant la voie à la vente de 100 avions de combat français à l’Ukraine. Une annonce tonitruante, saluée comme « historique » par Volodymyr Zelensky, qualifiée de « grand jour » par Emmanuel Macron. Mais derrière les effets de manche, la réalité reste bien plus incertaine : aucun contrat, aucun financement, aucun calendrier précis. Et pour cause : l’Ukraine est loin de disposer des fonds nécessaires à une telle opération.

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Une promesse plus politique que militaire

Le document signé ne vaut pas contrat. Il acte une volonté, rien de plus. L’Élysée parle d’un engagement politique « réciproque » pour les dix années à venir. Une formulation qui laisse toute latitude à chacun des deux pays de faire marche arrière. Pourtant, l’ambition affichée est spectaculaire : cent Rafale, avec leurs armements, viendraient équiper l’aviation ukrainienne – une transformation radicale pour une flotte aujourd’hui vieillissante, composée d’appareils soviétiques.

À ce jour, l’Ukraine deviendrait le plus gros client à l’export de Dassault Aviation, devant les Émirats arabes unis. Mais on est encore loin de la chaîne de montage. L’accord évoque également la livraison possible d’équipements complémentaires – systèmes sol-air SAMP/T, drones, bombes guidées AASM compatibles avec des avions soviétiques. Autant de briques destinées à reconfigurer l’arsenal ukrainien dans une logique occidentale.

Un projet à 20 milliards… sans les fonds

Le prix, lui, est à la hauteur des ambitions : entre 10 et 20 milliards d’euros, selon les standards du contrat émirati. Une somme qui dépasse de très loin les capacités budgétaires des deux capitales concernées. Dans le budget 2025 français, seuls 58 millions d’euros sont prévus pour le soutien militaire à l’Ukraine. C’est à peine de quoi financer quelques pièces détachées, pas une escadrille de chasseurs dernier cri.

Face à cette impasse financière, deux pistes sont évoquées. La première : le nouveau fonds européen SAFE, censé mobiliser jusqu’à 150 milliards pour renforcer les capacités de défense du continent. La seconde : les 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés depuis 2022, que certains voudraient transformer en levier pour financer la reconstruction – et désormais l’armement – de l’Ukraine. Mais cette option reste hautement théorique. Elle se heurte à des blocages juridiques, à des divergences politiques, et à l’inertie des institutions européennes.

Une industrie française au bord de la saturation

Même financée, une telle commande poserait un problème de logistique. Produire un Rafale demande trois ans. Dassault vise cinq avions par mois, mais tourne encore à trois, avec un carnet de commandes déjà bien rempli. Depuis l’invasion russe, les ventes se sont envolées. Mais les capacités industrielles, elles, peinent à suivre. Les chaînes de sous-traitance – près de 500 entreprises – tournent à plein régime. Certaines, comme Safran, s’alignent déjà sur une logique d’économie de guerre. Sans vision claire, elles hésitent à investir davantage.
Le PDG de Dassault, Éric Trappier, l’a dit sans détour : pour produire plus, il faut des commandes fermes, pas des promesses. Pour l’instant, les Rafale pour l’Ukraine ne sont qu’un concept sur papier glacé.

La bataille des chasseurs est ouverte

Sur ce marché stratégique, la France n’est pas seule. L’Ukraine rêve de 250 avions neufs pour reconstituer son armée de l’air. En octobre, la Suède a proposé entre 100 et 150 Gripen E, avec des livraisons dès 2026. Les États-Unis restent en pole position avec les F-16, déjà promis par plusieurs alliés de l’OTAN. Dans cette course, Paris joue sa carte industrielle et diplomatique, mais doit composer avec des contraintes multiples : un financement fragile, des cadences de production rigides, une concurrence transatlantique mieux dotée.

La lettre d’intention est aussi un acte de présence : montrer que la France est là, au cœur du jeu européen. L’objectif est aussi politique – peser dans l’après-guerre, construire une architecture de sécurité sur le continent. Mais la réalité demeure têtue : sans aide américaine, l’Ukraine ne tient pas. Et sans soutien européen massif, l’accord de Villacoublay restera lettre morte.

Une guerre qui s’enlise

Sur le terrain, la situation de l’Ukraine reste critique. Les frappes russes s’intensifient, notamment autour de Kharkiv. L’armée ukrainienne, sous pression, fait face à l’usure humaine et matérielle. À cela s’ajoutent les secousses politiques internes : des scandales de corruption, deux ministres démissionnaires, une fatigue croissante. Dans ce contexte, la visite de Zelensky à Paris vaut aussi comme un signal : garder le lien, maintenir l’attention.

La France veut capitaliser sur cet alignement. Après la cérémonie sur la base aérienne, les deux présidents ont visité ensemble le poste de commandement de la future « force multinationale Ukraine », soutenue par 35 pays. Une coalition en gestation, pensée comme une garantie post-conflit. Mais là encore, tout dépendra d’un cessez-le-feu qui paraît aujourd’hui bien lointain.



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