Edouard Philippe veut continuer la politique d’Emmanuel Macron

Même stratégie, mêmes priorités : Philippe relance la politique de l’offre de Macron, avec un plan fiscal choc qui divise jusque dans sa propre majorité.

Afficher le résumé Masquer le résumé

Édouard Philippe a surpris en dévoilant, dès le 5 novembre sur LinkedIn, une proposition économique majeure : une baisse de 50 milliards d’euros par an des impôts de production, compensée par une réduction équivalente des « aides publiques improductives ». L’ancien Premier ministre, président du parti Horizons, qui devait initialement attendre les municipales de 2026 pour entrer dans la course présidentielle, choisit de se replacer dans le débat national par une initiative forte à destination des entreprises. Mais cette annonce, aussi spectaculaire soit-elle, soulève de nombreuses interrogations sur sa faisabilité, ses effets sociaux et sa cohérence politique.

A LIRE AUSSI
Les propositions chocs de Matthieu Pigasse

Un positionnement économique qui masque un repli politique

Depuis plusieurs semaines, Édouard Philippe cherche à faire oublier une séquence politique difficile. Son appel à une démission anticipée d’Emmanuel Macron, en octobre, a provoqué une onde de choc dans la majorité présidentielle. Jugée déloyale par une partie de ses anciens soutiens, sa sortie lui a coûté cher : il a perdu 5 points dans les intentions de vote, et jusqu’à 16 points chez les électeurs Les Républicains. Dans ce contexte de recul, la présentation d’un « deal fiscal » majeur apparaît comme une tentative de reprise en main stratégique. En ciblant les milieux économiques, Philippe cherche à reconstruire une crédibilité sur le terrain économique, son point fort historique, et à envoyer un signal clair à l’électorat libéral et patronal.

Le cœur de la proposition repose sur un échange simple : réduire de 50 milliards d’euros par an les impôts de production sur les entreprises, en supprimant pour un montant équivalent des aides publiques jugées inefficaces. Le principe vise à créer un « choc de compétitivité » pour l’industrie française, selon les mots de Philippe, en allégeant la fiscalité directe qui pèse sur la production, tout en diminuant la complexité des dispositifs d’aides.

Mais au-delà de l’effet d’annonce, les contours du projet restent flous. L’ancien Premier ministre ne précise pas quelles aides seraient ciblées ni comment leur suppression serait techniquement mise en œuvre. Or, les dispositifs existants représentent un paysage extrêmement hétérogène : selon le Haut Commissariat à la Stratégie et au Plan, le montant global des aides publiques aux entreprises varie entre 18 et 272 milliards d’euros, selon le périmètre considéré. Cette imprécision fragilise la crédibilité budgétaire de la mesure et interroge sur sa soutenabilité.

Des conséquences sociales potentiellement lourdes

Parmi les dispositifs évoqués en coulisses, figurent les aides à l’embauche d’apprentis et les soutiens à la formation professionnelle. Si ces aides venaient à être réduites, les premières victimes seraient les petites entreprises et les centres de formation d’apprentis (CFA), déjà affectés par des réformes récentes. Les montants actuels, bien qu’encadrés et proratisés, restent cruciaux pour la structuration de l’apprentissage en France.

La suppression ou la réduction de ces soutiens pourrait avoir un effet direct sur l’accès à la formation des jeunes, notamment en milieu rural ou dans les secteurs industriels. Ce point inquiète également les partenaires économiques : le Medef, tout en saluant l’intention de simplification, a exprimé sa prudence sur toute réforme touchant aux dispositifs d’apprentissage, jugés stratégiques pour la compétitivité à long terme.

Une continuité assumée avec le macronisme économique

La proposition de Philippe s’inscrit dans la lignée de la politique de l’offre menée par Emmanuel Macron depuis 2017. En tant que Premier ministre, il a lui-même supervisé la baisse de l’impôt sur les sociétés (de 33,3 % à 25 %), la transformation du CICE en allègements de cotisations, et la première phase de suppression de la CVAE. Pourtant, les effets macroéconomiques de ces mesures sont restés limités. La croissance française stagne autour de 1,2 % et l’écart de fiscalité entre la France et l’Allemagne reste important.

En relançant ce type de politique, Philippe mise sur une stratégie déjà éprouvée, sans pour autant proposer une rupture réelle. Il tente de réactiver le levier de compétitivité industrielle, mais dans un environnement budgétaire et politique considérablement fragilisé par l’instabilité gouvernementale et la dissolution de 2024. La promesse de stabilité fiscale sur cinq ans qu’il évoque semble difficile à garantir sans majorité parlementaire claire.

Un projet qui divise dans un paysage politique éclaté

L’annonce de Philippe a reçu peu de réactions officielles. Ni Sébastien Lecornu, actuel chef du gouvernement, ni aucun ministre n’a commenté publiquement la proposition. Ce silence souligne la tension persistante entre Horizons et la majorité présidentielle. Bruno Retailleau, président des Républicains, a quant à lui dénoncé la « folie fiscale » actuelle, exprimant une convergence de diagnostic sans apporter de soutien explicite à Philippe.

Dans ce contexte de fragmentation politique, l’ancien Premier ministre tente de se poser en alternative modérée, libérale et réformatrice. Mais son pari est risqué : en donnant la priorité aux entreprises et à la baisse des impôts, il court le danger de se couper de l’électorat modéré attaché aux services publics et à la redistribution. Il s’expose aussi à des critiques sur son manque de vision globale, puisque ce « deal fiscal » ne s’inscrit pas encore dans un programme présidentiel cohérent.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire