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- Temps partiel, interruptions et salaires plus bas
- Tous les régimes ne se valent pas
- Des mécanismes correcteurs mal calibrés
- Les mesures prévues pour 2026 sont limitées
- Une charge invisible qui ne s’arrête jamais
- Un progrès trop lent face à l’ampleur du problème
- Repenser le système plutôt que le rafistoler
En matière de retraite, la France ne corrige pas les inégalités : elle les prolonge. Et parfois les aggrave. C’est ce que révèle une note publiée en octobre 2025 par l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes. Elle chiffre à 62 % l’écart entre les pensions de droit direct perçues par les hommes et les femmes. Loin devant les 37 à 40 % relevés par la DREES, l’organisme officiel. Même après ajout des pensions de réversion, les femmes perçoivent toujours 25 à 28 % de moins. Autrement dit : le système continue de rémunérer les carrières masculines plus généreusement, même après la fin de l’activité.
Temps partiel, interruptions et salaires plus bas
Ce chiffre de 62 % ne sort pas de nulle part. Il reflète une accumulation de désavantages vécus tout au long de la vie professionnelle : salaires plus faibles, carrières plus courtes, temps partiel subi. Les femmes représentent près de 80 % des salariés à temps partiel. Elles interrompent leur activité plus souvent pour raisons familiales. Résultat : des droits à la retraite rabotés dès le départ.
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Le mode de calcul des pensions ne fait qu’amplifier le déséquilibre. Dans le privé, la retraite repose sur les 25 meilleures années, un avantage pour les carrières linéaires, majoritairement masculines. Celles qui ont des carrières hachées, du fait d’enfants ou d’emplois précaires, voient leur pension pénalisée par la décote. Même une carrière continue ne protège pas : à durée équivalente, l’écart reste de près de 28 à 29 %, en raison des écarts salariaux persistants. À poste égal et temps plein identique, une femme touche encore en moyenne 14,1 % de moins qu’un homme. La mécanique est simple : moins on gagne, moins on cotise, moins on perçoit.
Tous les régimes ne se valent pas
L’écart de pension n’est pas uniforme. Il est plus prononcé dans le privé (46 %), où la retraite moyenne des femmes plafonne à 1 020 €, contre 1 890 € pour les hommes. Dans les professions libérales, l’écart atteint 38 %, et 35,6 % chez les non-salariés agricoles. En revanche, la fonction publique d’État limite la casse : les écarts y tombent à 16 %, grâce à des carrières plus continues et un calcul sur les six derniers mois de traitement, plus favorable aux bas revenus.
Un chiffre illustre la réalité : 75 % des retraités percevant moins de 1 000 € par mois sont des femmes. Près d’une femme retraitée sur deux est dans ce cas. Contre un homme sur sept. Et les écarts se creusent aussi dans le temps : une femme met en moyenne huit mois de plus qu’un homme pour atteindre le taux plein. Une sur cinq attend même 67 ans pour éviter la décote, contre un homme sur douze. Conséquence directe : 13 % des femmes de plus de 75 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Ce taux est inférieur à 8,9 % chez les hommes du même âge.
Des mécanismes correcteurs mal calibrés
L’assurance vieillesse des parents au foyer, les majorations pour enfants ou les pensions de réversion jouent un rôle. Mais partiel. Les pensions de réversion, qui concernent surtout les femmes (88 % des bénéficiaires), sont calculées sur la pension du conjoint décédé – à hauteur de 50 à 66 % selon les régimes. Elles prolongent une logique de dépendance économique plus qu’elles ne corrigent les inégalités. Les règles actuelles ne tiennent pas compte des évolutions familiales : une union libre ou une famille monoparentale peuvent exclure du dispositif.
Quant à l’allocation de soutien familial (ASF), elle ne pèse pas lourd : 195,85 € par mois. Elle ne compense ni les pensions alimentaires impayées, ni les carrières brisées. Et elle ne génère aucun droit à la retraite.
Les mesures prévues pour 2026 sont limitées
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2026 introduit quelques ajustements. À partir de l’an prochain, les mères pourront voir leur pension calculée sur 24 meilleures années (au lieu de 25), et sur 23 ans pour deux enfants ou plus. Cela concernera près de la moitié des femmes retraitées. Mais l’impact sera minime : pour une carrière au SMIC de 24 ans, le gain ne dépasse pas 40 € mensuels.
Une autre mesure prévoit deux trimestres supplémentaires pour certaines carrières longues à partir de septembre 2026. Elle concernera environ 13 000 femmes nées à partir de 1970. Le recul de l’âge minimum de départ, prévu par la réforme de 2023, est suspendu jusqu’en 2028. Des gestes à la marge, qui ne modifient pas l’architecture du système.
Une charge invisible qui ne s’arrête jamais
La retraite n’efface pas les inégalités domestiques. Au contraire, elle les prolonge. Les femmes continuent de s’occuper des proches, de garder les petits-enfants, d’assurer l’essentiel du travail familial non rémunéré. Selon la CNAF, près de 97 % des enfants gardés par un membre de la famille le sont par une femme. Un travail utile à la société, mais qui ne donne droit à rien. Il reste en dehors des radars du système.
En 2010, l’INSEE estimait à 42 milliards d’heures le volume annuel de travail domestique. Cette activité, sans salaire ni reconnaissance sociale, pèse sur le niveau de vie des retraitées.
Un progrès trop lent face à l’ampleur du problème
Oui, l’écart de pension a diminué : il était de 50 % en 2004. Il oscille désormais entre 37 et 40 %. Mais cette lente érosion est loin d’être satisfaisante. Le Conseil d’orientation des retraites anticipe encore un écart de 20 % en 2040 pour les générations nées dans les années 1970. Une lenteur qui en dit long sur la résistance des inégalités structurelles.
Pour les corriger, il ne suffira pas de petits ajustements paramétriques. C’est le système qu’il faut revoir.
Repenser le système plutôt que le rafistoler
L’Observatoire de l’émancipation économique des femmes appelle à une réforme globale. Il ne s’agit pas seulement de modifier la retraite, mais d’agir en amont : salaires, accès à l’emploi, temps de travail, répartition des tâches familiales. Le système de retraite est le reflet d’une carrière. Tant que les carrières restent inégalitaires, les pensions le seront aussi.
Reconnaître le travail invisible, mieux rémunérer les métiers féminisés, garantir des droits pour les parcours morcelés : autant de pistes pour en finir avec une mécanique qui pénalise à la fois l’individu et la société. Sinon, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Et les inégalités se transmettront comme un héritage.


