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C’est un peu le concours Lépine de la fiscalité. À l’Assemblée, chaque député semble vouloir laisser sa trace dans le labyrinthe des impôts. Depuis le début de l’examen du budget 2026, les amendements pleuvent. Propositions inédites, idées farfelues, mesures déconnectées : le festival est lancé. Une agitation qui ferait presque oublier que ce texte est censé tracer la route budgétaire du pays, pas combler l’absence de cap politique.
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3 800 amendements déposés sur la partie recettes
Le décor est posé : pas de majorité, pas de 49.3 (du moins pour le moment), et un Premier ministre qui a décidé de faire confiance à l’arithmétique parlementaire, ce sport de combat sans arbitre. Résultat : plus de 3 800 amendements déposés sur la seule partie recettes. Tout le monde y va de sa petite idée, souvent plus idéologique que budgétaire, plus électorale que crédible. À tel point que le rapporteur général du budget, Philippe Juvin, s’est fendu d’un aveu sans fard : “Un texte devenu incompréhensible”. Autrement dit, illisible, même pour ceux qui l’ont écrit.
Du yacht au super-dividende…
Il y a d’abord les cibles faciles, médiatiquement rentables : les jets privés, les yachts, les grands crus, les Ferrari de collection. Une taxe sur les biens dits « somptuaires », rebaptisée et reformatée en cours de route, passe de 2 % à 20 %. Viser les riches, c’est toujours un bon réflexe en temps de vaches maigres.
Puis vient la mode des « super-dividendes ». Un amendement passé contre l’avis du gouvernement prévoit une taxe de 20 à 33 % pour les entreprises versant des dividendes supérieurs à 1,25 fois leur moyenne 2017-2019. Une version moderne de l’impôt sur les excès – sauf que la définition de l’excès reste floue, et son rendement incertain.
Coup de théâtre au rayon surprise : un député RN fait adopter une surtaxe sur les rachats d’actions, qui passe de 8 % à 33 %. Stupeur au gouvernement, qui semble découvrir l’amendement en même temps que le reste du pays.
Vaper, commander, spéculer : tout devient taxable
La créativité ne s’arrête pas aux grandes fortunes. Le quotidien des Français est aussi devenu terrain de jeu fiscal, à commencer par les cigarettes électroniques. Une taxe de 3 à 5 centimes par millilitre de e-liquide est introduite, selon la teneur en nicotine. Une autre, plus protectionniste, vise les petits colis de moins de 150 euros importés depuis des plateformes non européennes. Comprendre : Temu et Shein. Là aussi, l’inventivité s’emballe : taxe petits colis, estampillée « souveraineté numérique ».
Même les cryptoactifs n’échappent pas à la chasse. Une extension de l’Impôt sur la Fortune Immobilière aux actifs « non productifs » vient élargir un peu plus l’assiette, avec toujours cette obsession de traquer l’argent qui dort – ou qui bouge trop. Autrement dit, un impôt sur la fortune improductive.
Les angles morts du système fiscal deviennent des terrains d’expérimentation. Une tentative (avortée) de faire passer la TVA sur les produits de luxe à 33 %, des crédits d’impôt étendus aux dessins animés et aux jeux vidéo, une niche Coluche transformée en crédit d’impôt pour les non-imposables. Sans oublier le mécénat élargi aux sociétés de courses hippiques – probablement au nom de la diversité culturelle.
Cerise sur le gâteau : la taxe GAFAM, doublée à 6 %. Une manière comme une autre de montrer les dents, tout en sachant qu’au fond, ce sont les consommateurs qui trinquent.
Une addition qui ne passe pas
Mais toute cette agitation a un coût. Et pas qu’un peu. Selon les calculs du rapporteur général, les amendements déjà votés coûteraient 13 milliards d’euros, pour seulement 6,3 milliards de recettes nouvelles. Bilan : près de 7 milliards de pertes sèches par rapport au projet initial. Le tout dans un contexte où l’État promet de serrer les boulons.
Le rejet du gel du barème de l’impôt sur le revenu (2 milliards envolés), couplé à la défiscalisation accrue des heures sup’ (1,15 milliard), donne à cette session un goût amer pour Bercy. Difficile de parler de rigueur budgétaire quand les chiffres racontent l’inverse.
Derrière cette surenchère fiscale se cache surtout une impuissance politique. Sans majorité stable, chaque groupe tente de laisser son empreinte, quitte à voter une taxe aujourd’hui et son exact contraire demain. Des alliances de circonstance font passer des mesures qui n’auraient jamais survécu à une vraie négociation de majorité. Et certains dispositifs risquent de ne pas survivre au filtre du Conseil constitutionnel, voire au droit européen.
Le Sénat, qui s’apprête à examiner le texte, devrait faire un grand ménage. Jean-François Husson, rapporteur général (LR), a promis de “nettoyer” les excès. Il va en falloir, car plus de 2 100 amendements restaient à examiner au 14 novembre, pour un vote prévu le 17 et une transmission impérative au Sénat avant le 23. Autant dire que le calendrier ressemble de plus en plus à un casse-tête.


