Une entreprise française décroche le contrat du siècle

C’est un contrat record : 7.000 camions pour 5 milliards d’euros. Découvrez comment Arquus a raflé la mise dans ce marché ultra-convoité.

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Un marché de près de 5 milliards d’euros, 7.000 camions militaires à produire en plusieurs tranches, une victoire nette d’Arquus face à des poids lourds européens. Selon des informations exclusives révélées par le site d’information économique La Tribune, le constructeur français de blindés, filiale du groupe belge John Cockerill depuis juillet 2024, aurait remporté l’appel d’offres lancé par le ministère des Armées pour renouveler le parc logistique de l’armée de Terre. Ce contrat marque un tournant industriel et stratégique dans l’approvisionnement en matériels de défense terrestre.

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Un appel d’offres historique dans la défense terrestre

Lancé par la Direction générale de l’armement (DGA), ce programme vise à doter les forces terrestres françaises d’une nouvelle génération de camions militaires polyvalents. L’enjeu est de taille : il s’agit de remplacer une large part des véhicules logistiques en service, dans un contexte de montée en puissance des capacités de projection et de réactivité des forces.
L’exercice Orion mené en 2023 a exposé au grand jour les défaillances critiques de la flotte logistique de l’armée de Terre. Le général Yves Métayer, chef de la division emploi des forces à l’état-major des armées, a reconnu lors d’une audition parlementaire en juin 2023 que « la flotte de camions tactiques a éprouvé nos limites ». Les camions actuels, notamment les Renault GBC 180 en service depuis 1998 et les TRM 2000, sont à bout de souffle malgré plusieurs campagnes de remise à niveau.

Le contrat, qualifié de « contrat du siècle » par plusieurs sources industrielles, comprend la livraison de 7.000 véhicules répartis en plusieurs tranches optionnelles, pour un montant global évalué à environ 5 milliards d’euros dans son scénario maximal. La dernière étape de la compétition s’est jouée le 14 octobre, date à laquelle les industriels ont remis leurs offres finales (Best and Final Offers) à la DGA, avant leur ouverture le 17 octobre.

Arquus l’emporte grâce à une offre économique décisive

Arquus, associé stratégiquement à Daimler Truck, aurait emporté la décision grâce à une proposition financière jugée particulièrement compétitive. Selon nos informations, le constructeur tricolore aurait devancé ses concurrents en proposant un prix très en dessous de ceux de ses rivaux, ce qui aurait largement pesé dans la balance.
Le partenariat Arquus-Daimler Truck, annoncé le 2 juillet 2024, va bien au-delà d’une simple association commerciale. Il s’agit d’un co-développement stratégique portant sur la militarisation du Zetros, camion 6×6 de Mercedes-Benz. Ce véhicule est déjà en service dans plusieurs armées avec plus de 15.000 exemplaires livrés mondialement, notamment au Canada, en Lituanie et en Ukraine.

Ce rapprochement répond à une contrainte industrielle majeure : depuis la vente d’Arquus par Volvo Group au belge John Cockerill en juillet 2024, le constructeur français n’a plus accès aux groupes motopropulseurs et châssis de Renault Trucks/Volvo qui équipaient l’ancienne gamme Armis. Arquus ne pouvait donc plus proposer une solution 100% interne pour ce type de contrat. Le tandem met en avant une capacité de montée en cadence rapide, jusqu’à plusieurs centaines d’unités par mois.

Face à lui, trois concurrents majeurs étaient encore en lice : Soframe, en partenariat avec l’Italien Iveco ; MAN, filiale du groupe Volkswagen ; et le suédois Scania. Selon nos informations, Soframe aurait obtenu une évaluation technique particulièrement favorable, mais son offre n’aurait pas pu rivaliser économiquement avec celle d’Arquus.
Pour être sélectionnés, les candidats devaient répondre à des critères stricts : chiffre d’affaires minimum de 600 millions d’euros sur les trois dernières années, capacité de production annuelle de 1.000 camions minimum, et véhicules aérotransportables, résistants aux tirs balistiques et protégés contre les engins explosifs improvisés.

Une décision aux répercussions industrielles et stratégiques

La sélection d’Arquus illustre une approche de souveraineté industrielle nuancée : si l’entreprise reste ancrée en France avec ses sites de production et de militarisation (Limoges, Saint-Nazaire, Garchizy, Satory, Lisses), elle s’appuie sur une plateforme allemande (Zetros de Daimler Truck) et appartient désormais au groupe belge John Cockerill. Cette configuration reflète une logique de coopération européenne de défense, dans un contexte où aucun constructeur national ne dispose plus de l’ensemble de la chaîne de valeur.

Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, malgré une performance technique qui ne serait pas nécessairement supérieure à celle de certains concurrents, souligne les priorités budgétaires du ministère des Armées dans un contexte de forte contrainte financière, malgré une hausse continue de la loi de programmation militaire.

