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C’est une avancée judiciaire majeure qui pourrait profondément reconfigurer le rapport de l’Europe à l’Ukraine. Selon des sources proches du dossier citées par le Wall Street Journal et recoupées par plusieurs médias européens, les enquêteurs allemands chargés de faire la lumière sur le sabotage du gazoduc Nord Stream 2 en septembre 2022 ont établi une responsabilité ukrainienne. Après plus de trois ans d’investigations menées à Potsdam, les autorités allemandes considèrent qu’un commando lié aux forces spéciales de Kiev a mené l’attaque depuis un voilier affrété avec de faux papiers en Allemagne.
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Ces conclusions, désormais consolidées par des éléments matériels et des mandats d’arrêt européens, placent Berlin face à un dilemme stratégique inédit : comment maintenir un soutien politique et militaire massif à l’Ukraine alors que l’un de ses actes clandestins a gravement porté atteinte aux intérêts vitaux allemands ?
Une enquête de longue haleine
Depuis septembre 2022, une cellule de procureurs et d’enquêteurs allemands coordonne discrètement l’un des dossiers judiciaires les plus sensibles d’Europe. Basés à Potsdam, ils ont mobilisé des moyens d’investigation exceptionnels : analyse des mouvements nautiques, reconnaissance faciale, recoupement de données télécom, travail sur les réseaux de location de bateaux.
Le yacht Andromeda, loué en Allemagne avec de faux papiers, aurait servi de base d’opérations à un groupe de six à sept individus comprenant des plongeurs, un coordinateur logistique et une femme servant de couverture. Tous sont suspectés d’être liés aux forces spéciales ukrainiennes ou à leurs réseaux parallèles.
Six mandats d’arrêt européens ont été émis par l’Allemagne à l’encontre de citoyens ukrainiens. L’enquête les identifie comme les exécutants directs de l’attaque, sur la base de témoignages, d’analyses techniques et de traces numériques.
L’opération aurait été initiée au sommet de l’appareil militaire ukrainien
D’après l’enquête du Wall Street Journal parue en août 2024, le sabotage aurait été approuvé initialement par le président ukrainien Volodymyr Zelensky au printemps 2022, avant que la CIA ne l’en dissuade. L’ordre aurait été annulé, mais le général Valeriy Zaluzhniy, alors chef d’état-major, aurait poursuivi l’opération avec un plan modifié. L’exécution aurait impliqué des soutiens privés ukrainiens et aurait coûté environ 300 000 dollars.
Le colonel Roman Chervinsky, ancien officier des forces spéciales, est désigné comme le coordinateur de l’opération. Il nie les faits et affirme être victime d’une manipulation politique. Il est actuellement assigné à résidence en Ukraine dans une autre affaire.
Zelensky, interrogé par le journal Bild en juin 2023, a nié toute implication : « Je ne ferais jamais cela », déclarait-il. Mais les éléments réunis par les procureurs allemands contredisent cette ligne de défense.
L’Allemagne confronte ses alliés à une coopération judiciaire tendue
Deux suspects majeurs ont été localisés : l’un en Italie, l’autre en Pologne. Mais les procédures d’extradition illustrent la fragmentation de la réponse européenne. En Pologne, Volodymyr Zhuravlyov, instructeur de plongée, a été libéré par un tribunal qui a jugé l’acte « justifié, rationnel et juste » dans le cadre de la guerre. À l’inverse, en Italie, Serhii Kuznietsov, arrêté en août 2025 à Rimini, fait toujours l’objet d’une procédure judiciaire contestée.
Le 15 octobre, la Cour de cassation italienne a bloqué l’extradition vers l’Allemagne, estimant que les faits ne relevaient pas du terrorisme. Mais le 27 octobre, la cour d’appel de Bologne a autorisé l’extradition. L’affaire est désormais entre les mains de la plus haute juridiction italienne. L’avocat de Kuznietsov invoque une immunité fonctionnelle en tant qu’ancien officier militaire.
Le Premier ministre Donald Tusk a défendu publiquement la libération du suspect ukrainien par la justice polonaise. Il a déclaré : « Le problème de l’Europe n’est pas que Nord Stream 2 ait été détruit, mais qu’il ait été construit ». Pour Varsovie, l’attaque contre le gazoduc s’inscrit dans une logique de légitime défense stratégique contre la Russie. Cette prise de position confirme une rupture de doctrine entre Berlin et Varsovie. La Pologne considère que la dépendance énergétique à Moscou était une erreur historique. L’Allemagne, de son côté, subit les conséquences économiques, diplomatiques et politiques directes du sabotage.
Un choc énergétique et environnemental pour l’Allemagne
Avant la guerre, Nord Stream 1 et 2 devaient assurer plus de 50 % des importations de gaz allemandes. Leur sabotage a accéléré une crise énergétique sans précédent. Le prix du gaz a doublé fin 2022, l’inflation a dépassé les 9 % en 2023 et le gouvernement allemand a mobilisé plus de 90 milliards d’euros pour amortir l’impact sur les ménages et les entreprises.
Sur le plan environnemental, l’explosion a relâché 465 000 tonnes de méthane, un gaz à effet de serre au potentiel de réchauffement 82 fois plus élevé que le CO₂ sur 20 ans. Selon une étude publiée dans Nature en janvier 2025, il s’agit de l’un des plus grands rejets de méthane jamais enregistrés en lien avec une action humaine.
Certains experts, notamment au sein des services européens et américains, contestent la faisabilité d’une telle opération menée depuis un seul voilier. Plonger à 90 mètres nécessite des moyens logistiques importants, notamment pour gérer la décompression. Le New York Times a évoqué dès avril 2023 la possibilité que le Andromeda ait été un leurre. La complexité technique du sabotage suggère que d’autres moyens ont pu être mobilisés, comme des drones submersibles ou un second navire non identifié. Les enquêteurs allemands continuent d’explorer ces pistes, mais la version officielle s’appuie pour l’instant sur les preuves accumulées autour du voilier Andromeda.
Berlin face à une fracture stratégique dans son soutien à Kiev
Depuis le début de l’invasion russe, l’Allemagne a versé près de 40 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine. Le nouveau gouvernement dirigé par Friedrich Merz (CDU), en fonction depuis mai 2025, a annoncé un budget d’aide supplémentaire de 11,5 milliards d’euros pour 2026.
Mais l’opinion publique allemande est de plus en plus divisée. À l’Est du pays, une majorité reste sceptique face à l’engagement militaire. Les conséquences économiques de la guerre, l’accueil de plus d’un million de réfugiés et la révélation du sabotage pèsent lourdement sur la confiance des électeurs.


