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Le constat est sans appel : les études de médecine en France ne tiennent plus debout. Réformes mal ficelées, sélection sociale accrue, surcharge mentale, formation déconnectée du terrain : c’est toute la chaîne de production des futurs médecins qui est grippée. Et le gouvernement prépare déjà une énième réforme pour 2027, alors même que les étudiants de première année évoluent dans un système appelé à disparaître. Derrière la confusion réglementaire, un mal plus profond s’installe : celui d’un parcours devenu traumatique pour ceux qui le subissent.
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PASS, LAS, LSPS : une machine à trier devenue illisible
2020 devait être l’année de la simplification. Fin de la PACES, trop sélective, trop brutale. À la place, trois voies d’accès aux études de santé : PASS, LAS, LSPS. Objectif affiché : diversifier les profils, élargir les débouchés. Résultat : un embrouillamini bureaucratique. La Cour des comptes recense 230 variantes du système selon les universités. Pas de cadre homogène, pas de grille commune. Les règles changent d’un campus à l’autre, les étudiants n’y comprennent plus rien. Les doyens eux-mêmes parlent d’un dispositif « illisible ».
La fracture sociale, elle, reste intacte. Un étudiant en LAS sans UFR de santé a deux fois moins de chances d’intégrer la deuxième année qu’un PASS inscrit dans une fac bien dotée. Le taux de passage sans redoublement ? 36 % pour les PASS, 17 % pour les LAS. L’égalité des chances, déjà faible, s’effondre. Et voilà qu’une nouvelle réforme est dans les tuyaux pour 2027. Une « voie unique » est annoncée. Entre-temps, des milliers d’étudiants naviguent à vue, pris dans un système transitoire sans cap clair.
Prépas privées : l’argent fait la différence
Supprimer la PACES devait aussi réduire le poids des prépas privées. C’est l’inverse qui s’est produit. Aujourd’hui, entre 64 et 70 % des étudiants s’y inscrivent, dès la première ou la deuxième année. À Paris, une prépa PASS coûte entre 7200 et 8500 euros. En région, autour de 5500 euros. Pour les LAS, c’est un peu moins, mais toujours hors de portée pour beaucoup de familles.
Un sondage de l’ANEMF en 2025 donne la mesure de la pression financière : 15 % des étudiants la jugent difficilement soutenable, 5 % affirment que leurs parents ont dû contracter un prêt bancaire, 2,1 % se sont endettés eux-mêmes. Le profil sociologique des étudiants reste très homogène : 40 % issus de milieux favorisés, 8 % seulement d’enfants d’ouvriers. La sélection par l’argent est désormais la norme.
Comme le résume Pierre Wolkenstein, doyen de l’UPEC : « Beaucoup de familles considèrent qu’il faut payer une prépa pour compenser le manque de moyens à l’université. C’est de l’injustice. »
Une génération au bord de la rupture
Mais au-delà de la sélection, c’est la santé mentale des étudiants qui inquiète. Une fois admis, le parcours vire au cauchemar. Selon les chiffres 2024 de l’ISNI et de l’ANEMF, 70 % des étudiants présentent des symptômes d’anxiété, 30 % montrent des signes de dépression, 40 % sont en burn-out. Plus de 60 % ont envisagé d’abandonner leurs études.
Et ce n’est pas mieux pendant l’internat. En moyenne, les internes travaillent 58,4 heures par semaine. Quarante pour cent dépassent les 60 heures. Dix pour cent franchissent les 79 heures. Les temps de repos obligatoires ? Majoritairement ignorés. L’épuisement est massif : 63 % des internes en burn-out, 28 % avec des pensées suicidaires, 24 % songent à changer de métier.
Le suicide n’est plus un mot tabou. Entre 10 et 20 internes mettent fin à leurs jours chaque année. Un tous les 18 jours. Quatre fois plus que chez les jeunes du même âge dans le reste de la population.
Une formation longue… et inadaptée
En théorie, la France forme ses médecins parmi les plus longtemps d’Europe : entre 9 et 12 ans après le bac. Mais cette longueur ne garantit ni excellence, ni adaptation. L’enseignement reste centré sur l’hôpital, déconnecté de la médecine de ville, des enjeux de prévention ou de coordination.
Dans un rapport publié en février 2025, l’Académie nationale de médecine parle d’un « parcours du combattant », sans préparation aux défis contemporains. L’intelligence artificielle ? À peine abordée. La médecine de proximité ? Marginale. Résultat : chaque année, entre 6500 et 10 000 jeunes Français partent étudier à l’étranger – Belgique, Roumanie, Suisse, Canada. Un exil coûteux, mais souvent perçu comme la seule porte de sortie face à l’opacité française.
Réformer sans évaluer : la fuite en avant
En dix ans, le paysage a été bouleversé. Suppression de la PACES en 2020, création des PASS et LAS, passage au numerus apertus en 2024, et une nouvelle réforme prévue pour 2027. À chaque fois, une promesse d’amélioration. Jamais d’évaluation sérieuse. À chaque fois, les règles changent, les repères sautent. Étudiants et universités avancent dans le brouillard. Les doyens alertent, mais leurs remontées sont rarement entendues. La surcharge administrative explose. L’instabilité devient la norme.
L’autre grand échec, c’est celui de la répartition. Aujourd’hui, 87 % du territoire est concerné par les déserts médicaux. Entre 6 et 8 millions de Français peinent à trouver un médecin. Une commune sur trois n’a pas d’accès médical satisfaisant.
Former plus ne suffit pas. Le modèle reste centré sur les CHU urbains. Les stages en milieu rural sont rares. Les jeunes médecins s’installent là où ils ont été formés : dans les grandes villes. En mai 2025, le gouvernement a annoncé un nouveau plan. Encore un. Mais tant que la formation ne change pas en profondeur, ces mesures ne sont que des pansements.


