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En quelques années, une PME installée dans la métropole rennaise s’est hissée au rang d’acteur stratégique mondial dans la surveillance maritime. Unseenlabs, c’est son nom, localise depuis l’espace des navires qui coupent volontairement leur balise pour passer sous les radars. Une technologie unique, développée en Bretagne, qui bouscule les règles du jeu dans les eaux disputées de la planète.
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La chute d’un mythe breton
Les bateaux invisibles ont du souci à se faire
En septembre 2025, plusieurs navires chinois sont repérés dans les zones tendues de l’Asie-Pacifique. Aucun signal, aucune trace sur les systèmes classiques de suivi maritime. Et pourtant, leur position est connue. Grâce aux satellites d’Unseenlabs, qui capte depuis l’espace les émissions radio passives des navires, même ceux qui coupent leur AIS (Automatic Identification System) ne peuvent plus vraiment se cacher. La méthode est bien rodée : pour éviter les contrôles, certains bâtiments désactivent leur balise. Ils deviennent invisibles pour les systèmes classiques, mais pas pour les antennes bretonnes en orbite.
Unseenlabs avait déjà prouvé sa capacité en mer d’Arabie en détectant un chalutier de plus de 1 100 tonneaux resté hors radar pendant 40 heures. La faille des systèmes classiques, l’entreprise bretonne la comble avec une précision redoutable.
Une start-up spatiale née à Rennes
L’histoire commence en 2015 avec trois frères — Clément, Jonathan et Benjamin Galic — convaincus qu’on pouvait faire du renseignement électromagnétique (SIGINT) depuis l’espace à moindre coût. Leur idée : utiliser des nanosatellites capables de capter les signaux radio émis par les navires, même sans coopération de leur part.
Dix ans plus tard, Unseenlabs, devenue une PME deeptech, aligne 17 satellites en orbite et emploie plus de 100 personnes à Cesson-Sévigné. Sa technologie est protégée par des brevets, son développement suit une trajectoire maîtrisée, et son chiffre d’affaires explose à l’international. Objectif affiché : 100 millions d’euros de revenus d’ici 2029.
Une rupture technologique : un seul satellite suffit
Là où ses concurrents comme HawkEye 360 mobilisent trois satellites pour trianguler un signal, Unseenlabs fait le travail avec un seul. C’est tout l’intérêt de sa technologie : réduire les coûts, augmenter la flexibilité, et rester opérationnel même en cas de défaillance partielle.
Chaque satellite pèse entre 10 et 15 kg, à peine plus qu’une boîte à chaussures. En orbite à 500-600 km d’altitude, il couvre jusqu’à 300 000 km² et peut revisiter une même zone toutes les 3 à 6 heures. Un modèle léger, agile, efficace. Et conçu pour durer.
Le premier satellite, BRO-1 (pour Breizh Reconnaissance Orbiter), est lancé en 2019. Depuis, les envois s’enchaînent grâce à des contrats avec Rocket Lab et SpaceX. La cadence s’accélère : 17 satellites en service aujourd’hui, et entre 20 et 25 attendus d’ici fin 2025.
Unseenlabs garde la main sur ses charges utiles, développées en interne. La plateforme, elle, est confiée au danois GomSpace. Une combinaison qui garantit à l’entreprise la souveraineté sur son cœur technologique : la détection électromagnétique.
Des clients civils et militaires
Les services d’Unseenlabs séduisent autant les États que les acteurs privés. La Marine nationale française utilise déjà cette technologie, avec un taux de détection estimé à 97 %. Des marines étrangères, des garde-côtes, des agences douanières suivent le mouvement.
Le marché civil n’est pas en reste. Surveillance des ZEE, protection des câbles sous-marins, sécurité des plateformes offshore, suivi des flottes commerciales : les applications se multiplient. Assureurs, ONG, opérateurs d’infrastructures critiques ou fonds d’investissement figurent parmi les clients réguliers.
En juin 2025, Unseenlabs devient le premier fournisseur de données RF spatiales intégré au programme Copernicus, le bras armé d’observation de l’Union européenne. Jusqu’ici, l’Europe s’appuyait sur des images optiques et radar. Elle ajoute désormais la radiofréquence à son arsenal.
Un contrat majeur signé avec l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Commission européenne. Pour Unseenlabs, c’est une reconnaissance politique autant que technologique. Et une preuve que la souveraineté numérique passe aussi par les ondes.
Une start-up rentable dans un secteur qui ne l’est pas
Depuis sa création, Unseenlabs a levé 112,5 millions d’euros. Dont 85 millions lors d’un tour de table record en février 2024. Mais pas pour survivre : pour croître. L’entreprise est rentable, fait rare dans le New Space. Clément Galic, PDG, insiste : les capitaux servent à renforcer la constellation, ouvrir de nouveaux marchés — notamment en Asie et aux États-Unis — et recruter.
Les profils recherchés : ingénieurs, spécialistes des données, développeurs. Les ambitions : étendre les capacités, accélérer l’industrialisation, et rester leader sur un marché en tension.
2026 marquera un tournant. Unseenlabs lancera sa nouvelle génération de satellites, baptisée « Generation NexT ». Changement d’échelle : les nouveaux engins pèseront 150 kg, avec des capteurs plus puissants, capables d’élargir le spectre surveillé.
Objectif : ne plus se limiter au maritime. Ces satellites scruteront aussi les signaux terrestres et spatiaux. Lutte contre les brouillages, interception de communications satellitaires, surveillance orbitale… Le champ d’action s’élargit. La PME bretonne passe du SIGINT maritime à une couverture multi-domaines.
Une dépendance spatiale qui interroge
Tout n’est pas rose. La PME dépend encore de lanceurs étrangers pour envoyer ses satellites : SpaceX ou Rocket Lab, faute d’alternative européenne fiable et compétitive. Clément Galic ne le cache pas : cette dépendance est un risque. Elle révèle aussi les retards accumulés en Europe dans le domaine spatial.
Pourtant, Unseenlabs s’impose comme un modèle. Soutenue par la DGA, l’AID, l’ESA et Bpifrance, elle incarne cette deeptech française rentable, souveraine et compétitive que les politiques appellent de leurs vœux.


