Retraites : qui pourra partir plus tôt ?

3,5 millions de Français pourraient partir plus tôt à la retraite : découvrez si vous êtes concerné par la suspension de la réforme jusqu’en 2028.

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La réforme des retraites ne tombe pas, mais elle marque une pause. Votée à l’Assemblée nationale, la suspension du relèvement progressif de l’âge légal à 64 ans repousse son application à 2028. Le Sénat, à majorité de droite, pourrait tenter de revenir sur cette décision. Mais déjà, les effets sont concrets pour des millions d’actifs. Et le coût grimpe.

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Une suspension votée, mais pas encore gravée dans le marbre

Mercredi 12 novembre, 255 députés ont approuvé la suspension de la réforme adoptée en 2023. Ils étaient 146 à s’y opposer. La mesure est intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale et doit maintenant passer l’épreuve du Sénat, où la droite pourrait tenter un rétablissement partiel du texte. Le calendrier est serré : examen en commission dès le 13 novembre, débat en séance publique le 19, vote solennel prévu le 22. En cas de blocage, une commission mixte paritaire tranchera.

Ce gel partiel concerne les générations nées de 1964 à 1968. Concrètement, un salarié né en 1964 pourra partir à 62 ans et 9 mois, avec une retraite à taux plein s’il valide 170 trimestres – contre 63 ans et 171 trimestres avec la réforme en vigueur. Un amendement de dernière minute a élargi le bénéfice aux personnes nées début 1965, pour éviter qu’une même génération soit soumise à deux règles différentes.
L’enjeu est aussi politique : éviter un relèvement de l’âge légal en pleine année présidentielle. La réforme reprendra sa trajectoire normale en 2028, sauf changement législatif d’ici là.

Carrières longues : retour à des conditions plus souples

Les salariés ayant commencé à travailler tôt – notamment dans le privé – profiteront également d’un assouplissement. Le dispositif « carrières longues » est rétabli dans une version plus favorable, à partir de 2026. Moins de trimestres requis, départ possible avant l’âge légal. Mais les effets sont différés : seuls les départs après le 1er septembre 2026 sont concernés. En cause, la nécessaire adaptation des systèmes informatiques. Coût de la mesure : 200 millions d’euros en 2026, 500 millions en 2027.

Les régimes spéciaux de la fonction publique ne sont pas oubliés. Policiers, pompiers, égoutiers, militaires de carrière et agents des catégories dites « actives » retrouvent leurs dispositifs de départ anticipé. Un cas particulier revient dans le périmètre : les infirmiers hospitaliers ayant accepté en 2010 une revalorisation salariale contre un départ repoussé. Ils pourront de nouveau partir plus tôt. Une mesure symbolique, dans un hôpital sous tension.

Combien de bénéficiaires au final ?

En théorie, environ 3,5 millions d’actifs sont concernés – sur la base de 700 000 départs en retraite par an sur cinq ans. Mais tous ne partiront pas plus tôt. Certains n’auront pas assez cotisé. D’autres préféreront attendre quelques mois pour bénéficier d’une surcote. Les principaux bénéficiaires ? Ceux qui relèvent déjà d’un dispositif d’anticipation : carrières longues, régimes spéciaux. Le nombre réel sera inférieur à l’estimation brute.

Les chiffres ont été revus à la hausse après les derniers amendements votés. La suspension coûtera 300 millions d’euros en 2026, puis 1,9 milliard en 2027. Une facture qui s’ajoute à un budget de la Sécurité sociale en mauvais état : 15,3 milliards d’euros de déficit en 2024, 23 milliards attendus en 2025. Le gouvernement visait un retour à 17,5 milliards en 2026. Objectif désormais hors de portée.

Et ce n’est qu’un début. Le Conseil d’orientation des retraites prévoit un déficit de 6,6 milliards d’euros en 2030. À plus long terme, le trou pourrait atteindre -1,4 point de PIB, même en cas de retour à la réforme.

Une compensation fiscale partielle

Pour compenser partiellement le coût de la suspension, le gouvernement a relevé la CSG sur les revenus du capital : de 9,2 % à 10,6 %. Résultat : la flat tax grimpe à 31,4 %. Rendement attendu : près de 2,8 milliards d’euros par an à partir de 2026.
Une autre piste a été écartée, au moins temporairement : la sous-indexation des pensions, c’est-à-dire une revalorisation inférieure à l’inflation. Politiquement risquée à l’approche de 2027, cette mesure pourrait revenir plus tard dans le débat.

La réforme de 2023 n’est pas annulée. Elle est suspendue jusqu’au 1er janvier 2028. Sans nouveau texte, la trajectoire reprendra comme prévu : âge légal à 64 ans en 2033. C’est un gel, pas un virage. Un décalage dans le temps, sans refonte structurelle.

Un paysage politique éclaté

Le vote du 12 novembre illustre les fractures du moment. PS, écologistes, RN et Liot ont voté pour la suspension. Renaissance et le MoDem se sont abstenus. LFI, LR et une partie de la majorité ont voté contre. Le Sénat s’annonce hostile, rendant la commission mixte paritaire décisive.Les syndicats sont partagés. La CFDT salue un compromis utile pour les carrières longues. La CGT critique un geste insuffisant et budgétairement problématique. L’UNSA se veut prudente, consciente de la fragilité du texte.

Oui, certains partiront plus tôt. Mais la question du financement reste entière. Le compromis voté à l’Assemblée est fragile, transitoire, incertain. La réforme des retraites, repoussée, reviendra. Et avec elle, un débat explosif que ni la majorité ni l’opposition ne semblent prêts à clore.



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