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À partir du 20 novembre 2026, les facilités de caisse et les découverts bancaires seront soumis au régime du crédit à la consommation. Une réforme imposée par Bruxelles, transposée par l’ordonnance française 2025-880. Si l’objectif affiché est une meilleure protection des consommateurs, elle pourrait aussi renforcer les inégalités d’accès au crédit, en particulier pour les ménages les plus modestes.
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La fin du découvert automatique
Le découvert bancaire est une habitude bien ancrée dans le quotidien des Français. Selon une étude de novembre 2024, 45 % d’entre eux y recourent au moins une fois par an. Plus préoccupant encore, 22 % sont en situation de découvert chaque mois dès le 16e jour. Le découvert moyen s’élève à 223 euros, et les dépassements d’autorisation atteignent en moyenne 296 euros. Il s’agit donc d’un mode de gestion budgétaire courant, souvent perçu comme une souplesse naturelle de la part des banques.
Ce confort apparent masque pourtant une réalité juridique floue. Aujourd’hui, le découvert est bien un crédit, mais soumis à des règles spécifiques, moins exigeantes que celles du crédit à la consommation classique. La réforme vient mettre un terme à cette exception. À partir de novembre 2026, tout nouveau découvert sera encadré comme un crédit à part entière, avec une évaluation de la solvabilité du client, une information précontractuelle obligatoire, et des conditions de remboursement précises.
Une protection renforcée pour les consommateurs
Cette réforme est le résultat direct de la transposition en droit français de la directive européenne du 18 octobre 2023, venue remplacer celle de 2008, devenue obsolète face à la numérisation du crédit et à l’émergence de nouveaux produits financiers. Face à l’essor du crédit numérique, des mini-crédits, du paiement fractionné ou encore des locations avec option d’achat, le législateur européen a souhaité renforcer la transparence et la protection des emprunteurs.
L’ordonnance 2025-880 va même au-delà des exigences européennes. En intégrant dans le champ du crédit à la consommation des produits auparavant peu encadrés – crédits gratuits, paiements fractionnés, mini-crédits de moins de 200 euros – elle uniformise le traitement de l’ensemble des crédits à court terme. Le découvert n’échappe plus à la règle. Les banques devront désormais vérifier la capacité de remboursement de leurs clients, consulter le fichier des incidents de crédit, et produire des documents justificatifs en cas de contrôle.
Avant de proposer un découvert supérieur à 200 euros, l’établissement devra évaluer précisément les revenus, charges, situation professionnelle et endettement du demandeur. Cette analyse ne pourra plus se contenter d’une estimation approximative. Elle devra être documentée, archivée, et susceptible d’être examinée par les autorités de contrôle, voire les juges, en cas de litige. En l’absence de cette évaluation, la banque pourra être sanctionnée, y compris par annulation des intérêts ou par des amendes prononcées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui a déjà renforcé ses contrôles.
Des critères d’octroi plus stricts pour les bas revenus
La réforme introduit une rupture majeure : la fin du découvert automatique. Pour obtenir cette facilité, il faudra désormais en faire la demande expresse. Surtout, la banque devra évaluer la solvabilité du client selon des critères précis. Cette étude devient obligatoire au-delà de 200 euros. En dessous de ce seuil, les obligations seront allégées, mais la tendance est claire : chaque euro accordé devra désormais être justifié.
Dans les faits, les banques s’appuient souvent sur la règle des 30 % : un client dont les charges mensuelles dépassent 30 % de ses revenus est considéré comme fragilisé. Appliquée au découvert, cette logique pourrait exclure de nombreux profils. Par exemple, une personne gagnant 3 000 euros nets avec 1 000 euros de charges est déjà au seuil. Un découvert de 400 euros ferait grimper son taux d’endettement à 46 %, bien au-delà du seuil d’acceptabilité. Même pour un revenu de 2 000 euros, un découvert de 500 euros pourrait rendre le dossier inéligible.
