Bruno Retailleau, l’homme seul

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La libération de Boualem Sansal, arrachée par Berlin sans l’appui de Paris, expose au grand jour le déclassement diplomatique de la France. Mais le revers est d’abord personnel pour Bruno Retailleau. Ancien ministre de l’Intérieur, actuel président d’un parti en crise, il sort laminé d’une séquence où tout a mal tourné : stratégie internationale erratique, gestion gouvernementale explosive, autorité interne en chute libre. Le sénateur vendéen, qui rêvait de structurer la droite autour d’une ligne dure, se retrouve aujourd’hui en position de faiblesse, contesté jusque dans son propre camp.

L’Algérie tourne le dos à Paris

Le 12 novembre, Boualem Sansal quitte Alger à bord d’un avion militaire allemand. Le romancier franco-algérien, emprisonné depuis plus d’un an, est libéré à la demande expresse du président Steinmeier. Paris ? Absent du tableau. Le communiqué d’Alger ne mentionne même pas la France, préférant saluer ses « bonnes relations » avec Berlin. Un camouflet.
L’échec est d’autant plus cuisant que l’Élysée avait tenté une médiation parallèle, mais sans effet concret tant que Bruno Retailleau restait à l’Intérieur. Ce n’est qu’après son départ que les discussions ont pu aboutir, selon plusieurs sources diplomatiques. Un aveu implicite d’échec pour celui qui avait choisi la confrontation avec Alger comme marqueur politique.

Une stratégie rigide, sans résultat

Retailleau avait fait du bras de fer avec l’Algérie un axe de communication. Il dénonçait la « diplomatie des bons sentiments », menaçait les accords bilatéraux de 1968, et multipliait les déclarations à l’emporte-pièce. Dans les couloirs du Quai d’Orsay, cette posture passait mal. Trop raide, contre-productive.
Pour les proches du dossier, c’est précisément cette ligne qui a durci la position algérienne et prolongé la détention de Sansal. À gauche, Mathilde Panot et Rima Hassan parlent même d’« instrumentalisation ». Le chercheur Brahim Oumansour observe qu’un dialogue constructif n’a été possible qu’après le départ de Retailleau. Conclusion : il a été un obstacle, pas une solution.

Une sortie de route gouvernementale

Le 5 octobre, Retailleau est reconduit à l’Intérieur dans le gouvernement Lecornu I. Il n’y restera pas 24 heures. Sitôt la composition de l’équipe révélée, il dégaine un message incendiaire contre la nomination de Bruno Le Maire, qu’il accuse de trahir la « rupture » promise. Résultat immédiat : chute du gouvernement le lendemain. Le plus court de la Ve République.
Retailleau plaide la surprise, affirmant que la présence de Le Maire lui aurait été cachée. Peu crédible. Y compris chez ses soutiens. L’un d’eux résume : « Il est parti pour un caprice. C’est incompréhensible. »

Cette sortie précipitée a révélé une autre faiblesse : Retailleau ne contrôle plus sa famille politique. Lorsqu’il appelle à boycotter le gouvernement Lecornu II, six ministres LR refusent de le suivre. Il les menace d’exclusion. Dix jours plus tard, ils ne seront que suspendus, après une intervention directe de Gérard Larcher. Retailleau recule. Et perd la main.
Le malaise est palpable au sein des Républicains. Les critiques fusent, souvent en off, parfois en public. Laurent Wauquiez, rival stratégique, capte l’oreille des députés. À l’Assemblée, la majorité des élus LR plaide pour un ancrage dans la majorité. Retailleau reste figé. Michèle Tabarot lui lance : « Tu n’as pas été à la hauteur. » Le constat est partagé.

Un ministre sans bilan solide

Treize mois à l’Intérieur, et un seul bilan mis en avant : l’immigration. Retailleau revendique une baisse des régularisations et des naturalisations, une hausse des éloignements. Mais ces chiffres sont contestés. Marine Le Pen parle de « fiction ». Et sur les relations avec l’Algérie, la politique du clash a fait reculer tous les dossiers : sécurité, visas, expulsions. Des expulsés sont même revenus faute d’accords.

Élu triomphalement à la tête de LR en mai, Retailleau pensait avoir verrouillé le parti. En novembre, tout se fissure. Wauquiez prend l’ascendant. Les appels à clarifier la ligne se multiplient, notamment sur l’attitude à adopter face au RN. Retailleau se ferme, refuse le débat. Résultat : isolement grandissant, absence de cap, sondages moroses. Le retour au Sénat, le 6 novembre, ne change rien. Il récupère son siège, mais plus le groupe. Son autorité est grignotée par en haut et par la base. L’homme fort du printemps est devenu l’homme seul de l’automne.

Un candidat déclassé

Il y a quelques mois, Retailleau se rêvait en rassembleur d’une droite « ferme sur les valeurs ». Il apparaît désormais comme un chef contesté, un stratège déconnecté, un ministre sans résultats. Sa méthode — posture dure, communication martiale, mépris du compromis — a échoué sur toute la ligne. Le cas Boualem Sansal, qu’il voulait transformer en démonstration de force, incarne au contraire son isolement.



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