L’acquisition d’Arquus par John Cockerill, finalisée en juillet 2024 pour environ 300 millions d’euros, s’inscrit dans un renforcement de la collaboration militaire franco-belge. La France et la Belgique sont entrées chacune à 10% du capital de John Cockerill Defense, confirmant l’importance stratégique de cette opération au-delà de sa dimension purement industrielle.
Ce programme s’annonce également comme un catalyseur pour l’industrie de défense terrestre française. Ce nouveau succès confirmerait la position d’Arquus comme fournisseur privilégié de la DGA pour les véhicules logistiques, après avoir déjà remporté en avril 2024 le contrat des camions-citernes de nouvelle génération (CCNG) pour 120 millions d’euros. Ce contrat CCNG, qui prévoit la livraison de 376 véhicules d’ici 2030 (dont 70 pour une première tranche livrée dès 2026), constitue le premier incrément du programme FTLT. Il a permis à Arquus de confirmer son leadership sur la composante logistique de l’armée française et sa maîtrise des cabines blindées, conçues et fabriquées à Garchizy, ainsi que de l’assemblage de véhicules militaires réalisé à Limoges.
Arquus a également remporté plusieurs autres contrats pour des véhicules blindés, notamment le VLRA, le Sherpa, et le Griffon en consortium, consolidant ainsi son rôle de fournisseur clé du ministère.

Prochaines étapes : développement et livraisons étalées jusqu’en 2037

Si Arquus est confirmé lauréat, la phase de développement et de commande des premiers ensembles débutera rapidement. Une première tranche de 3.210 camions devra être livrée d’ici 2032, dans le cadre d’un marché qui s’étalera sur 12 ans. L’objectif est de livrer plus de 2.080 camions d’ici 2030, puis jusqu’à 9.466 véhicules à horizon 2035, pour répondre aux besoins croissants de l’armée de Terre, notamment dans le cadre des opérations extérieures et du renforcement des capacités logistiques.
Ce calendrier serré impose à Arquus une montée en cadence rapide de ses capacités industrielles, en partenariat avec Daimler Truck, pour garantir des livraisons conformes aux exigences de qualité et de délais fixées par la DGA. La production sera répartie entre les sites d’Arquus en France et ceux de Daimler Truck en Allemagne (Wörth am Rhein) et en France (Molsheim, Alsace).

Les perdants du contrat : des acteurs de poids écartés

Ce contrat redistribue les cartes entre les industriels européens du secteur. MAN (Volkswagen) et Scania, qui nourrissaient des ambitions importantes sur le marché français, sont écartés du contrat principal. Scania reste néanmoins un acteur majeur de la défense française : l’industriel suédois a récemment remporté un contrat pour 50 véhicules « Vampire » (blindés de transport de troupes) en novembre 2025, confirmant sa présence dans l’écosystème de défense français sur des marchés parallèles.
Soframe, malgré une proposition technique jugée supérieure selon certaines sources, ne parvient pas à transformer l’essai. L’échec du tandem franco-italien souligne les limites d’une stratégie fondée uniquement sur la performance produit, dans un contexte de recherche d’optimisation des coûts.

Une victoire industrielle française à confirmer sur le terrain

La sélection d’Arquus pour ce méga-contrat confirme la place centrale de l’industriel dans l’écosystème de défense français. Elle pose néanmoins une double exigence : tenir les engagements industriels dans un calendrier contraint, et démontrer, sur le terrain, la pertinence opérationnelle du matériel proposé. Le succès du programme dépendra de la capacité du constructeur à transformer cette victoire commerciale en réussite technico-opérationnelle durable, tout en gérant la complexité d’une chaîne de production franco-belgo-allemande.



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4 commentaires sur « Une entreprise française décroche le contrat du siècle »

  1. Ce n’est pas une victoire française, c’est une défaite industrielle.
    Le seul constructeur candidat qui assemble ses véhicules en France, c’est Scania. Les autres ne font que monter les retroviseurs et peindre en brun TDF les véhicules.
    La DGA a axé son choix sur le prix, sans essais, sans grille particulière ni pourcentage de « francisation ».
    Las ! Mercedes va livrer un véhicule 100% allemand et les équipementiers français, dont certains fournisseurs d’Arquus, ne seront même pas à bord.
    Sur un contrat de 7000 camions, 7000 !

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  2. tout a fait d’accord. c’est une victoire industrielle allemande comme c’est souvent le cas. globalement nous perdons un savoir faire en multipliant les chaînes de conception.

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    • La France est ruinée et elle trouve encore le moyen d’emprunter a un prix exorbitant pour acheter des camions de guerre.
      il me semble que cet argent aurait été mieux utilisé dans l’éducation, la santé, ou l’efficacité énergetique.
      Alors que cet argent finissent dans les banques allemandes, anglaises ou américaines dans tout les cas c’est scandaleux

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