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Il a volé pour la première fois en 1976 et a volé jusqu’en 2003. Mais le Concorde continue de hanter les esprits des amoureux des avions. Symbole de la vitesse, du luxe et d’un certain génie technologique européen, l’avion supersonique reste inégalé depuis plus de vingt ans. Trois heures trente entre Paris et New York : aucun appareil commercial n’a fait mieux.
Mais l’aventure s’est arrêtée, brisée par trois coups durs. L’accident du vol Air France 4590, en juillet 2000, a écorné une image jusque-là intouchable. Les attentats du 11 septembre 2001 ont laminé le trafic affaires. Et l’abandon du soutien technique par Airbus a rendu l’entretien de l’appareil trop coûteux. Sans parler de la limite majeure : le Concorde ne pouvait franchir le mur du son qu’au-dessus des océans. Le bang supersonique était tout simplement interdit au-dessus des terres.
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X-59 : l’espoir d’un supersonique presque silencieux
Le 28 octobre 2025, un étrange oiseau a pris son envol dans le désert californien. Nez interminable, cockpit sans hublot, silhouette effilée : le X-59 n’a rien d’un avion classique. Il a été conçu par Lockheed Martin, dans les ateliers secrets de Skunk Works, pour une mission unique : démontrer qu’un avion peut voler à vitesse supersonique sans déclencher de bang perceptible au sol.
C’est la NASA qui pilote le projet, lancé en 2018 pour un coût dépassant 518 millions de dollars. L’appareil n’est pas destiné au transport de passagers. Il s’agit d’un démonstrateur technologique. Le nez allongé diffuse les ondes de choc. Le cockpit, sans visibilité directe, utilise un système numérique intégrant caméras et affichage en temps réel.
Le vol d’octobre, limité à 370 km/h à 12.000 pieds, n’était qu’un galop d’essai. Objectif final : atteindre Mach 1,4 en croisière, sans dépasser 75 décibels au sol — l’équivalent d’une portière qui claque. Loin des plus de 100 décibels d’un bang classique.
Le soutien politique de la Maison-Blanche
Le calendrier du X-59 ne doit rien au hasard. Il s’inscrit dans un virage réglementaire. Le 6 juin 2025, Donald Trump a signé un décret demandant à la FAA de lever l’interdiction des vols supersoniques au-dessus du territoire américain. Une règle en place depuis les années 1970.
La FAA a désormais 180 jours pour abroger cette interdiction, puis 18 mois pour bâtir un nouveau cadre, à condition qu’aucun bang ne soit audible. Ce changement s’appuie sur une loi adoptée par le Congrès : la Supersonic Aviation Modernization Act.
Ce n’est donc plus seulement un projet de recherche. C’est un enjeu politique et stratégique. Si le X-59 tient ses promesses, une nouvelle génération d’avions commerciaux pourrait traverser les États-Unis à vitesse supersonique. Ce serait une révolution.
Les ambitions privées : Boom, Aerion, Bombardier
Le X-59 n’est pas seul dans la course. Plusieurs entreprises privées tentent aussi de relancer le supersonique.
Boom Supersonic, basée dans le Colorado, a passé un cap important début 2025. Son prototype XB-1 a réalisé deux vols supersoniques réussis, atteignant Mach 1,18 sans générer de bang au sol. Une configuration baptisée “Boomless Cruise”. L’entreprise prévoit de lancer un appareil commercial — l’Overture — d’ici 2029, avec 60 à 80 sièges. United Airlines et Japan Airlines ont déjà commandé 130 appareils.
Tout le monde n’a pas eu cette chance. Aerion, soutenue un temps par Airbus, puis Lockheed Martin et Boeing, a jeté l’éponge en 2021, faute de financement. Un rappel utile : l’innovation ne suffit pas. Il faut aussi convaincre les investisseurs.
Quant à Bombardier, il a mis en service le Global 8000 cette année. Un jet d’affaires capable d’atteindre Mach 0,94. Ce n’est pas du supersonique, mais c’est le plus rapide des avions civils aujourd’hui. Et cela suffit à occuper le terrain.
Le bruit baisse, pas les émissions
Le problème du bruit semble en voie de résolution. Celui du climat, beaucoup moins. Selon des études du Conseil international pour le transport propre, un avion volant à Mach 2 émettrait 70 % de CO₂ de plus par passager-kilomètre qu’un appareil subsonique. Et consommerait jusqu’à sept fois plus de carburant.
Boom promet des vols 100 % SAF — carburant d’aviation durable. Mais la production mondiale reste très faible, coûteuse, et loin des volumes nécessaires pour une aviation commerciale à grande échelle.
Le défi est clair : pour espérer obtenir le feu vert des régulateurs, il ne suffit pas de réduire le bruit. Il faut aussi prouver que le vol supersonique peut être compatible avec les objectifs climatiques.
L’Europe regarde ailleurs
Pendant que les États-Unis remettent le supersonique à l’agenda, l’Europe reste à l’écart. Airbus, Dassault et les autres misent sur d’autres priorités : décarbonation, optimisation énergétique, carburants durables.
En France, les efforts se concentrent sur la relocalisation de la filière aéronautique et la baisse des émissions. Le supersonique, jugé élitiste et coûteux, n’est pas à l’ordre du jour. Un contraste frappant avec les années 1970, où le Concorde symbolisait une ambition commune franco-britannique.


