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- Un système sans SMIC, mais avec des minima sectoriels
- Des salaires très variables selon les secteurs
- 13e mois, primes : des compléments à intégrer
- Des millions de travailleurs en marge du système
- Un débat politique bloqué depuis 2023
- Une exception européenne de plus en plus isolée
- Nord industrialisé, Sud fragilisé : une fracture structurelle
- Un modèle en retard sur la productivité
L’Italie est l’un des derniers pays de l’Union européenne à ne pas disposer d’un salaire minimum légal. Dans une Europe où 22 des 27 États membres ont adopté un dispositif national contraignant, Rome persiste dans un modèle fondé sur les conventions collectives. Si cette architecture permet une certaine flexibilité salariale, elle expose aussi une partie importante de la population active à la précarité. Ce système hybride, hérité d’une culture syndicale ancienne, est aujourd’hui au centre d’un débat politique et économique tendu.
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Un système sans SMIC, mais avec des minima sectoriels
Contrairement à la France, à l’Allemagne ou aux Pays-Bas, l’Italie n’a pas fixé par la loi un salaire minimum interprofessionnel. Les rémunérations minimales y sont définies par secteur, au sein des conventions collectives nationales (CCNL), négociées entre syndicats (CGIL, CISL, UIL) et organisations patronales (Confindustria, Confcommercio, etc.). Ce système couvre entre 85 % et 95 % des salariés italiens, selon les estimations.
Environ 900 conventions définissent les conditions salariales, avec des montants adaptés aux réalités économiques propres à chaque branche. Ce modèle revendique une certaine efficacité : il permet une régulation souple en fonction des contraintes spécifiques de secteurs comme la métallurgie, l’agriculture ou l’hôtellerie-restauration. Les défenseurs de ce système avancent qu’un SMIC national risquerait d’homogénéiser des situations profondément disparates.
Des salaires très variables selon les secteurs
Les premiers repères de salaire minimum généralisé apparaissent en mars 2024, avec un accord intersectoriel qui fixe un plancher à 9 euros bruts de l’heure dans l’industrie manufacturière. Cet accord, considéré comme historique, a depuis été décliné dans plusieurs branches clés. Les salaires minimums mensuels bruts sur la base de 40 heures hebdomadaires sont très hétérogènes :
- Métallurgie : entre 1 650 € et 1 890 €, secteur historiquement bien structuré.
- Commerce de détail : entre 1 420 € et 1 580 €, avec des écarts selon la taille des entreprises.
- Hôtellerie-restauration : entre 1 380 € et 1 520 €, souvent complété par les pourboires et avantages en nature.
- Agriculture : entre 1 300 € et 1 450 €, secteur marqué par la saisonnalité et le recours à une main-d’œuvre étrangère.
- Textile-habillement : entre 1 380 € et 1 550 €, principalement concentré dans le Nord.
- Bâtiment et travaux publics (BTP) : entre 1 480 € et 1 720 €, où la pénibilité du travail est souvent compensée par des primes.
- Services à la personne : entre 1 350 € et 1 480 €, un secteur en forte croissance mais peu valorisé.
En comparaison, le SMIC français s’élève à 1 802 € bruts par mois en 2025. En Allemagne, il atteint 2 161 €, aux Pays-Bas 2 193 € et au Luxembourg 2 638 €. Ces écarts soulignent le niveau relativement bas des rémunérations minimales en Italie, même dans les secteurs les plus structurés.
13e mois, primes : des compléments à intégrer
Les montants bruts ne reflètent pas toujours le pouvoir d’achat réel des travailleurs italiens. Dans la majorité des conventions collectives, un 13e mois de salaire (« tredicesima ») est versé en décembre, représentant une prime équivalente à 8,33 % du revenu annuel. Certaines catégories bénéficient également d’un 14e mois, bien que cette pratique soit plus marginale et souvent réservée aux retraités modestes.
S’ajoutent d’autres compléments : indemnités de transport (50 à 150 € mensuels), tickets restaurant (7 à 10 € par jour travaillé), primes de performance ou d’ancienneté. En 2025, le salaire brut moyen en Italie est d’environ 38 200 € par an, soit 2 735 € mensuels sur 14 mois, inférieur au niveau français (39 800 € annuels).