Le Haut Conseil de stabilité financière recommande un taux d’endettement maximum de 35 % pour les crédits immobiliers. Avec l’intégration du découvert dans ce calcul, de nombreux ménages pourraient être mécaniquement exclus du dispositif.
Un crédit réservé aux ménages solvables ?
Pour les foyers les plus aisés, la réforme ne devrait pas poser de difficultés majeures. Ils disposent des revenus et des justificatifs suffisants pour satisfaire aux nouvelles obligations. En revanche, pour les ménages modestes, souvent contraints de vivre sur leur découvert, l’accès à ce produit va devenir plus complexe, voire impossible.
La nouvelle réglementation transforme le découvert en un produit sélectif. Il ne sera plus attribué de manière systématique, mais conditionné à des critères de solvabilité stricts. Pour les personnes au budget plus confortable, il restera accessible, bien que davantage encadré. Mais pour celles qui utilisaient le découvert comme une solution mensuelle de trésorerie, les conséquences peuvent être significatives.
De nombreux ménages vivent en permanence en situation de découvert. Chaque fin de mois, les rentrées d’argent servent à combler le déficit accumulé, alourdi par les frais et les agios. Ce mode de fonctionnement, déjà coûteux, risque de devenir tout simplement impossible. Une part importante de la population pourrait se voir refuser l’accès à ce crédit de court terme, sans solution de rechange immédiate.
Une spirale de précarisation redoutée
La réforme vise à éviter le surendettement, mais elle pourrait générer un autre risque : l’exclusion bancaire. En supprimant les facilités de découvert à certains clients, les établissements risquent de couper brutalement un accès au crédit à court terme, sans alternative immédiate. Cette décision, justifiée juridiquement, peut entraîner des conséquences concrètes : rejet de prélèvements, frais supplémentaires, impossibilité de régler des dépenses urgentes.
Le problème est amplifié par la gestion antérieure de certains dossiers. Des personnes se sont vues accorder des découverts successifs sans réelle évaluation de leur situation. Cette spirale d’endettement finit parfois brutalement, lorsque la banque décide unilatéralement de couper la ligne. Désormais, la résiliation d’un découvert devra s’accompagner d’un plan de remboursement sur douze mois, une nouveauté introduite par la réforme. Mais cela n’efface pas la tension immédiate que cette perte de ressource génère pour les plus fragiles.
L’apparition de nouveaux profils de surendettés en 2024, notamment liés aux facilités de crédit moderne comme le paiement fractionné ou les mini-crédits, montre que le besoin de régulation est réel. Toutefois, en limitant drastiquement l’accès au découvert, la réforme pourrait déplacer le problème sans le résoudre.
Des banques sous pression face à un calendrier serré
La nouvelle réglementation s’applique uniquement aux autorisations de découvert accordées à partir du 20 novembre 2026. Celles en cours ne sont pas concernées. Une situation transitoire paradoxale : certains clients conserveront un découvert malgré une solvabilité insuffisante au regard des nouvelles règles. Cela pose la question de la gestion par les banques de ces anciens contrats.
Les établissements financiers devront décider s’ils maintiennent ces lignes ou s’ils les résilient de manière anticipée, dans l’esprit du nouveau cadre. Cela pourrait entraîner une vague de résiliations pour les profils jugés risqués. Dans les services juridiques des banques, l’ordonnance suscite de nombreuses interrogations. Sa mise en œuvre impliquera des adaptations lourdes : refonte des processus d’octroi, formation des conseillers, évolution des systèmes informatiques, renforcement du suivi commercial.
Le produit net bancaire des établissements pourrait également être affecté. Les frais de découvert et les agios représentent une source de revenu importante. Une baisse mécanique de l’usage du découvert entraînera une perte directe. Dans un contexte de surveillance accrue par l’ACPR et de régulation renforcée, les banques devront composer avec un environnement plus strict, plus exigeant et, potentiellement, moins rentable.


