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Elon Musk poursuit sa croisade contre les institutions établies. Dernier front en date : le savoir. Avec Grokipedia, il entend s’attaquer à Wikipedia, en proposant sa propre version de l’encyclopédie en ligne, générée par intelligence artificielle et éditée par les utilisateurs. Interface épurée, promesse de “vérité” et tonalité conservatrice : nous avons testé cette première version, encore largement inachevée.
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Scandales en série autour de Grok, l’IA d’Elon Musk
L’interface de Grokipedia ne dépayse pas. Page blanche, texte noir, structure sobre : on retrouve le style dépouillé de Wikipedia. L’accès se fait via un compte X, sans inscription supplémentaire. La navigation est fluide, les recherches rapides, mais le contenu reste maigre : moins d’un million d’articles, tous en anglais, contre plus de sept millions chez Wikipedia. Certaines pages sont vides, d’autres à peine esquissées. Grokipedia est clairement en rodage.
Des articles écrits par IA, modifiables par l’utilisateur
Le cœur du système repose sur Grok, le chatbot développé par xAI. Chaque phrase d’un article peut être éditée : l’utilisateur peut signaler une erreur, proposer une correction et ajouter un lien justificatif. L’idée : intégrer le public dans la boucle, sans tomber dans le fonctionnement communautaire de Wikipedia.
Mais ici, aucun détail sur la validation. Qui modère ? Qui tranche ? Aucune transparence sur les critères ou les processus. Résultat : des erreurs flagrantes subsistent. Certaines biographies récentes contiennent des données fausses. Des articles scientifiques mélangent approximations et omissions.
Une orientation (très) conservatrice
Le contenu reflète une ligne idéologique claire. Sur les sujets de société – genre, race, histoire – Grokipedia adopte un ton conservateur, parfois frontal. L’article “gender” commence par une définition exclusivement biologique. Sur George Floyd, le texte débute par l’énumération de ses condamnations, reléguant sa mort aux mains de la police au second plan. L’inverse de Wikipedia.
Sur le quotient intellectuel ou les différences raciales, Grokipedia cite des sources anciennes et controversées, sans mentionner les critiques qu’elles suscitent. Là où Wikipedia joue la prudence, Musk choisit l’affrontement.
Des absences révélatrices, des choix éditoriaux tranchés
En parcourant la base, des angles morts sautent aux yeux. Certaines personnalités connues pour leurs idées conservatrices en sont absentes. D’autres, comme le cinéaste espagnol Pedro Almodóvar, sont abordées avec un ton très critique, notamment sur ses représentations de la sexualité.
A contrario, Donald Trump ou Elon Musk bénéficient d’un traitement nettement plus favorable. L’article sur le Columbus Day inclut même un discours fictif de Trump en 2025 dénonçant la “gauche radicale” – un contenu absent de Wikipedia. Le contraste est flagrant.
L’IA utilisée par Grokipedia n’échappe pas aux défauts du genre : erreurs factuelles, approximations, inventions. Le cofondateur de Wikipedia, Larry Sanger, en a fait les frais. Des informations erronées figuraient sur sa propre biographie. Il a néanmoins salué l’initiative, y voyant une alternative au modèle dominant.
Grokipedia n’est pas encore indexée par Google. Il faut passer par une adresse directe, ce qui limite l’audience, mais permet à la plateforme d’évoluer hors des règles classiques de référencement.
Wikipedia dans le viseur
L’un des articles les plus développés de Grokipedia porte justement sur Wikipedia. Il y est question de “perte de crédibilité”, de “biais idéologique”, d’alignement supposé avec les médias traditionnels. Musk assume la rupture. La Wikimedia Foundation a répondu en rappelant que Wikipedia reste un projet collaboratif, piloté par des humains. Et que Grok – comme toutes les IA – puise largement dans ses bases de données. Sans Wikipedia, pas de Grokipedia.
Grokipedia est encore embryonnaire. Les contenus sont limités, la validation floue, les biais patents. Mais le projet dépasse la simple expérimentation technologique. Il s’inscrit dans une stratégie plus large de Musk : défier les canaux traditionnels du savoir, s’appuyer sur ses propres outils technologiques (IA, réseau social, plateforme de diffusion), et proposer une version “alternative” de la vérité.


