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Ce mardi 4 novembre à 13h, au restaurant Drouant à Paris, l’Académie Goncourt remettra la plus prestigieuse récompense littéraire française. Le lauréat du Prix Goncourt touchera… un chèque de 10 euros. Cette dotation symbolique, inchangée depuis le passage à l’euro au début des années 2000, est restée la même malgré le poids économique croissant du prix.
Mais dans les faits, le Goncourt est un accélérateur de ventes. Entre 2019 et 2023, les lauréats ont vendu en moyenne 577 000 exemplaires de leur roman au cours de l’année suivant le prix. Avec un prix moyen de 20 euros par livre, et une part d’auteur généralement située entre 8 % et 12 % du prix hors taxes, les droits perçus s’élèvent entre 1 et 1,2 million d’euros.
Ces revenus ne prennent pas en compte l’édition de poche, les traductions, les adaptations ni les rééditions des œuvres précédentes, souvent relancées après le prix.
Le Goncourt, moteur immédiat des ventes
L’annonce du Goncourt provoque un choc commercial immédiat. Les ventes peuvent être multipliées par 10 à 30 dès la semaine suivant la proclamation. En 2022, Brigitte Giraud est passée de 646 exemplaires hebdomadaires à plus de 44 000 après l’annonce de son prix pour Vivre vite.
En 2024, Houris de Kamel Daoud avait déjà été écoulé à près de 70 000 exemplaires avant la remise du prix. Une semaine plus tard, il atteignait 122 000 ventes, et dépassait les 452 000 exemplaires un an après. L’effet « bandeau rouge » agit comme un sceau de garantie pour les libraires, les lecteurs et les éditeurs étrangers.
Certains lauréats dépassent largement la moyenne. L’Anomalie d’Hervé Le Tellier (2020) a franchi le cap du million d’exemplaires, devenant le deuxième Goncourt le plus vendu après L’Amant de Marguerite Duras (1,63 million d’exemplaires sans édition de poche). D’autres, comme Jean Carrière en 1972 avec L’Épervier de Maheux, ont même atteint les deux millions d’exemplaires, générant des fortunes pour leurs auteurs.
Pourquoi le Goncourt ne vaut-il que 10 euros ?
Lors de la création du prix, la dotation prévue par Edmond de Goncourt était ambitieuse : 5 000 francs-or. Mais le capital constitué a subi de plein fouet les effets de l’inflation. Placé dans des obligations d’État non indexées, il a fondu à mesure des dévaluations monétaires, en particulier après la Première Guerre mondiale et avec le franc Poincaré en 1928.
En 1962, la dotation tombait à 50 nouveaux francs. Elle est symboliquement fixée à 10 euros depuis le passage à l’euro. Le contraste est frappant avec le Prix Nobel de Littérature, dont la dotation atteint 1 million d’euros (11 millions de couronnes suédoises). Le lauréat 2025, László Krasznahorkai, a reçu cette somme le 9 octobre dernier.
Un prix loin devant tous les autres en France
Aucun autre prix littéraire français n’a un tel impact commercial. Le Prix Renaudot, décerné le même jour que le Goncourt, permet en moyenne de vendre entre 200 000 et 210 000 exemplaires. Le Prix Femina se situe autour de 160 000 ventes. Le Grand Prix du roman de l’Académie française atteint 116 000 exemplaires, tandis que le Médicis tourne autour de 30 000 à 37 000.
Le Prix Interallié, décerné une semaine plus tard, génère en moyenne 50 000 ventes. Paradoxalement, certains de ces prix sont mieux dotés financièrement : 1 000 euros pour le Médicis, 10 000 euros pour le Grand Prix de l’Académie française, et jusqu’à 30 000 euros pour le Prix Décembre. Aucun ne rivalise toutefois avec la puissance commerciale du Goncourt.
Traductions, adaptations et effets de carrière durables
Les revenus du lauréat ne s’arrêtent pas aux ventes initiales. Le Goncourt ouvre la voie à des traductions dans plus de 40 langues. L’Anomalie a été publié aux États-Unis, en Allemagne, au Japon, en Ouzbékistan, en Estonie ou encore en Arménie. Chaque contrat étranger ajoute des droits d’auteur, parfois conséquents selon les tirages.
Le prix favorise aussi les adaptations. L’Anomalie fait actuellement l’objet d’un projet de série télévisée. L’édition de poche, généralement publiée un an plus tard, relance les ventes. Enfin, le lauréat voit souvent les ventes de ses ouvrages précédents s’envoler, générant un effet catalogue qui bénéficie à l’ensemble de sa bibliographie.
Le rituel Drouant et le pouvoir symbolique du prix
Depuis 1903, le Prix Goncourt est décerné au restaurant Drouant, place Gaillon à Paris. Cette tradition se perpétue chaque premier mardi de novembre, dans le Salon Goncourt, où les dix membres de l’Académie délibèrent.
En 2025, les membres sont Philippe Claudel (président), Françoise Chandernagor, Camille Laurens (secrétaire générale), Éric-Emmanuel Schmitt (trésorier), Christine Angot, Pierre Assouline, Tahar Ben Jelloun, Pascal Bruckner, Paule Constant et Didier Decoin. Un menu spécial, gardé secret, est préparé chaque année pour la proclamation.
Le Goncourt des lycéens, tremplin pédagogique
Créé en 1988, le Goncourt des lycéens permet à des milliers d’élèves de lire les romans de la première sélection et de participer à un vote national. Le lauréat 2025 sera proclamé le 27 novembre à Rennes. Ce prix, soutenu par la Fnac et le ministère de l’Éducation nationale, prolonge l’impact du Goncourt dans les établissements scolaires, en favorisant le dialogue autour de la littérature contemporaine.
Au-delà des chiffres, le Goncourt offre une reconnaissance immédiate et durable. Il permet aux auteurs de renégocier leurs contrats, de changer d’éditeur, d’accéder à de nouvelles opportunités. Il confère une légitimité forte dans le paysage littéraire francophone et international.
Cette notoriété soudaine peut toutefois s’accompagner de pressions psychologiques. Jean Carrière, lauréat en 1972, a vécu quinze années de dépression après son succès, éprouvant une difficulté à écrire à nouveau. D’autres auteurs ont souffert de critiques violentes ou d’une surmédiatisation difficile à gérer.


