Bardella à l’Élysée ?

L’ascension de Jordan Bardella est fulgurante. Mais peut-il vraiment devenir président ?

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À moins de deux ans de l’élection présidentielle, Jordan Bardella domine les intentions de vote. Crédité de 35 à 37,5 % selon les derniers sondages de novembre 2025, le président du Rassemblement national s’impose comme le favori. Mais cette popularité soulève une question centrale : Bardella a-t-il les compétences, l’expérience et la stature pour exercer la fonction de président de la République ?

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Une ascension rapide, mais une expérience limitée

Entré en politique à 16 ans, élu conseiller régional à 19 ans, député européen à 23, président du RN à 27 : le parcours de Jordan Bardella impressionne par sa rapidité. Il incarne une nouvelle génération, rompue aux codes de la communication contemporaine. Mais cette trajectoire express révèle aussi des manques structurels.

Son expérience professionnelle est inexistante en dehors du champ politique. Sur le plan universitaire, son parcours est marqué par une série d’échecs. Après avoir obtenu un bac ES mention très bien, il échoue au concours de Sciences Po, s’inscrit en géographie à la Sorbonne, abandonne une double licence histoire-espagnol après un semestre avec une moyenne de 5/20, puis valide difficilement sa première année de licence avant de chuter à 1,8/20 au dernier semestre de la troisième année. Il quitte l’université sans diplôme.

Au Parlement européen, son activité reste marginale. Il siège depuis 2019 mais ne participe qu’à la commission des pétitions. Son taux d’absence en commission avoisine les 70 % au début du mandat, et il n’a assisté physiquement à aucune réunion. En séance plénière, il affiche une présence de 94 %, essentiellement en visioconférence durant la pandémie.

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La campagne ratée des législatives de 2024, révélateur de fragilités

La séquence des législatives anticipées de juin-juillet 2024 a mis en lumière les limites opérationnelles de Bardella. Après le score record de 31,37 % aux européennes, la dissolution décidée par Emmanuel Macron semblait ouvrir un boulevard pour une prise de Matignon. Le RN termine pourtant troisième, avec seulement 143 députés.

Bardella reconnaît « des erreurs » et sa « part de responsabilité ». Des candidatures controversées, une gestion approximative de la polémique sur les binationaux et l’absence d’un véritable plan de gouvernement ont contribué à cet échec. Lors du débat télévisé du 23 mai face à Gabriel Attal, il est mis en difficulté sur des sujets économiques précis, notamment la fiscalité des géants du numérique ou la réforme du marché de l’électricité. Incapable de chiffrer ses propres mesures, il oscille entre 12 et 17 milliards d’euros pour le coût de la baisse de TVA.

Quel programme économique ?

Les mesures phares du programme économique du RN inquiètent les économistes. Baisse de la TVA sur l’énergie de 20 % à 5,5 % (entre 11 et 17 milliards d’euros), suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, exonération de charges patronales sous conditions, retour à la retraite à 60 ans : les annonces s’accumulent, sans financement solide.

Le cabinet Asterès estime que le déficit public atteindrait 6,4 % du PIB avec ces mesures, et la dette publique grimperait à plus de 117 % à moyen terme. Allianz Research souligne que les recettes envisagées (lutte contre la fraude, réduction de la contribution européenne, suppression d’agences) ne couvriraient « qu’une fraction des dépenses engagées ».

Une ligne diplomatique ambivalente

Sur la scène internationale, Bardella peine à clarifier sa position, notamment concernant la guerre en Ukraine. S’il affirme publiquement : « Je ne laisserai pas l’impérialisme russe absorber un État allié comme l’Ukraine », son groupe parlementaire vote régulièrement contre les résolutions de soutien à Kiev. En mars 2025, il cosigne une résolution avec une députée hongroise proche de Viktor Orban, appelant à l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. « Les médias qualifient cette position d’abandon, mais avec le mot ‘soutien’ sur l’emballage », résume un analyste.

Le RN reste marqué par son passé pro-russe. Marine Le Pen affichait encore une photo avec Vladimir Poutine sur ses tracts en 2022. Bardella a gardé dans ses rangs des figures comme Thierry Mariani, ouvertement russophiles. Son appartenance au groupe « Patriotes pour l’Europe », regroupant les alliés d’Orban et d’autres eurosceptiques, entretient la confusion sur sa vision géopolitique.

Une stratégie de communication efficace et une popularité chez les jeunes

Malgré ces fragilités, Jordan Bardella dispose d’un véritable savoir-faire communicationnel. Il s’est imposé sur les réseaux sociaux, avec 2,2 millions d’abonnés sur TikTok, où il devance largement les autres leaders politiques. Il y adopte une tonalité personnelle, directe, en évitant les débats techniques.

Sa proximité générationnelle avec les jeunes électeurs constitue un atout stratégique. En novembre 2025, 34 % des moins de 30 ans déclarent vouloir voter pour lui, avec un pic à 38 % chez les 22-25 ans. « C’est une personnalité politique jeune, il peut donc jouer sur le mimétisme et l’effet miroir », explique l’universitaire Marie Neihouser. Il entretient également une image populaire, mettant en avant ses origines à Drancy et se positionnant en « homme-peuple » face aux élites.

La normalisation du RN : une stratégie électorale assumée

Depuis sa prise de fonction à la tête du RN en novembre 2022, Bardella a engagé une transformation stratégique du parti. Abandon de la sortie de l’euro, conditionnement du retour à la retraite à 60 ans à un audit budgétaire, mise en avant de la rigueur financière : la ligne officielle se durcit sur le plan de la respectabilité. Cette normalisation séduit. En mai 2025, 41 % des Français estimaient qu’il a « la stature pour être président de la République ». En octobre, son image positive atteint 39 %, devançant Marine Le Pen et Édouard Philippe.

Si Bardella est élu en 2027, il deviendra le plus jeune président de la Ve République, à 31 ans. Mais l’âge n’est pas en soi un obstacle. Emmanuel Macron avait 39 ans en 2017. La vraie question est celle des compétences.

La présidence Bardella pourrait remettre en cause certains équilibres institutionnels. Le RN souhaite recourir à l’article 11 de la Constitution pour faire adopter par référendum des mesures comme la priorité nationale ou la réforme de l’immigration. Mais les juristes rappellent que ce dispositif ne peut pas servir à modifier la Constitution. « Un référendum organisé au titre de l’article 11 qui dérogerait à un principe constitutionnel serait arrêté par le Conseil constitutionnel en amont du scrutin », affirme Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil. Passer outre cette décision reviendrait à organiser un scrutin sans validation, violant directement l’article 60 de la Constitution.

Un contexte politique favorable au RN

Malgré ses limites, Jordan Bardella bénéficie d’un contexte politique qui lui est largement favorable. Le macronisme s’effondre. Gabriel Attal plafonne à 12 % d’intentions de vote, Édouard Philippe stagne sous les 20 %. « Lorsqu’un responsable politique répète que le pays est ruiné, mais que c’est son camp qui gouverne depuis sept ans, les Français entendent : ‘On a ruiné le pays’ », analyse Jean-Yves Dormagen.
L’instabilité gouvernementale, l’absence de majorité claire et le discrédit des partis traditionnels renforcent la position du RN. Une part croissante de l’électorat de droite, et même du centre, bascule vers Bardella. « La France périphérique de Guilluy qui vote RN, c’est aussi l’Amérique périphérique qui a élu Trump ou l’Angleterre qui a voté le Brexit », résume Bardella.

Une redéfinition de la notion de compétence politique

Face aux critiques sur son inexpérience, Bardella tente de redéfinir ce que signifie « être compétent ». Selon lui, la légitimité viendrait d’abord de la clarté des diagnostics et de la connexion avec le peuple. « Les Français ont sans doute le sentiment qu’on est connecté à leurs attentes », déclare-t-il sur RMC. Un conseiller du RN ajoute : « Quand ils nous regardent de haut, ils font sentir à nos électeurs qu’ils n’ont pas le droit de s’asseoir à la table des élites ». Cette stratégie transforme un déficit technique en atout populiste. Mais elle soulève une question de fond sur les exigences de la fonction présidentielle.

La succession de Marine Le Pen, un enjeu interne majeur

Condamnée en mars 2025 à cinq ans d’inéligibilité, Marine Le Pen pourrait être définitivement empêchée de se présenter. En novembre, elle a confirmé sur RTL qu’elle se rangerait derrière Bardella si la sanction était confirmée.
Mais cette passation de pouvoir ne se fait pas sans tensions. Bardella cherche à imposer ses hommes dans l’appareil, provoquant des rivalités internes. « Une grande partie de notre camp va dire ‘Ciao Marine’. Bardella va la mettre à l’envers », confie un cadre au site StreetPress.



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