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En passe d’être finalisée, la reprise de Valeurs actuelles par un trio d’investisseurs soutenu par Pierre-Édouard Stérin confirme l’ambition stratégique du milliardaire : étendre un réseau médiatique destiné à favoriser l’ascension idéologique et politique des droites radicales en France.
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Pierre-Édouard Stérin : portrait d’un milliardaire en croisade
Les trois repreneurs — Benjamin La Combe, la famille Caude et Pierre-Édouard Stérin — prévoient d’investir une dizaine de millions d’euros sur trois ans pour relancer un titre en net déclin. Propriété d’Iskandar Safa depuis 2015, Valeurs actuelles ne représentait plus qu’un actif secondaire au sein d’un groupe à dominante industrielle. Après le décès du milliardaire franco-libanais en janvier 2024, ses héritiers ont engagé une reconfiguration de leur portefeuille, préparant la cession de l’hebdomadaire conservateur.
Un trio d’investisseurs, un acteur central : Stérin
Officiellement, le leadership de l’opération revient à Benjamin La Combe, entrepreneur passé du CAC 40 à l’aménagement paysager. Après la revente de son entreprise Mugo début 2025, il réinvestit dans la presse en devenant président du conseil d’administration de Valeurs actuelles.
À ses côtés, la famille Caude apporte son expérience dans les médias numériques. Alexis Caude, fondateur de Newsweb en 2002, a déjà mené plusieurs projets éditoriaux à destination du web.
Mais derrière ce duo se trouve un acteur bien connu : Pierre-Édouard Stérin. Officiellement minoritaire, il ne siégera pas au conseil d’administration. Pourtant, son influence dans la transaction est déterminante. Son apport financier, via le fonds Odyssée Impact, permet l’opération, et son agenda politique guide l’orientation générale du projet.
Le projet Périclès, matrice idéologique de la stratégie Stérin
Le rachat de Valeurs actuelles s’inscrit dans le cadre du projet Périclès, structure créée en 2023 et révélée publiquement en 2024. Dotée de 150 millions d’euros sur dix ans, cette initiative vise explicitement à construire une hégémonie idéologique favorable aux droites dures.
La stratégie repose sur trois piliers : la victoire idéologique (par les médias et l’influence en ligne), la victoire électorale (soutien logistique et financier aux candidats), et la victoire politique (constitution d’un vivier de technocrates et de cadres pour les futures administrations).
En 2024, Périclès a financé au moins 24 structures classées à droite ou à l’extrême droite : instituts de formation, médias, cabinets de conseil, observatoires, associations juridiques. Les lignes budgétaires indiquent des priorités nettes : 33 % pour la lutte contre le « wokisme », 30 % sur l’immigration, 12 % contre le socialisme.
Une galaxie médiatique en pleine expansion
Valeurs actuelles n’est qu’une pièce dans un puzzle beaucoup plus large. En 2025, Pierre-Édouard Stérin a acquis deux médias très suivis sur les réseaux sociaux : Cerfia (1,2 million d’abonnés sur X, 9 milliards de vues en 2024) et Explore Media (12 millions de followers cumulés), spécialisés dans l’information instantanée et l’ »edutainment ».
Il contrôle également les titres en ligne Neo.tv, ainsi que Marmeladz, agence d’influenceurs. Tous ciblent un public jeune, avec des formats vidéos courts, perçus comme neutres mais souvent porteurs d’une ligne idéologique implicite.
La direction de ces entités est confiée à des proches, comme Edward Whalley, directeur d’Odyssée Impact et du Fonds du bien commun. Cette cohérence structurelle garantit une unité de ton et d’objectifs à l’ensemble du réseau.
Un agenda politique explicite et des relais identifiés
Le projet Périclès cherche à influer directement sur les équilibres politiques. Selon des documents internes révélés en 2024, ses équipes revendiquent une influence « réelle » sur Marine Le Pen et Jordan Bardella.
François Durvye, bras droit de Stérin chez Otium Capital, a participé à la rédaction du programme de Bardella pour les législatives de juin 2025. L’objectif affiché est de conquérir 300 mairies pour le Rassemblement national en 2026.
Du côté des Républicains, les relations sont qualifiées de « actives » mais sans véritable contrôle. Plusieurs figures comme Éric Ciotti, Laurent Wauquiez ou François-Xavier Bellamy ont été approchées, sans engagement formel.
Enquêtes judiciaires et refus de transparence
Le développement du réseau Stérin s’accompagne de procédures judiciaires. Depuis 2021, une enquête pilotée par la brigade financière de Marseille vise des prêts suspects au RN, pour un montant de 1,8 million d’euros.
Entendu comme « suspect libre » en juin 2024, Stérin est également visé par une commission d’enquête parlementaire sur le financement des campagnes. À trois reprises, en mai 2025, il a refusé de s’y présenter, invoquant des raisons de sécurité.
Ce refus, dénoncé comme un mépris du travail parlementaire, pourrait entraîner des sanctions pénales. Le rapporteur de la commission considère que Stérin « tente de jouer la montre » pour éviter une éventuelle mise en cause.
Stérin s’est longtemps présenté comme un entrepreneur philanthrope, via le Fonds du bien commun, qu’il a cofondé en 2021. Ce fonds, qui prétendait distribuer jusqu’à 200 millions d’euros par an à partir de 2030, était l’un des piliers de sa stratégie d’influence douce.
Mais depuis les révélations sur Périclès, plusieurs partenaires institutionnels s’en sont éloignés. Des associations dénoncent une instrumentalisation idéologique et un financement politique déguisé.
Un média en déclin devenu outil de reconquête
Le choix de racheter Valeurs actuelles n’est pas anodin. Entre juillet 2024 et juin 2025, le titre a perdu 21,5 % de sa diffusion, avec seulement 73 000 exemplaires vendus par numéro en moyenne. Depuis 2021, la baisse atteint près de 30 %. Concurrencé par le JDD et JDNews, deux titres soutenus par Vincent Bolloré, Valeurs actuelles peine à conserver son lectorat. Le licenciement de Geoffroy Lejeune en 2023, figure médiatique clivante, a marqué un tournant éditorial.
Depuis juin 2023, Tugdual Denis assure la direction de la rédaction avec une ligne qualifiée de « libéral-conservatrice ». Il restera en poste, au moins pour quelques mois. Les nouveaux propriétaires annoncent une refonte numérique, la nomination d’un nouveau directeur général issu de la presse, et la suppression du directoire.


