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« Ils font semblant de travailler ensemble, mais chacun compte les balles de l’autre. » Dans les rangs du Rassemblement national, cette formule d’un député RN, glissée dans un couloir de l’Assemblée, résume l’état d’esprit du moment. Officiellement, le parti affiche une unité de façade derrière Jordan Bardella, président du mouvement depuis 2022, et Jean-Philippe Tanguy, stratège économique au Parlement. Officieusement, chacun sait que la guerre de succession est engagée, discrète mais structurante. Depuis la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité en mars 2025, une rivalité s’aiguise entre ces deux figures montantes. Elle pourrait décider de l’identité politique du RN pour la prochaine décennie.
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Une succession brutalement ouverte
Le 31 mars 2025, le tribunal correctionnel de Paris condamne Marine Le Pen à quatre ans de prison, dont deux ferme aménageables sous bracelet électronique, et à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. En un instant, la cheffe du RN se retrouve écartée de toute échéance électorale, y compris la présidentielle de 2027. L’appel est en préparation, mais la peine s’applique dès à présent.
Ce verdict fait éclater au grand jour ce que le parti cherchait à contenir depuis des mois : la question de la succession. Le RN, longtemps structuré autour d’un leadership vertical, entre dans une zone d’incertitude. Deux profils s’affirment alors, porteurs de visions différentes du pouvoir. Jordan Bardella, président du RN depuis 2022, semble le successeur naturel. Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme et président délégué du groupe RN à l’Assemblée, s’impose comme l’autre prétendant crédible.
Jordan Bardella, le président médiatique
À 29 ans, Jordan Bardella a construit son image de dirigeant à travers une communication maîtrisée. Issu d’un milieu modeste, il revendique une ascension sociale exemplaire et s’affiche comme le visage modernisé de l’extrême droite française. Sa fidélité à Marine Le Pen lui a valu une promotion rapide : député européen à 23 ans, président du RN à 27. Mais derrière le vernis, les critiques se multiplient sur son manque d’expérience et son absentéisme. Son activité au Parlement européen reste marginale, limitée à des interventions symboliques. Bardella privilégie les plateaux de télévision aux bancs des institutions, s’appuyant sur un charisme indéniable et une communication numérique efficace. Depuis Bruxelles, il tente de donner une stature internationale à son parti, mais sans réelle influence parlementaire.
Jean-Philippe Tanguy, le technicien du RN
Jean-Philippe Tanguy suit un chemin inverse. À 38 ans, il a bâti sa légitimité sur la compétence et le travail parlementaire. Diplômé de Sciences Po et de l’ESSEC, il a rejoint le RN en 2020 après avoir été le bras droit de Nicolas Dupont-Aignan. Depuis, il s’est imposé comme la référence économique du parti.
À l’Assemblée nationale, il pilote la stratégie budgétaire du groupe RN et défend un discours de rigueur économique. Son « contre-budget » présenté en octobre 2025 aux côtés de Marine Le Pen illustre sa volonté d’incarner la crédibilité économique du mouvement. Mais cette posture technocratique le rend parfois isolé au sein d’un parti plus sensible à la communication qu’à la technicité.
Marine Le Pen maintient l’équilibre
Malgré sa condamnation, Marine Le Pen reste au cœur du dispositif. Elle tient ses deux lieutenants à distance l’un de l’autre et conserve la main sur les grandes décisions. Bardella incarne la continuité de sa stratégie de normalisation, tandis que Tanguy reste l’homme des dossiers et du travail législatif.
Cette position d’arbitre n’est pas exempte de tensions. En octobre 2025, au cœur du débat budgétaire, Bardella impose à Tanguy de corriger sa ligne sur la fiscalité du capital, rappelant à tous que le président du parti décide seul de la doctrine. Pour l’instant, la cheffe historique parvient à maintenir une unité de façade. Mais son inéligibilité durable pourrait rompre cet équilibre fragile.
Deux visions du pouvoir au sein du RN
Bardella et Tanguy incarnent deux façons de concevoir l’exercice du pouvoir. Le premier s’appuie sur la visibilité médiatique et la stratégie de dédiabolisation, cherchant à séduire les électeurs modérés et les milieux économiques. Le second défend une approche plus technocratique et souverainiste, attachée à une forme de rigueur gaulliste.
Sur l’Europe, Bardella cherche à se rapprocher des droites populistes en cours de normalisation, quand Tanguy reste méfiant envers toute intégration supranationale. Sur l’économie, Bardella assume un tournant libéral, alors que Tanguy plaide pour un État stratège. Ces divergences restent pour l’instant contenues, mais elles révèlent des fractures idéologiques profondes au sein du RN.
Une bataille pour 2027
La perspective de la présidentielle de 2027 cristallise les ambitions. Le parti prévoit un congrès en septembre 2026 pour désigner son candidat. Officiellement, Bardella s’impose comme l’héritier naturel. Officieusement, Tanguy attend son heure. Sa stratégie consiste à rester loyal à Marine Le Pen tout en consolidant son influence interne, notamment à travers son microparti, L’Avenir français, qui compte déjà plusieurs députés et collaborateurs.
Cette loyauté prudente pourrait devenir un atout si les recours de Marine Le Pen échouent et si le RN cherche une alternative à un président jugé trop jeune et trop léger pour l’Élysée. Dans les couloirs du parti, beaucoup jugent Bardella charismatique mais encore peu préparé à gouverner.
Le RN face à lui-même
La rivalité entre Bardella et Tanguy dépasse les ambitions personnelles. Elle symbolise la tension interne entre un parti de communication et un parti de gouvernement. Le RN se trouve à la croisée de deux dynamiques : la poursuite de la normalisation politique ou la revendication d’une crédibilité technique et économique.
Marine Le Pen avait réussi à tenir ces deux lignes ensemble. Son absence crée un vide que ses deux héritiers tentent de combler chacun à leur manière. L’un par l’image, l’autre par la compétence. À mesure que 2027 se rapproche, la cohabitation entre ces deux ambitions devient plus difficile.


