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Le gouvernement s’apprête à réviser discrètement le périmètre des contrats responsables des complémentaires santé, un changement réglementaire qui pourrait exclure l’ostéopathie et les médecines douces du remboursement par les mutuelles. Si la décision se confirme, elle marquerait un tournant majeur pour les 25 à 30 millions de consultations annuelles concernées, et ce malgré l’opposition affichée par une large majorité de Français.
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Un décret sans débat parlementaire
La révision du périmètre des contrats responsables n’aura pas lieu dans l’hémicycle. Selon les procédures en cours, le gouvernement prévoit d’agir par décret avant la fin de l’année 2025, sans passer par la voie législative. Ce choix permet d’éviter un débat parlementaire sur un sujet pourtant sensible. Les contrats responsables, qui couvrent aujourd’hui 96 % des assurés en complémentaire santé, pourraient ainsi être privés de toute faculté de prise en charge pour l’ostéopathie.
Ces soins, déjà exclus du remboursement par l’Assurance maladie obligatoire, sont pourtant pris en charge par la grande majorité des mutuelles à travers des garanties dites « responsables ». Un sondage Odoxa réalisé les 3 et 4 septembre 2025 indique que 55 % des Français ont eu recours à l’ostéopathie ces cinq dernières années, et 82 % se déclarent opposés à son déremboursement, y compris 74 % de ceux qui n’en ont jamais bénéficié.
Les effets de l’ostéopathie ne seraient pas supérieurs à ceux d’un placebo
Le signal réglementaire s’appuie sur deux rapports récents. D’abord, celui publié le 3 juillet 2025 par trois instances publiques — le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) et le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA). Ce document recommande d’exclure des contrats responsables l’ostéopathie et autres pratiques non conventionnelles, au motif qu’elles « ne font pas l’objet d’un niveau de preuve suffisant ».
Le rapport s’appuie principalement sur une revue de la littérature scientifique conduite par l’Inserm en 2012, selon laquelle les effets de l’ostéopathie ne sont pas supérieurs à ceux d’un placebo, à l’exception de certains troubles vertébraux. Le Sénat avait également ouvert la voie à cette révision dans un rapport de septembre 2024 sur les hausses de tarifs des complémentaires santé, suggérant de « sortir ces garanties du contrat solidaire et responsable ».
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Des parlementaires mobilisés contre le projet
Face à cette perspective, plusieurs députés ont pris publiquement position pour maintenir la prise en charge de l’ostéopathie. Guillaume Lepers, député apparenté au groupe Droite Républicaine, a saisi la ministre de la Santé dans une question écrite du 11 novembre. Il y souligne que l’ostéopathie est une profession réglementée, fondée sur une formation de 5 000 heures sous contrôle des agences régionales de santé, et rappelle que son déremboursement entraînerait un renoncement aux soins, notamment pour les plus modestes.
Sophie Pantel, députée socialiste de Lozère, a alerté dès le 14 octobre sur les effets potentiels de la mesure : recours accru aux médicaments antalgiques, arrêts de travail plus fréquents, et hausse des dépenses pour le régime obligatoire. Sandrine Josso, députée du groupe Les Démocrates, abonde dans le même sens : « Si les mutuelles ne couvrent plus l’ostéopathie, les patients se tourneront vers les consultations remboursées, ce qui générera une inflation d’actes médicaux et de prescriptions. »
Ces parlementaires ont tenté d’amender le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, en y intégrant des garanties en faveur de l’ostéopathie. Les amendements ont été jugés irrecevables, précisément en raison du caractère réglementaire de la réforme.
Un coût en hausse, mais marginal dans les dépenses de santé
Les rapports qui recommandent l’exclusion soulignent la hausse rapide des dépenses liées aux médecines dites connexes. En huit ans, le montant remboursé par les complémentaires pour ces prestations a été multiplié par cinq, atteignant 867 millions d’euros fin 2023, et plus d’un milliard en 2024. Cette somme représente toutefois une part modérée — entre 3 et 5 % — des dépenses totales des mutuelles, contre 10 % pour l’optique et le dentaire.
Les opposants au projet estiment que les économies ainsi réalisées seraient limitées, tandis que les effets collatéraux sur le système de santé public pourraient être plus lourds. Philippe Sterlingot, porte-parole du Syndicat français des ostéopathes, prévient : « Plutôt que d’aller voir un ostéopathe, les patients se tourneront vers des kinésithérapeutes ou des médecins généralistes, ce qui entraînera une hausse des examens médicaux, notamment d’imagerie. »
Un paradoxe croissant dans la politique de santé publique
Ce durcissement annoncé entre en contradiction avec la politique de protection sociale complémentaire mise en place par l’État employeur. Depuis 2022, les ministères sont tenus de proposer à leurs agents des contrats collectifs incluant un panier de soins défini par l’État. Or, ce panier intègre dans certains cas l’ostéopathie comme une garantie obligatoire, notamment dans le nouveau contrat PSC signé entre la MGEN et le ministère de l’Éducation nationale, qui entrera en vigueur en mai 2026.
Entre juin et septembre 2025, les syndicats professionnels ont lancé plusieurs campagnes de mobilisation. L’Unité pour l’Ostéopathie (UPO) et la Fédération Ostéopathie Solidarité ont initié des pétitions, interpellé les élus et renforcé leur présence médiatique. Leur objectif : empêcher une réforme jugée injuste et inefficace. Le timing est critique, car la décision gouvernementale est attendue d’ici la fin de l’année.
Cette mobilisation s’appuie sur l’argument d’un consensus sociétal : selon le sondage Odoxa, plus de huit Français sur dix, y compris ceux qui n’ont jamais eu recours à l’ostéopathie, s’opposent au projet. Pour les organisations professionnelles, le déremboursement entraînerait une perte sèche pour les patients, mais aussi un transfert de charge vers l’Assurance maladie.
La ministre en charge du dossier est Stéphanie Rist, nommée le 12 octobre 2025. Rhumatologue de formation et à l’origine de la loi Rist sur l’élargissement des compétences paramédicales, elle dispose d’un profil singulier qui pourrait peser dans la balance. Son cabinet n’a pas encore rendu publique sa position sur le déremboursement des médecines douces.


