Sexisme, solitude, fatigue : entreprendre au féminin

Isolement, sexisme, maternité : le baromètre Créatrices d’Avenir 2025 met en lumière les défis persistants des femmes entrepreneures.

Afficher le résumé Masquer le résumé

Le dernier baromètre du concours « Créatrices d’Avenir », piloté par le réseau Initiative Île-de-France, dresse un constat sans ambiguïté sur la situation des femmes entrepreneures en 2025 : malgré des trajectoires solides, une volonté intacte et une implication croissante dans le tissu économique, le sexisme, l’isolement, le syndrome de l’imposteur et la complexité liée à la maternité continuent de peser lourdement sur leur quotidien. Les progrès en matière d’égalité ne suffisent pas à enrayer des mécanismes de domination qui demeurent profondément ancrés dans les rapports professionnels.

A LIRE AUSSI
Retraites des femmes : les chiffres qui choquent

Sexisme ordinaire et violences symboliques : un terrain toujours miné

Les chiffres avancés par l’enquête menée auprès de 615 dirigeantes sont éloquents. 56 % d’entre elles déclarent avoir été victimes de discriminations de genre, soit une hausse de 5 points par rapport à l’année précédente. Le sexisme prend des formes multiples : 45 % ont subi des propos paternalistes ou déplacés, 16 % ont été confrontées à des avances lors de rendez-vous professionnels, et 5 % évoquent des situations de chantage ou pressions à caractère sexuel. Des comportements qui ne sont pas sans conséquences sur les choix stratégiques de ces entrepreneures : 41 % affirment avoir dû modifier leur parcours ou éviter certains environnements professionnels pour se protéger.

Un isolement persistant, révélateur d’un manque de soutien structurant

Le sentiment de solitude ressort également comme une composante centrale du vécu entrepreneurial. Avec une note moyenne de 5,35 sur 10, cette impression d’isolement est particulièrement marquée dans les phases de tension ou de décision. Pour 39 % des sondées, ces périodes accentuent la vulnérabilité. Plus préoccupant encore, 18 % indiquent ressentir cette solitude quotidiennement, et 7 % l’éprouvent même dans leurs réussites, faute de reconnaissance ou de partage. Si l’appartenance à des réseaux peut atténuer cet isolement — 53 % y participent activement — une part importante reste en demande de dispositifs collectifs. Le mentorat, le coaching ou encore les groupes de parole apparaissent parmi les solutions les plus sollicitées.

Le poids du syndrome de l’imposteur constitue un autre indicateur de la fragilité psychologique engendrée par un environnement encore largement genré. Ce phénomène touche 93 % des femmes interrogées, dont les deux tiers de manière régulière. La défiance envers ses propres compétences ou la peur de l’échec ne relèvent pas ici de l’ordre privé : elles freinent concrètement le développement des projets. Près de la moitié des dirigeantes avouent ne pas oser se mettre en avant, ou hésitent à solliciter financements et partenariats, par crainte d’être jugées incompétentes ou illégitimes. Ce doute, renforcé par des représentations sexistes omniprésentes, contribue à freiner l’ambition et à contenir la prise de risques.

Maternité et carrière : une articulation encore peu pensée

Autre réalité structurelle sous-estimée : la maternité, toujours perçue comme un frein par 37 % des répondantes. Malgré une certaine flexibilité offerte par l’entrepreneuriat, les difficultés d’articulation entre vie professionnelle et charge familiale restent vives. Le besoin de solutions concrètes — crèches, aides spécifiques, mentorat pour mères entrepreneures — est exprimé massivement. Il s’agit moins ici de choix individuels que de défaillances systémiques : absence d’infrastructures, manque de reconnaissance, invisibilisation des contraintes spécifiques aux femmes dirigeantes.

Pour autant, le tableau n’est pas uniquement celui d’un découragement généralisé. L’élément le plus frappant du baromètre réside dans la résilience des femmes entrepreneures. 93 % d’entre elles referaient le même choix, malgré les embûches. Cette donnée ne doit toutefois pas masquer les mécanismes de résistance obligée, souvent au prix d’une surcharge mentale et d’un investissement émotionnel supérieur à celui exigé des hommes. Ce volontarisme n’est pas une caution à l’inaction des pouvoirs publics ni un remède contre les inégalités structurelles.

Créatrices d’Avenir

Le programme « Créatrices d’Avenir », initié en 2011, se positionne comme un levier d’action en proposant un accompagnement renforcé : coaching, mentorat, formations, financements, mise en réseau. Si son impact est indéniable — 4 900 candidatures analysées, 220 finalistes et 90 lauréates accompagnées —, il illustre aussi la nécessité d’un soutien systémique à l’échelle nationale. L’enjeu dépasse le cadre individuel : il touche à l’organisation même de l’économie, à la répartition du pouvoir entrepreneurial, et à la capacité de faire de l’égalité femmes-hommes un moteur de croissance et non un slogan.

Les constats posés par cette étude sont clairs, récurrents et convergents avec d’autres travaux similaires : les obstacles rencontrés par les femmes entrepreneures ne relèvent pas de déficits personnels, mais de structures discriminantes. Le sexisme, l’isolement, les stéréotypes de genre, la difficile conciliation des rôles sociaux ne sont pas des faiblesses individuelles, mais les symptômes d’un système à repenser. La résilience des femmes n’est pas une solution durable. C’est aux institutions, aux acteurs économiques et aux dispositifs d’accompagnement de réviser leurs logiques d’action pour enfin rendre l’égalité effective dans le monde entrepreneurial.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire