Achraf Hakimi ou le rêve brisé d’un peuple

Dans un climat social tendu, la CAN devait rassembler. L'incertitude autour d’Hakimi met en péril ce fragile moment d’unité nationale.

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À six semaines du coup d’envoi de la CAN 2025, que le Maroc organise sur son sol, la blessure d’Achraf Hakimi bouleverse les plans de la sélection nationale. Mais l’impact dépasse le terrain. Dans un pays traversé par des tensions sociales, une jeunesse en colère et une incertitude politique persistante, l’absence possible du capitaine des Lions de l’Atlas fragilise l’un des rares symboles d’unité nationale.

Ce mardi 4 novembre 2025, lors d’un match de Ligue des champions opposant le Paris Saint-Germain au Bayern Munich, Achraf Hakimi a été victime d’un tacle dangereux de Luis Diaz dans le temps additionnel de la première mi-temps. La scène a été largement relayée sur les réseaux sociaux : la cheville gauche du joueur se tord violemment, Hakimi s’effondre, puis quitte le terrain soutenu par le staff médical, en larmes.

Au Maroc, les images ont provoqué un électrochoc. Car au-delà de la blessure d’un joueur, c’est la possible absence du capitaine de la sélection pour la Coupe d’Afrique des Nations qui cristallise les inquiétudes.

Une incertitude cruciale à six semaines de la CAN

Les premiers examens médicaux ont confirmé une entorse de la cheville gauche. Selon les estimations communiquées par différentes sources proches du PSG, la durée d’indisponibilité se situerait entre quatre et six semaines. L’imagerie par résonance magnétique (IRM), réalisée le 5 novembre, n’a pas encore fait l’objet d’une communication officielle du club parisien. Le match d’ouverture de la CAN, entre le Maroc et les Comores, est prévu le 21 décembre à Rabat.

Un joueur unique

Achraf Hakimi est aujourd’hui l’un des joueurs les plus influents de la sélection marocaine. Son rôle dépasse celui d’un simple latéral droit. Dans le système de Walid Regragui, il est à la fois point d’ancrage défensif et catalyseur offensif. Par sa vitesse, sa précision de centre, son engagement, il est devenu un rouage tactique indispensable.
En octobre, Hakimi a été classé 6e au Ballon d’Or 2025, soit le meilleur classement jamais obtenu par un défenseur africain. Il est également le seul Africain à figurer dans le onze type de l’année du syndicat mondial des joueurs professionnels, FIFPRO. Capitaine de la sélection, il incarne aussi la génération dorée qui a propulsé le Maroc en demi-finale de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Son absence modifierait en profondeur les ambitions du pays pour sa CAN à domicile.

Une figure nationale au-delà du sport

Pour de nombreux Marocains, Achraf Hakimi incarne bien plus qu’un joueur d’exception. Né à Madrid de parents marocains, formé au Real, il a fait le choix du Maroc malgré la possibilité de jouer pour l’Espagne. Ce geste a marqué une génération. Hakimi est perçu comme un modèle d’ancrage, de loyauté et de réussite. À la fois proche des jeunes et attaché à ses origines populaires, il bénéficie d’un capital de sympathie rare dans un paysage marocain fragmenté.

Son image dépasse les clivages politiques, régionaux ou sociaux. Il est à la fois le joueur des élites urbaines et celui des quartiers périphériques, des jeunes diplômés comme des sans-emploi. Cette portée symbolique explique en partie la réaction collective suscitée par sa blessure. Dans un pays où les figures de consensus sont rares, Hakimi occupe une place singulière.

Un contexte national marqué par la tension et l’incertitude

La blessure d’Hakimi intervient alors que le Maroc traverse une période particulièrement tendue. Depuis fin septembre, le pays est agité par un mouvement de contestation porté par le collectif GenZ 212. Né sur les réseaux sociaux, ce mouvement rassemble des dizaines de milliers de jeunes, dont une majorité de mineurs. Les revendications sont multiples : amélioration des services publics, fin de la corruption, réduction du chômage. Le drame survenu à l’hôpital d’Agadir – huit femmes mortes lors d’accouchements – a été l’élément déclencheur.

Parallèlement, la santé du roi Mohammed VI alimente les spéculations. Officiellement atteint d’une leucémie, il est soigné en France depuis plusieurs mois et n’apparaît que rarement en public. Dans ce contexte, la CAN devait offrir une respiration collective, une parenthèse d’unité autour de la réussite sportive du pays. L’incertitude autour de la participation de Hakimi affaiblit cette perspective.

Une CAN à domicile sous pression

Le Maroc a beaucoup investi dans la CAN 2025. Plus de 20 milliards de dirhams ont été engagés dans la rénovation et la construction de stades. L’accueil de la compétition est censé renforcer l’image du pays comme puissance régionale et pôle sportif continental. Mais la CAN arrive dans un contexte explosif. L’absence possible d’Hakimi rend plus visible encore la fragilité de l’édifice.

Achraf Hakimi représente aujourd’hui un Maroc qui doute, mais qui espère encore. Sa blessure, au-delà de l’accident sportif, incarne une forme de vulnérabilité nationale. Celle d’un pays en quête de cohésion, de reconnaissance et de réussite partagée. La CAN 2025 devait être l’apogée d’un cycle. Elle pourrait devenir un révélateur de fractures.



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