L’huître méditerranéenne défie le réchauffement climatique

Confrontée à la crise climatique, la filière huîtres en Méditerranée explore une solution inédite : une souche autochtone capable de survivre à 30°C.

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Face à l’accélération du changement climatique, les conchyliculteurs de Méditerranée misent sur une stratégie inédite : sélectionner une huître naturellement résistante à la chaleur, sans recourir à la modification génétique. Une réponse pragmatique à une crise écologique et économique qui menace l’ensemble de la filière.

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Le réchauffement climatique fragilise l’étang de Thau

Hausse des températures, acidification de l’eau, salinité accrue : le cocktail climatique affecte sévèrement les équilibres biologiques de la lagune de Thau. Été après été, la situation se dégrade. En août 2024, la température de surface de la Méditerranée a atteint 28,9°C, soit 2,7°C au-dessus de la médiane des quarante dernières années. Des pics à 30°C ont été enregistrés entre Nice et la Corse.

À ces niveaux, les huîtres ne survivent plus. Les moules, elles, souffrent dès 27°C et meurent au-delà de 28°C. En juillet 2025, une malaïgue – phénomène d’anoxie responsable de mortalités massives – s’est déclenchée de manière exceptionnellement précoce. Les conséquences sont immédiates pour les producteurs.

Une stratégie scientifique pour adapter la filière conchylicole

À Mèze, dans l’Hérault, le Comité régional de conchyliculture de Méditerranée (CRCM) pilote une stratégie de réponse articulée autour de trois axes : l’adaptation climatique, la pérennisation économique des entreprises et la valorisation des produits régionaux. Sous l’impulsion de son directeur, Fabrice Grillon, le CRCM collabore avec le CNRS et l’Ifremer dans le cadre du projet CocoriCO2, lancé en 2020. Deux unités expérimentales, installées en Bretagne Nord et à Mèze, reproduisent les conditions environnementales prévues pour 2050, 2075 et 2100. Les huîtres et moules y sont élevées dans des conteneurs climatisés, soumis à des niveaux de température et de pH simulant les projections climatiques.

L’expérimentation a permis d’observer plusieurs générations de coquillages dans des conditions extrêmes, et de publier des résultats cruciaux pour la compréhension de leur résilience.

Une lignée méditerranéenne plus résistante que les autres

Les huîtres élevées en Méditerranée sont issues depuis les années 1970 de naissains atlantiques. Pourtant, une lignée locale s’est développée de manière autonome dans l’étang de Thau. Identifiée par l’Ifremer, cette souche méditerranéenne présente une résistance accrue aux pathogènes et au réchauffement de l’eau. Encore faut-il localiser précisément cette lignée et la stabiliser. La sélection naturelle, plutôt que la modification génétique, reste au cœur de la démarche. C’est le principe retenu par le projet NatiUstra (2019-2022), piloté par le Cépralmar en partenariat avec le CRCM, l’Ifremer et le lycée de la mer Paul-Bousquet. Ses résultats ont validé la possibilité de capter naturellement des huîtres dans la lagune de Thau, avec de très bonnes performances de croissance et une forte résistance aux mortalités et aux malaïgues.

Le virus OsHV-1 µVar, responsable de 60 à 100% de mortalité chez les juvéniles importés, atteint parfois 85% en Méditerranée. Les huîtres autochtones, elles, présentent une résistance nettement supérieure.

Vers une écloserie régionale pour sécuriser la filière

Pour renforcer cette autonomie, une étude est en cours dans le cadre du contrat de filière conchylicole Occitanie. Elle vise à évaluer la faisabilité d’une écloserie-nurserie d’huîtres méditerranéennes à Frontignan. Cette infrastructure permettrait de développer la recherche appliquée sur les souches locales, de produire des naissains adaptés au climat et de réduire la dépendance aux écloseries atlantiques. C’est une étape clé pour sécuriser l’avenir de la filière régionale.

Au-delà des enjeux écologiques, la conchyliculture méditerranéenne traverse une crise économique profonde. La production régionale s’élève à 7 000 tonnes d’huîtres et 4 300 tonnes de moules par an, soit à peine 7 % de la production nationale. En France, celle-ci atteint 80 910 tonnes pour un chiffre d’affaires de 403 millions d’euros.

Mais les prix sont en chute libre : -10 % en 2023, encore -10 % en 2024. Une baisse qui fragilise toute la filière, d’autant que les ventes de fin d’année représentent une part déterminante du chiffre d’affaires. Toute crise sanitaire survenant à l’approche de Noël met en péril la viabilité des exploitations.

Une pollution chronique aux effets multigénérationnels

Le climat n’est pas le seul facteur de stress pour les huîtres. Une étude de l’Ifremer publiée en octobre 2025 dans le cadre du projet Emergent’Sea révèle une contamination généralisée du littoral français. Sur une centaine de substances analysées, près de 75 % ont été détectées au moins une fois dans l’eau de mer, et 65 % dans les huîtres et moules.

Les 30 sites échantillonnés, de la baie de Somme à la Corse, sont touchés. Parmi les polluants identifiés : l’atrazine (herbicide interdit depuis 20 ans), des médicaments (paracétamol, carbamazépine, oxazépam), et des antifoulings. Ces composés affectent le système immunitaire des coquillages, réduisent leur fertilité et ont des effets persistants sur plusieurs générations.

À Sète, une technologie de purification expérimentale est actuellement testée pour lutter contre le norovirus. Développée par la société Coldep, la solution ValAqua, testée jusqu’en février 2025, affiche une réduction de 99,9 % des charges bactériennes et virales.

Diversifier la production avec le retour de l’huître plate

Pour diversifier les risques, certains producteurs méditerranéens misent sur la réimplantation de l’huître plate (Ostrea edulis). Des programmes comme FOREVER et REEFOREST, menés en Bretagne, ont montré qu’il est possible de restaurer les gisements de cette espèce, plus robuste et au cycle différent.

Une enquête du Cépralmar montre que 17 producteurs en Méditerranée élèvent déjà de l’huître plate, et que 29 autres prévoient de s’y engager. La diversification apparaît comme une voie complémentaire à la sélection d’une huître creuse locale résistante.



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