Pourquoi nos étudiants en médecine partent étudier à l’étranger ?

Pourquoi des milliers d’étudiants français choisissent l'étranger pour faire médecine ? Une réforme décriée et un système à bout de souffle.

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Chaque année, entre 5 000 et 10 000 étudiants français choisissent de quitter la France pour étudier la médecine en Europe. La Roumanie, avec 2 600 inscrits, est devenue l’un des premiers pays d’accueil. D’autres pays suivent : Belgique, Allemagne, Espagne. Ce phénomène s’est amplifié depuis la réforme de 2020, et il révèle une crise bien plus profonde que celle d’un simple concours d’accès. Entre espoirs déçus, système inégalitaire, conditions de travail dégradées et fuite de talents, l’exode des étudiants de médecine est devenu un symptôme d’un système à bout de souffle.

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Étudier la médecine hors de France : un phénomène de masse

Ce qui n’était qu’un phénomène marginal il y a une décennie est aujoPasurd’hui massif. Selon le ministère de la Santé, environ 1 600 étudiants recalés chaque année en France partent à l’étranger pour étudier la médecine. La Roumanie concentre le plus grand nombre de ces départs. À Cluj-Napoca, Bucarest ou Iași, les universités de médecine proposent des formations en français, reconnues par l’Union européenne, sans concours d’entrée. La Belgique, surtout en Wallonie, accueille environ 680 étudiants français. L’Allemagne et l’Espagne complètent ce paysage.
Cette dynamique repose sur un fait simple : il est devenu plus accessible d’intégrer une université étrangère, parfois même francophone, que de franchir les filtres du système français.

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Réforme PASS-LAS : un dispositif inégal et opaque

En 2020, le gouvernement supprime la PACES et introduit deux nouvelles voies d’accès aux études de santé : le PASS (Parcours Spécifique Santé) et la LAS (Licence Accès Santé). Officiellement, cette réforme devait rendre le système plus juste et diversifié. En pratique, elle a multiplié les inégalités.
Selon un rapport de la Cour des comptes publié en décembre 2024, la réforme est « difficilement lisible », « complexe » et « coûteuse ». Le taux d’accès aux filières de santé (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie) est de 36 % pour les étudiants en PASS, mais seulement de 17 % pour ceux en LAS. Ces écarts s’aggravent au redoublement, avec des chances d’accès réduites à moins de 10 % pour certains profils.
Les disparités territoriales sont également criantes. À Paris-Saclay, 51 % des étudiants en PASS accèdent à une filière de santé, contre 15 % à Grenoble-Alpes. Dans les universités périphériques, notamment celles sans UFR santé, les chances d’intégrer une filière MMOP deviennent quasi nulles.

Impossibilité de redoubler et rigidité du système

Contrairement à la PACES, le système PASS-LAS ne permet plus de retenter sa chance. Un étudiant qui échoue une fois n’a plus la possibilité de se représenter. Cette rigueur élimine de fait des candidats pourtant motivés, bien préparés, mais défaits par un système trop rigide.
Le ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, reconnaît lui-même que la réforme a « accéléré les départs à l’étranger ». Il pointe également le rôle actif de certains pays qui recrutent les étudiants français, notamment la Belgique et la Roumanie.

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Étudier la médecine en Roumanie

En Roumanie, l’accès se fait après le baccalauréat, sans concours. Plusieurs universités proposent des cursus complets en français, pour un coût annuel moyen de 8 500 euros. Ces formations suivent le processus de Bologne et sont reconnues dans toute l’Union européenne. Les stages cliniques sont intégrés progressivement, à l’image de ce qui se pratique en France.
L’université de Cluj accueille à elle seule plus de 1 000 étudiants français répartis entre médecine, pharmacie, odontologie et médecine vétérinaire. En Belgique, l’attractivité repose sur la proximité linguistique et la qualité académique des universités wallonnes.

Mais cet exil n’est pas sans conséquences. Entre 2015 et 2017, plusieurs suicides d’étudiants français ont été recensés à Cluj. En avril 2015, deux décès confirmés et deux tentatives ont poussé les autorités à réagir. Un psychiatre envoyé sur place, Pascal Pannetier, décrit une jeunesse « en souffrance », marquée par l’isolement, l’éloignement familial et une pression académique intense.
Le burn-out est une réalité.L’intégration dans le pays d’accueil reste souvent superficielle, les étudiants restant majoritairement dans une bulle francophone.

Des conditions de travail dissuasives en France

La médecine générale, pilier du système de soins français, peine à séduire. Les internes en médecine générale gagnent entre 1 617 et 1 650 euros nets par mois la première année. En Allemagne, leurs homologues touchent jusqu’à 5 200 euros. En Suisse, les salaires peuvent atteindre 7 500 euros mensuels.
Le métier souffre aussi d’une surcharge de travail : les internes travaillent en moyenne 58 à 59 heures par semaine. En zones rurales, certains généralistes gèrent seuls des milliers de patients. Résultat : en 2024, le nombre de généralistes a diminué de 0,5 %. La médecine générale représente désormais 42 % de l’effectif médical, contre 48 % en 2010.

Selon une enquête de la MACSF menée en 2025, 40 % des étudiants en médecine présentent des symptômes de burn-out, 60 % ont envisagé d’abandonner leur cursus, et 70 % souffrent d’anxiété. Le mal-être ne s’arrête pas à l’université : 58 % des médecins déclarent avoir souffert de dépression, d’épuisement professionnel ou de pensées suicidaires ces dernières années.

Le retour en France : un parcours semé d’obstacles

Théoriquement, les diplômes obtenus dans l’Union européenne sont reconnus en France. En pratique, le parcours administratif est long, opaque et parfois décourageant. Il faut obtenir des attestations de conformité, parfois attendre des mois, sans certitude sur les équivalences pratiques.
Lors de l’Examen Classant National (ECN), les étudiants formés à l’étranger enregistrent des taux d’échec plus élevés, posant la question de l’harmonisation réelle des cursus européens.

Adoptée en juin 2025, la loi 2025-580 autorise théoriquement le retour anticipé des étudiants formés en Europe, dès la quatrième année de médecine. Les modalités seront définies par décret, mais plusieurs autorités, dont l’Ordre des médecins et la Conférence des doyens, s’inquiètent des différences de niveau entre formations.

Crise de la démographie médicale : un enjeu national

Au 1er janvier 2025, la France compte 241 255 médecins en activité, dont 100 000 généralistes. Cette proportion est en baisse constante. Les zones sous-denses s’étendent : 87 % du territoire est classé en désert médical. Six millions de Français sont sans médecin traitant.
Les installations de nouveaux généralistes stagnent. Seules 579 installations ont eu lieu en zones sous-dotées en 2024. La féminisation de la profession (près de 50 % des médecins) et la volonté croissante des jeunes praticiens de privilégier le salariat et un meilleur équilibre vie pro/perso modifient profondément les attentes.

Réforme 2025–2026 : vers une territorialisation des études de médecine

Face à cette crise, le gouvernement supprime le numerus apertus. Les Agences régionales de santé (ARS) définissent désormais les capacités d’accueil selon les besoins territoriaux. Une proposition de loi adoptée au Sénat en octobre 2025 prévoit aussi la création d’une voie unique d’accès aux études de santé, simplifiée et plus lisible.
Mais les moyens manquent. La Conférence des doyens alerte sur l’insuffisance des ressources pédagogiques : enseignants, locaux, encadrement. L’ANEMF dénonce également une « coercition déguisée » : l’attribution imposée des lieux d’internat risque d’aliéner encore davantage les jeunes médecins.



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