Malgré ces ajustements, le salaire net moyen italien oscille entre 1 700 et 1 800 € mensuels, contre 2 733 € en France dans le secteur privé.
Des millions de travailleurs en marge du système
Entre 5 % et 15 % des travailleurs italiens ne sont couverts par aucune convention collective active. Cette population inclut une part importante de jeunes, de femmes, de migrants, ainsi que des employés de maison, des saisonniers agricoles ou des travailleurs du tertiaire peu qualifié. Les chiffres les plus récents donnent une image préoccupante :
- 90 % des employés de maison non couverts
- 35 % des travailleurs agricoles
- 26 % du secteur privé hors convention active
- 38 % des moins de 35 ans
- 26 % des femmes
Entre 2021 et 2024, les salaires réels ont baissé de 7,5 %, marquant l’un des reculs les plus importants parmi les grandes économies de l’OCDE. Cette chute s’explique par une stagnation économique persistante, une productivité en berne et un tissu entrepreneurial fragmenté.
Un débat politique bloqué depuis 2023
Depuis 2023, plusieurs partis de gauche (PD, M5S, Sinistra Italiana, Azione) ont déposé des propositions de loi pour instaurer un SMIC à 9 euros bruts de l’heure. Mais la coalition gouvernementale de droite menée par Giorgia Meloni s’y oppose fermement. Pour la présidente du Conseil, un SMIC légal risque de devenir un point de référence à la baisse. Une crainte partagée par certains syndicats, notamment dans l’industrie du Nord, où les accords de branche garantissent déjà des conditions supérieures au seuil envisagé.
À contre-courant de la position du gouvernement, Ignazio Visco, gouverneur de la Banque d’Italie, a appelé en 2023 à instaurer un salaire minimum légal, y voyant une réponse à des « revendications de justice sociale non triviales ».
Une exception européenne de plus en plus isolée
En 2025, seuls quatre autres pays de l’UE — Autriche, Danemark, Finlande et Suède — n’ont pas de salaire minimum légal. Ces nations disposent toutefois d’un taux de couverture syndicale quasi universel, avec des conventions collectives touchant plus de 95 % des travailleurs.
L’Italie, en revanche, connaît une couverture hétérogène et incomplète. Le modèle devient ainsi une exception de plus en plus difficile à défendre à l’échelle continentale. Les écarts de niveau entre pays sont également flagrants :
- Luxembourg : 2 638 €
- Irlande : 2 282 €
- Pays-Bas : 2 193 €
- Allemagne : 2 161 €
- Belgique : 2 112 €
- France : 1 802 €
- Slovénie : 1 278 €
- Espagne (14 mois) : 1 184 €
- Italie : aucun SMIC légal, avec des planchers pratiques estimés entre 1 050 € et 1 250 €
Nord industrialisé, Sud fragilisé : une fracture structurelle
Au-delà des secteurs, les disparités territoriales renforcent les blocages. Les régions du Nord — Lombardie, Vénétie, Piémont — enregistrent des salaires bruts moyens de 2 900 à 3 200 €, avec un coût de la vie supérieur de 25 % à la moyenne nationale. À l’opposé, le Sud — Campanie, Sicile, Calabre — affiche des rémunérations entre 1 800 et 2 200 €, avec un taux de chômage proche de 15 %, soit près du double de celui du Nord.
Instaurer un SMIC uniforme à l’échelle nationale ferait donc courir un risque de choc économique aux zones les plus fragiles, où une partie de l’emploi repose sur des rémunérations en dessous de ce seuil.
Un modèle en retard sur la productivité
Le cœur du problème est économique. La productivité horaire italienne est inférieure de 15 % à celle de la France. Cette faiblesse s’explique par une prévalence de PME familiales peu performantes, une faible intensité en recherche et innovation, et une spécialisation dans des secteurs à faible valeur ajoutée.
Dans ce contexte, fixer un SMIC à 9 euros de l’heure pourrait précipiter la disparition des emplois précaires, sans amélioration de l’économie sous-jacente. Plusieurs économistes estiment qu’aucune réforme salariale ne pourra produire d’effet réel sans un saut de compétitivité et d’investissement dans le capital humain.


