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- Flotte actuelle : un format devenu inadapté
- Une surutilisation chronique qui fragilise la flotte Rafale
- Multiplication des engagements : un effort qui entame la dissuasion
- Un virage technologique porté par le Rafale F5
- Un effort industriel encore insuffisant
- Le cap du « tout Rafale » à l’horizon 2035
- Des contraintes budgétaires et humaines majeures
- Une décision politique attendue
Le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, le général Jérôme Bellanger, alerte : la France doit porter le format de son aviation de chasse de 185 à 230 appareils. Ce besoin, exprimé depuis la base aérienne d’Évreux ce 6 novembre, traduit une pression opérationnelle croissante sur une flotte jugée insuffisante pour assurer durablement l’ensemble des missions stratégiques confiées aux forces aériennes.
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Flotte actuelle : un format devenu inadapté
La France dispose aujourd’hui de 185 avions de chasse pour l’armée de l’Air – Rafale et Mirage 2000 – auxquels s’ajoutent 41 Rafale pour la Marine nationale. Ce format est conforme à la trajectoire de la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit un parc de 225 Rafale à l’horizon 2035, avec le retrait progressif des Mirage 2000D.
Mais selon l’état-major, cette cible ne suffit plus. L’évolution du contexte stratégique impose une démultiplication des missions : dissuasion nucléaire, police du ciel, souveraineté aérienne, opérations extérieures. L’usage d’un même appareil pour plusieurs de ces missions simultanément n’est plus possible. Cette « démutualisation des contrats opérationnels » impose un redimensionnement de la flotte. L’évaluation actuelle fixe ce besoin à 230 avions pour l’armée de l’Air seule.
Une surutilisation chronique qui fragilise la flotte Rafale
Pour pallier ce déficit capacitaire, l’armée de l’Air surutilise actuellement sa flotte Rafale d’environ 15 %. Cette surexploitation permet de remplir les missions assignées à court terme, mais elle génère une usure accélérée des appareils et une hausse significative des coûts de maintenance.
Chaque Rafale nécessite entre 30 et 32 heures de maintenance au sol pour une heure de vol, et son maintien en condition opérationnelle est estimé entre 2,7 et 3,5 millions d’euros par an. À long terme, cette tension réduit la durée de vie des appareils et rend nécessaire leur remplacement anticipé, augmentant la pression sur la chaîne industrielle.
Multiplication des engagements : un effort qui entame la dissuasion
Les missions récentes confirment cet état de tension. En septembre, la France a déployé trois Rafale en Pologne pour répondre à des violations de l’espace aérien par des drones russes. Ces avions ont été prélevés sur les forces aériennes stratégiques, dédiées à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Ce type de réaffectation affaiblit directement la posture de dissuasion française, fondée sur une disponibilité permanente.
En parallèle, les engagements au sein de l’OTAN s’intensifient. La France doit garantir la mise à disposition de 40 avions de combat pour l’Alliance, en plus des moyens de défense aérienne et logistique associés. Depuis 2022, elle assure aussi le commandement de la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF), force de réaction rapide de l’OTAN. Cette accumulation de missions pèse directement sur les ressources humaines et matérielles.
Un virage technologique porté par le Rafale F5
Le renforcement de la flotte ne se limite pas à une question de nombre. Il s’agit aussi d’intégrer de nouvelles capacités pour faire face à l’évolution des menaces. L’armée de l’Air réclame notamment des moyens de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD), un domaine abandonné depuis la fin des années 1990.
Les futurs missiles RJ10 et Smart Cruiser, actuellement développés par MBDA, seront intégrés au Rafale F5 à partir de 2035. Ce standard marquera une rupture technologique : connectivité renforcée, emport de nouveaux armements, capacité de combat collaboratif avec un drone d’escorte dérivé du programme nEUROn, moteur M88 T-REX plus puissant. Le Rafale F5 sera également conçu pour emporter le futur missile nucléaire ASN4G, capable d’atteindre des vitesses supersoniques dépassant Mach 7.
Un effort industriel encore insuffisant
Face à la hausse de la demande, Dassault Aviation a engagé une montée en cadence progressive. L’avionneur est passé de 21 livraisons en 2024 à 25 prévues pour 2025. Il vise une production de quatre Rafale par mois en 2026, avec une capacité d’atteindre cinq appareils mensuels si nécessaire.
Cette accélération repose sur de nouveaux investissements industriels, notamment l’ouverture d’une usine à Cergy-Pontoise dédiée à l’assemblage du fuselage avant. Mais cette dynamique reste contrainte par les délais incompressibles de production : il faut en moyenne trois ans entre la fabrication des premières pièces et la livraison d’un Rafale.
Le cap du « tout Rafale » à l’horizon 2035
La transition vers un format exclusivement composé de Rafale se poursuit. Les 50 Mirage 2000D encore en service seront progressivement retirés d’ici 2035, après avoir bénéficié d’une rénovation à mi-vie. Ce format « tout Rafale » devrait permettre une rationalisation des flottes, mais impose une montée en puissance accélérée.
Selon les projections actuelles, l’armée de l’Air disposerait de 185 Rafale en 2035, contre 105 fin 2024. Avec les 41 Rafale de la Marine, cela porterait le total à 225 appareils. L’objectif de 230 avions pour l’armée de l’Air, évoqué par le chef d’état-major, impliquerait un total d’environ 270 chasseurs à l’échelle nationale. Une hypothèse de 285 Rafale est même envisagée dans certains scénarios de révision de la LPM.
Des contraintes budgétaires et humaines majeures
L’acquisition de 45 Rafale supplémentaires représente un effort financier considérable. Le coût unitaire d’un Rafale oscille entre 100 et 150 millions d’euros selon les configurations. À cela s’ajoutent les coûts d’exploitation sur plusieurs décennies, ainsi que les dépenses de maintenance et de soutien.
L’adaptation du dispositif humain est tout aussi cruciale. Former un pilote de chasse ou un mécanicien qualifié prend plusieurs années. Le budget 2026 prévoit le recrutement de 40 000 agents pour le ministère des Armées, dont 14 000 réservistes, mais ces chiffres devront être alignés sur les besoins spécifiques d’une flotte élargie.
Le maintien en condition opérationnelle du Rafale, assuré par un contrat verticalisé entre l’État et les industriels, devra également être ajusté. Il s’agira de garantir un taux de disponibilité d’au moins 75 à 80 % sur une flotte plus nombreuse.
Une décision politique attendue
L’actualisation de la Loi de programmation militaire, attendue d’ici fin novembre, sera un moment déterminant. La ministre des Armées Catherine Vautrin a évoqué une volonté d’ »accélération du réarmement », mais cette inflexion devra composer avec les contraintes budgétaires générales. Le projet de loi de finances 2026 prévoit des réductions dans plusieurs ministères, alors que les crédits alloués aux armées atteignent un niveau historique.
Le contexte stratégique ne laisse cependant guère de marge. Depuis septembre, l’Europe fait face à des incursions répétées de drones russes dans son espace aérien. L’armée de l’Air intensifie ses préparations à un conflit de haute intensité, comme en témoigne l’exercice Volfa 2025. Le chef d’état-major des armées a lui-même estimé possible un « choc avec la Russie » d’ici trois à quatre ans.
Dans ce cadre, la modernisation de l’aviation de chasse devient un enjeu de souveraineté et de crédibilité stratégique.


