La chute de Zoé Sagan, le complotiste jugé pour harcèlement de Brigitte Macron

Dix personnes comparaissent à Paris pour cyberharcèlement sexiste contre Brigitte Macron. Au cœur de ce procès inédit : le rôle du complotiste Zoé Sagan.

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Le procès qui s’ouvre ce lundi à Paris ne ressemble à aucun autre. Pour la première fois en France, une dizaine de prévenus doivent répondre devant un tribunal de cyberharcèlement à caractère sexiste contre la Première dame, Brigitte Macron. Au centre : Aurélien Poirson-Atlan, un ancien publicitaire devenu complotiste très suivi sur X (ex-Twitter). Derrière le pseudonyme de Zoé Sagan, il a su faire grimper son audience en jouant avec les codes de la désinformation – jusqu’à propager l’une des rumeurs les plus absurdes de ces dernières années.

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Aurélien Poirson-Atlan, né en 1984 près de Lyon, coche d’abord les cases classiques d’un parcours dans la com’. Diplômé de l’ÉFAP, il démarre dans les médias (un passage par l’émission de Philippe Labro sur D8), puis dans la pub comme rédacteur. En 2013, il monte l’agence APAR avec sa complice Cécile Montigny. Ensemble, ils lancent apar.tv, un site à mi-chemin entre journal culturel et plateforme de contenus viraux. Une participation éphémère au lancement de Blackpills – projet financé par Xavier Niel – leur offre une petite visibilité. Mais la liquidation d’APAR en 2021 marque un point d’arrêt.

C’est à ce moment-là que son double numérique prend le dessus.

Zoé Sagan, une créature de fiction devenue machine virale

Le pseudonyme Zoé Sagan existait déjà dans ses textes. Mais à partir de 2018, il en fait une entité autonome, une sorte de personnage littéraire présenté comme « la première intelligence artificielle féminine du XXIe siècle ». La formule frappe. Le ton est corrosif, les cibles sont bien choisies : politiques, journalistes, figures du pouvoir économique. Le tout servi par une stratégie de brouillage permanent entre réel et inventé. Poirson-Atlan théorise même un nouveau genre : l’ »infofiction », mélange volontaire d’infos plausibles et de narration fictive.

Ce jeu trouble finit par payer. En 2023, le compte X (ex-Twitter) de Zoé Sagan explose. 8 000 impressions en janvier, 120 millions en octobre. L’audience s’emballe, les publications s’enchaînent, les relais aussi. À plus de 200 000 abonnés, le compte devient un acteur de poids dans certains cercles numériques où se croisent critiques du système, adeptes du complot et amateurs de frissons éditoriaux.

Des livres, du style et des lignes rouges

Poirson-Atlan ne se contente pas des réseaux. Il publie plusieurs livres (Kétamine, Braquage, Suspecte), toujours sous l’étiquette « Infofiction ». Format hybride, style brut, fragments de posts et de dialogues supposés réels. Le dispositif séduit certains lecteurs en quête d’objets littéraires non identifiés. D’autres y voient une forme d’irresponsabilité, surtout quand la frontière entre satire et manipulation devient trop mince.
En 2025, il publie Compte suspendu. Journal 2023-2025, compilation de publications du compte Zoé Sagan, après sa suspension sur X. Un geste présenté comme une réponse à la censure. Mais dans les faits, la figure de Sagan est déjà solidement arrimée aux milieux complotistes, en France comme à l’étranger.

La rumeur Brigitte Macron, catalyseur du procès

C’est là que le basculement s’opère. La rumeur selon laquelle Brigitte Macron serait née homme, sous l’identité de Jean-Michel Trogneux, circule depuis 2017. Mais elle est relancée en 2021 par une « enquête » bricolée par Natacha Rey, et amplifiée par une médium, Delphine Jégousse. À partir de 2023, le compte Zoé Sagan la reprend, la recycle, la commente, la diffuse. L’audience fait le reste. Des figures comme Xavier Poussard ou l’Américaine Candace Owens l’amplifient. La rumeur devient transnationale.
Ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui déclenchent la justice – le grotesque a ses limites. C’est leur répétition, leur ciblage, leur persistance, qui, selon le parquet, relèvent d’une stratégie de harcèlement. Et surtout : d’une attaque sexiste.

Une première judiciaire sous haute tension

Le procès, prévu sur deux jours, est sans précédent. Il rassemble dix prévenus, aux profils hétéroclites : enseignant, élu, informaticien, médium. L’enquête, menée par la BRDP, fait suite à une plainte déposée par Brigitte Macron en août 2024. Plusieurs interpellations ont eu lieu dans les mois suivants. Une première audience s’était tenue en juillet.
Les faits reprochés ne relèvent pas d’un simple partage de contenu douteux. Il s’agit ici de cyberharcèlement sexiste : une campagne ciblée qui attaque l’identité de Brigitte Macron en lien avec son genre, sa sexualité, et son couple – parfois en franchissant le pas de l’accusation de pédophilie. En septembre 2024, le piratage de son compte fiscal sur le site des impôts – où son prénom avait été modifié en « Jean-Michel dit Brigitte Macron » – marque un tournant. L’affaire devient politique.

La réponse judiciaire des Macron

Jusqu’en 2024, le couple présidentiel s’était contenté de démentis et d’un silence stratégique. Le dépôt de plainte par Brigitte Macron change la donne. En parallèle, une procédure en diffamation est lancée aux États-Unis contre Candace Owens. Tom Clare, avocat américain de renom, annonce vouloir produire des « preuves scientifiques » établissant sans ambiguïté l’identité féminine de la Première dame.
Ce changement de ton vise à établir une ligne rouge : la viralité d’une rumeur ne saurait en effacer la toxicité, ni diluer la responsabilité de ceux qui la propagent.

Vers une jurisprudence sur le harcèlement numérique

Les peines encourues sont lourdes : jusqu’à deux ans de prison et 45 000 euros d’amende. Mais l’enjeu dépasse les condamnations individuelles. Il s’agit ici de poser un jalon. D’instaurer un précédent sur le cyberharcèlement ciblant les femmes publiques. Et de traiter enfin la question du harcèlement numérique non pas comme un simple bruit de fond, mais comme une mécanique de violence organisée.



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