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Claude Bébéar, fondateur d’AXA et figure centrale de l’histoire économique française contemporaine, est décédé à l’âge de 90 ans, a annoncé le groupe mardi 4 novembre. À la tête de l’entreprise pendant plusieurs décennies, il l’a transformée en un acteur mondial de l’assurance. « C’est une page importante de l’histoire du capitalisme français qui se tourne », a déclaré Henri de Castries, ancien PDG d’AXA, dans un communiqué.
Visionnaire, bâtisseur, mentor exigeant, Claude Bébéar a durablement marqué le paysage entrepreneurial et managérial. Sa trajectoire est celle d’un homme parti de rien ou presque, qui a imposé en France puis à l’international une stratégie de croissance méthodique et un style de gouvernance singulier.
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Des origines modestes à Polytechnique
Né le 29 juillet 1935 à Issac, en Dordogne, dans une famille d’instituteurs, Claude Bébéar n’était pas destiné à devenir un grand patron. Son patronyme, selon lui inventé par des religieuses pour un arrière-grand-père orphelin, symbolise cette origine marginale dans les sphères dirigeantes.
Entré quatrième à Polytechnique, il en sort en 1958 sans projet professionnel défini. Classé parmi les derniers, il s’illustre davantage comme capitaine de l’équipe de rugby et organisateur de la vie étudiante que comme brillant élève. C’est par l’intermédiaire d’un condisciple qu’il rejoint, presque par hasard, une petite mutuelle d’assurances normande, à Belbeuf, dirigée par André Sahut d’Izarn.
La naissance d’AXA et une stratégie de conquête
Il faudra près de deux décennies à Claude Bébéar pour prendre la direction du groupe. Nommé directeur général en 1975, puis président en 1982, il lance une stratégie d’acquisitions ambitieuse, qui culmine en 1985 avec la création du nom AXA. Choisi pour sa neutralité linguistique et sa simplicité, le nom devient rapidement la bannière d’un groupe en pleine expansion.
Dès 1982, Bébéar impose sa marque avec le rachat de Drouot, première grande opération de croissance externe. Suivent La Providence, le Secours, la Compagnie du Midi, Guardian Royal Exchange, Nippon Dantai, et surtout l’Union des assurances de Paris (UAP) en 1996. Cette dernière, deux fois plus grosse qu’AXA, est absorbée à l’issue d’une négociation musclée, qui devient un moment clé dans l’histoire de l’assurance en France.
Une expansion mondiale maîtrisée
À partir des années 1990, AXA s’internationalise rapidement. En 1991, le groupe acquiert la société américaine Equitable, alors en difficulté, et renforce ainsi sa présence outre-Atlantique. Il poursuit sa conquête en Asie et en Océanie avec l’acquisition de National Mutual en Australie, puis s’implante durablement au Japon.
En 2000, AXA est devenu un acteur mondial : 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 50 millions de clients, 140 000 collaborateurs. Claude Bébéar a atteint son objectif : hisser AXA parmi les dix plus grands assureurs mondiaux. Il cède alors la direction exécutive à Henri de Castries.
Une méthode de management originale et exigeante
Claude Bébéar a instauré une culture d’entreprise forte, souvent comparée à une forme de « religion d’entreprise ». Sa méthode de gouvernance repose sur un équilibre entre autonomie managériale et discipline stratégique. Il la qualifie lui-même de « démocrature » : chacun peut s’exprimer, mais une fois la décision prise, elle doit être appliquée sans réserve.
En 1986, il organise le premier grand séminaire de cadres dans le désert du Ténéré, acte fondateur des « grand-messes » annuelles du groupe. Ces événements visent à souder les équipes et à diffuser la vision du dirigeant. Le port du pin’s AXA devient un marqueur d’appartenance. La stratégie de marque, la cohésion interne et la rapidité d’exécution sont les piliers du développement du groupe.
Un homme d’influence en dehors du champ politique
S’il n’a jamais occupé de fonctions politiques nationales, Claude Bébéar a exercé une influence considérable dans les sphères économiques et sociales. En 2000, il fonde l’Institut Montaigne, think tank libéral qui joue un rôle actif dans le débat public sur les politiques économiques, sociales et éducatives.
Il signe plusieurs tribunes, dont une en 2017 en soutien à Emmanuel Macron. À partir des années 2000, il intervient dans les débats sur la réforme des retraites, la santé, la durée du travail ou encore l’insertion. Il défend notamment le CV anonyme et des formes de Sécurité sociale privée.
Le sens du retrait et de la transmission
Claude Bébéar a su se retirer progressivement du pouvoir, une rareté dans le monde des grands patrons. Il quitte la présidence du directoire d’AXA en 2000, reste président du conseil de surveillance jusqu’en 2008, puis président d’honneur du groupe. Il se retire aussi de l’Institut Montaigne dans les années qui suivent.
Il laisse derrière lui une structure pérenne et des héritiers formés à son école. « Il faut savoir partir avant qu’on ne soit plus dans le coup », confiait-il en 2013 aux Échos. Une manière de prévenir le risque d’hybris, dans un univers économique souvent marqué par la personnalisation excessive du pouvoir.


