Grande distribution en Martinique : la condamnation de Parfait est-elle révélatrice de l’état du marché ?

Le groupe Parfait, poids lourd de la grande distribution en Martinique, a récemment écopé d’une amende de 7,6 millions d’euros pour pratiques anticoncurrentielles. L’entreprise avait tardé à revendre un hypermarché, au détriment des consommateurs martiniquais. Cette sanction rare éclaire un marché, souvent accusé d’une hyper-concentration, mais où les entorses à la concurrence restent marginales.

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La condamnation est historique. Le 3 novembre 2025, l’Autorité de la concurrence a infligé au groupe Parfait – gestionnaire des enseignes Leclerc en Martinique – une amende record de 7,6 millions d’euros. L’entreprise n’a pas respecté les engagements pris fin 2022 lors du rachat de l’hypermarché Géant Casino de Schœlcher et du centre commercial qui l’abrite, La Batelière.

Parfait sanctionné pour pratiques anticoncurrentielles

L’Autorité craignait que cette acquisition n’étouffe la concurrence « sur le marché local de la distribution à dominante alimentaire ». Elle avait néanmoins autorisé l’opération en décembre 2022, à condition que le groupe Parfait revende l’hypermarché dans les neuf mois et préserve « la valeur du fonds de commerce ». Le groupe Sainte-Claire s’est implanté en 2022 en Martinique, en reprenant les enseignes Ecomax à Ho Hio Hen Distribution, ex-propriétaire du Géant Casino de Schœlcher. Il a formulé une offre de rachat de l’hypermarché avant la fin du délai prévu, restée sans réponse de Parfait. La vente n’a été actée que deux ans plus tard, en septembre 2025. Durant l’intervalle, Parfait n’a pas entretenu le centre commercial.

L’Autorité a justifié le montant des sanctions par « des pratiques particulièrement graves », ayant « empêché les consommateurs martiniquais de bénéficier rapidement d’une nouvelle offre ». De plus, « en dégradant fortement la valeur » de l’actif, le groupe Parfait a réduit son attractivité et retardé « sa réouverture par le repreneur ».

Martinique : la grande distribution loin du mythe du monopole

À première vue, la décision semble confirmer le cliché d’une grande distribution martiniquaise monopolistique et peu concurrentielle, responsable de prix plus élevés qu’en métropole. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire.

En 2024, six grands groupes se partagent le marché martiniquais : GBH (26,8 %), CREO (22,5 %), Parfait (21,7 %), SAFO (10,9 %), Fernand HHH (7,3 %) et Sainte-Claire (4 %). Le secteur est donc relativement équilibré, sans domination écrasante d’un acteur unique. Cette répartition n’est d’ailleurs guère différente de celle de la France métropolitaine : Leclerc (24,1 %), Carrefour (22,0 %), Intermarché (17,5 %), Système U (12 %), Auchan (9,4 %) et Lidl (7,8 %).

Concurrence féroce et marché « sans dysfonctionnement »

De plus, en Martinique, les enseignes vendent pour l’essentiel les mêmes produits, et ne se distinguent que par la qualité de leurs offres et le niveau des prix. La concurrence y est telle qu’en quinze ans, trois grands groupes ont quitté l’île en revendant tous leurs magasins : Ho Hio Hen Distribution en 2022, Lancry en 2011, Primistères-Reynoir en 2009.

La décision contre Parfait marque d’ailleurs une première : jamais l’Autorité de la concurrence n’avait sanctionné un distributeur martiniquais. Dans un rapport de 2019, l’Autorité n’avait relevé « aucun dysfonctionnement » sur le marché local de la grande distribution et relevait des marges « strictement comparables » à celles de la métropole, autour de 2 %.

Les causes de la vie chère en Martinique sont ailleurs

Certes, les prix alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés en Martinique qu’en métropole. Mais ces surcoûts tiennent avant tout à l’éloignement, l’insularité, la faible production locale et la taille réduite du marché – qui renchérissent les chaînes logistiques et la fiscalité. Le pouvoir d’achat est particulièrement pénalisé par les « frais d’approche » : fret, octroi de mer, dédouanement, transit local, transport terrestre…La sanction contre Parfait illustre d’ailleurs la vigilance de l’Autorité de la concurrence et la volonté des pouvoirs publics de garantir un marché équitable. Outre la spécificité insulaire, qui explique les écarts de prix, la vie chère en Martinique résulte aussi des taux de pauvreté et de chômage plus élevés qu’en métropole. Faire de la grande distribution un bouc émissaire revient à masquer ces causes structurelles, et peut empêcher d’agir pour y remédier.



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