Franco-algérien et gardien de la paix : le témoignage de Kader, entre fierté et désillusion

Policier, Français, musulman et fier de ses racines algériennes, Kader raconte son malaise face à une société où la méfiance grandit.

« Je m’appelle Kader, j’ai 31 ans, je suis gardien de la paix à Roubaix. Je suis binational, Français par naissance, Algérien par mes racines. Mes parents sont arrivés d’Algérie en 1969. Mon père était maçon, ma mère faisait des ménages. Nous étions quatre enfants à la maison. J’ai eu une enfance modeste, mais heureuse. J’étais assez bon élève, et depuis tout petit, je voulais être policier. 

Aujourd’hui encore, j’aime profondément mon métier. Je me sens utile, fier d’endosser cet uniforme. Mais dans les quartiers dits « difficiles », des jeunes me regardent avec méfiance. Ils ne comprennent pas pourquoi moi, le fils d’immigrés, je fais partie des forces de l’ordre. Certains me disent que j’ai “choisi le mauvais camp”. Je garde mes distances, je ne veux pas que mes collègues pensent que je suis proche d’eux. Dans la police, il y a du racisme, c’est une réalité. Pas chez tout le monde, mais assez pour qu’on apprenne à se taire.

Le 30 octobre dernier, j’ai ressenti quelque chose que je n’oublierai pas : le vote du texte sur les accords franco-algériens. Voir le Rassemblement national, soutenu par une partie de la droite classique, remettre en cause cet accord a été un choc. J’ai eu l’impression d’être trahi. Ce n’était pas qu’un débat politique, c’était un message envoyé à des millions de personnes comme moi : “vous ne faites pas vraiment partie de la France”. J’ai préféré n’en parler à personne, ni à mes collègues, ni à mes amis. Je savais que beaucoup ne comprendraient pas.

Je reste fier d’être Français. Ce pays m’a tout donné : une éducation, un métier, une stabilité. Mais je suis lucide. De plus en plus de Français parlent des Algériens comme d’ennemis. On sent la méfiance, parfois la haine, s’installer petit à petit. Un jour, en uniforme, une femme m’a lancé dans la rue : “Toi, retourne au bled, t’es pas un vrai flic.” Ce genre de phrase, ça vous reste. Au travail aussi, il m’arrive d’entendre des remarques pendant le ramadan. Je fais semblant de ne rien entendre, mais au fond, ça use.

J’ai deux enfants. Ma femme est algérienne, musulmane. J’ai peur pour eux. Peur qu’ils grandissent dans une société qui les regarde avec suspicion. Je voudrais qu’ils puissent être fiers de ce qu’ils sont, comme je l’ai toujours été. »



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2 commentaires sur « Franco-algérien et gardien de la paix : le témoignage de Kader, entre fierté et désillusion »

  1. oui,
    l’eau n’a pas encore coulée suffisamment sous le pont de l’histoire entre la France et l’Algérie.
    espérons que le regard posé sur celle -ci s’orientera de façon apaisée et positive.
    Et que comme à l’après guerre pour les Allemands qu’on traitait de « boche » , les décennies qui ont suivies ont apporté un autre regard, bienveillance et rencontres entre nos deux pays. Grâce notamment aux nombreux jumelages entre villes françaises et allemandes.
    A quand des jumelages entre des villes algériennes et Françaises ???
    je pense que les blessures légitimes entre nos deux nations notamment pour les générations encore en vie restent encore assez vives.
    La guerre d’Algérie avec le traumatisme des rapatriés « pieds noirs » , des harkis ne s’est pas assez estompé. Espérons que la poursuite du travail historique de vérité partagée et de transmission sur cette histoire de nos deux pays apportera sans être utopiste plus de sérénité et de fraternité. Les nouvelles générations auront ce pouvoir entre leurs mains pouvoir ou ne pas vouloir faire évoluer et changer le regard sur l’évolution de cette histoire.
    Humblement, avec des grands parents et parents « français -musulmans-indigène » comme on disait  » qui pour certains ont fait la 1ère guerre mondiale, la 2eme comme mon père en combattant avec fierté pour la défense de la France et qui est resté et s’est marié en France avec la naissance de quatre enfants nés durant la guerre d’Algérie. Et pendant cette période, ce sont des personnes de sa (ma) famille qui à leur tour ont combattu et certains sont morts pour défendre l’indépendance de l’Algérie !
    Cette histoire COMMUNE de ces longues décennies ne doit je pense non seulement pas être oubliée, mais expliquer pleinement avec la plus grande vérité.
    Ce regard que je porte à tout cela m’a fait prendre de la hauteur en me donnant une fierté pour la France mais aussi pour les origines algérienne de mon père et espagnol de ma mère avec une famille qui avait fui en partie le franquisme a la fin des années 30.
    Être citoyen du monde, être comme disait Jean Giono dans ses écrits pacifistes, lui qui avait connu l’enfer des tranchées de la 1ère guerre » il n’y a pas de gloire à être français, il n’y a qu’une seule gloire, c’est celle d’être vivant » !!!
    un hymne à la tolérance et surtout à la vie…

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