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Après plusieurs années de silence et un accident qui avait mis un coup d’arrêt à son développement, le Flyboard Air, conçu par Zapata Industries, revient dans le viseur de l’armée de Terre. Entre expérimentations technologiques, repositionnement stratégique et pression concurrentielle, la mobilité aérienne personnelle suscite de nouveau l’intérêt des décideurs militaires français.
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Un projet emblématique
Le Flyboard Air, aussi appelé Flyboard-R, avait connu une forte visibilité lors du Forum Innovation Défense 2018 et du défilé militaire du 14 juillet 2019. Impressionnée par les capacités de cet engin, l’Agence de l’innovation de défense (AID) avait alors décidé de financer son développement à hauteur de 1,3 million d’euros. L’objectif était de rendre l’appareil compatible avec des usages militaires, en collaboration avec l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA).
Techniquement, le Flyboard-R repose sur un algorithme qui ajuste en permanence l’inclinaison et la vitesse de ses cinq réacteurs, dont quatre développent une puissance de 250 chevaux. Il peut atteindre une altitude de 10 000 pieds et se présente comme une planche volante à usage individuel.
En 2021, le ministère des Armées annonçait que les forces spéciales testeraient une version dérivée du Flyboard-R, notamment pour des missions d’infiltration ou d’exfiltration. Mais le projet est brutalement interrompu après un accident survenu en mai 2022, lors d’une démonstration à Biscarrosse. Le pilote, Franky Zapata, perd brièvement le contrôle de l’engin à la suite d’un défaut d’armement des contrôleurs de vol, provoqué par une modification dans la gestion d’une batterie auxiliaire. Bien qu’il parvienne à éviter le pire grâce à son expérience, l’incident révèle des lacunes en matière de sécurité des vols. Un rapport d’enquête pointe notamment un excès de confiance et des protocoles insuffisamment rigoureux.
Une démonstration britannique relance le débat
Le projet Flyboard-R semblait alors écarté. Pourtant, en novembre 2024, lors des Journées nationales de l’Infanterie organisées à Canjuers, l’armée de Terre réalise une démonstration publique d’un autre engin de mobilité aérienne individuelle : le jetpack de la société britannique Gravity Industries. Ce dispositif repose sur un exosquelette muni d’un réacteur dorsal et de turbines fixées aux bras, permettant une vitesse de vol supérieure à 80 km/h et une altitude théorique de 12 000 pieds, même si les démonstrations opérationnelles se limitent à quelques mètres du sol.
En optant pour une démonstration publique, l’armée de Terre montre qu’elle n’a pas renoncé au concept de mobilité personnelle volante. Elle choisit d’évaluer plusieurs options plutôt que de s’enfermer dans un seul développement. Cette approche suggère un changement de stratégie : ne plus tout miser sur une seule innovation mais construire une analyse comparative.
Le Flyboard-R reste dans le viseur de l’armée
Ce retour d’intérêt s’explique aussi par une prise de conscience opérationnelle. Depuis août 2023, le général Bruno Baratz commande le Commandement du combat futur. Selon lui, la technologie de Zapata Industries représente une véritable opportunité industrielle et stratégique. Il considère que la France n’a pas su saisir l’occasion de structurer un soutien clair à cette innovation, ni passer les commandes nécessaires pour permettre sa sécurisation et sa mise en service. L’absence d’engagement prolongé des autorités aurait freiné la progression de l’entreprise, malgré son avance technologique.
Cette position s’appuie sur un constat partagé au sein des forces de combat : la vitesse est devenue une priorité sur le champ de bataille. L’environnement opérationnel est désormais caractérisé par une forte transparence et une intensité constante des frappes. Dans ce contexte, les unités doivent se déplacer rapidement pour éviter l’exposition prolongée. L’exemple du conflit en Ukraine, où motos et quads sont redevenus des moyens de transport privilégiés, conforte cette analyse.
Les solutions de mobilité aérienne personnelle, comme le Flyboard-R ou le jetpack Gravity, s’inscrivent ainsi dans une logique d’hypermobilité tactique. Pour les partisans de ces technologies, il est probable qu’elles fassent leur apparition sur les champs de bataille dans un avenir proche.
Zapata Industries poursuit son développement technologique
De son côté, Zapata Industries n’a pas ralenti son activité malgré le désengagement temporaire des autorités militaires françaises. L’entreprise a multiplié les projets. Le JetRacer®, un siège volant équipé de dix turboréacteurs, a été développé pour démontrer des capacités avancées de manœuvrabilité et de vitesse, avec des pointes à 250 km/h. L’EZ-Fly, destiné à un usage militaire, continue d’être évalué à des fins opérationnelles.
En juin 2023, Zapata présente l’AirScooter, un aéronef ultraléger de type VTOL hybride-électrique. Le premier vol habité de cet appareil a lieu le 7 juin 2025. Il bénéficie d’une autonomie supérieure à deux heures, ne requiert pas de licence de pilote selon la réglementation FAA Part 103, et devrait être proposé au public dès 2026 via un centre de vol ouvert à Las Vegas. Ce positionnement commercial illustre une volonté de diversification hors du strict champ militaire, tout en conservant une avance technologique significative.
Concurrence étrangère
Sur le plan international, d’autres acteurs avancent rapidement. Gravity Industries, dont le jetpack a été testé par l’armée de Terre, se prépare à conclure des contrats militaires d’envergure. En 2024, l’entreprise britannique annonçait des négociations avancées avec une nation d’Asie du Sud-Est et les Pays-Bas, pour un montant global estimé à plusieurs dizaines de millions de dollars. Le prix d’un jetpack, formation comprise, atteint 500 000 dollars.
Cette dynamique place la France face à une double pression : ne pas laisser s’échapper des marchés porteurs et ne pas manquer l’opportunité stratégique d’une technologie émergente dont elle avait été pionnière.
Des limites tactiques et logistiques à surmonter
Malgré l’intérêt affiché par certains officiers, des doutes persistent sur la viabilité opérationnelle des engins de mobilité aérienne personnelle. Le Flyboard-R consomme environ un gallon d’essence par minute. Pour être opérationnel, un soldat doit transporter entre 20 et 30 litres de carburant, ce qui alourdit significativement sa charge et limite ses capacités de combat.
Le jetpack Gravity souffre également d’une autonomie très réduite, souvent inférieure à quatre minutes selon les conditions de vol. Les soldats équipés de ces dispositifs perdent en mobilité fonctionnelle pour l’usage d’armes ou d’équipements. Leur efficacité immédiate reste donc limitée.
À cela s’ajoute la question de la généralisation. Si ces équipements peuvent être envisagés pour des unités spécialisées, leur déploiement à grande échelle poserait d’importants défis logistiques, budgétaires et de formation. Enfin, la sécurité des vols reste un point sensible. L’accident de 2022 a souligné les risques liés à l’exploitation de ces engins à proximité de zones civiles ou dans des environnements tactiques complexes.
Une stratégie d’innovation
L’armée de Terre semble aujourd’hui privilégier une approche plus pragmatique. Plutôt que d’abandonner ou de s’enthousiasmer précipitamment, elle choisit de tester différentes solutions dans des conditions réalistes. Cette stratégie repose sur une évaluation rigoureuse des capacités, des limites et des coûts des différentes technologies de mobilité individuelle.
Le Commandement du combat futur incarne cette posture. En combinant innovation technologique et retour d’expérience opérationnel, il vise à identifier les solutions réellement utiles sur le terrain. Le Flyboard-R, longtemps perçu comme une prouesse spectaculaire mais incertaine, réintègre désormais un processus de sélection plus structuré.


