Combien gagne un imam ?

Mal payés, souvent bénévoles, les imams en France exercent dans une grande précarité. Une enquête sur les salaires et le statut de ce rôle essentiel.

Afficher le résumé Masquer le résumé

En France, le métier d’imam reste profondément marqué par l’invisibilité institutionnelle et la précarité économique. À rebours de la perception d’une fonction structurée, professionnalisée et reconnue, comme peuvent l’être celles de prêtre, rabbin ou pasteur, la réalité des salaires des imams révèle un paysage éclaté, largement bénévole, où la rémunération reste l’exception plus que la norme.

A LIRE AUSSI
Combien gagne un rabbin ?

Une majorité d’imams non rémunérés en France

Parmi les quelque 1 800 imams recensés sur le territoire, seul un tiers – entre 600 et 800 – perçoit une rémunération régulière. Les deux autres tiers exercent à titre bénévole, parfois depuis plusieurs années. Cette situation s’explique avant tout par les ressources limitées des structures qui les emploient : les mosquées, souvent de petites dimensions, fonctionnent en grande partie sur la base des dons et cotisations des fidèles, sans financement public, conformément à la loi de 1905.

La France compte environ 2 600 lieux de culte musulmans, mais seulement 900 à 1 000 d’entre eux peuvent être considérés comme de véritables mosquées. Les autres sont de simples salles de prière. Dans nombre de ces lieux, les ressources ne permettent pas de salarier un imam, même à temps partiel. Dans les quartiers populaires et les zones rurales, l’imamat repose alors sur l’engagement bénévole de fidèles reconnus pour leur connaissance religieuse.

Des salaires bas, souvent proches du SMIC

Lorsqu’un imam est rémunéré, sa rémunération reste souvent inférieure à celle d’un ouvrier qualifié ou d’un enseignant débutant, malgré un niveau d’études élevé. Selon les données les plus récentes, le salaire moyen net d’un imam s’élève à 2 001 euros par mois. La médiane, plus représentative, est de 1 690 euros net.

Les salaires d’entrée se situent autour de 1 653 euros net. Pour un imam en début de carrière, à temps partiel ou sans ancienneté, les revenus peuvent descendre à 1 459 euros net. L’évolution salariale est modeste : après dix ans d’ancienneté, un imam peut espérer gagner environ 1 763 euros net par mois.

Une offre d’emploi publiée en août 2025 pour un poste à Villeneuve-Saint-Georges illustre cette réalité : pour un CDI à temps plein, avec un niveau bac +5, cinq ans d’expérience et la maîtrise du français et de l’arabe, le salaire proposé était de 2 000 euros brut, soit environ 1 500 euros net. Un montant proche du SMIC (1 426 euros net), qui reflète la situation de nombreux postes similaires à travers le pays.

Des écarts de rémunération selon les régions

Les salaires des imams varient fortement en fonction du lieu d’exercice. En Île-de-France, les rémunérations sont les plus élevées, avec une moyenne de 2 311 euros net à Paris. Dans la zone de Versailles-Saint-Quentin, la moyenne atteint même 2 338 euros. Saclay (2 180 euros), le Chablais (2 194 euros), Grenoble, Toulouse (2 176 euros) ou Lille (2 119 euros) affichent également des niveaux supérieurs à la médiane nationale.

À l’inverse, dans des villes comme Marseille, Bordeaux ou Strasbourg, les rémunérations sont souvent inférieures à 2 050 euros. En zone rurale, les salaires chutent encore davantage. Cette géographie des salaires reflète à la fois le coût de la vie local et la capacité financière des communautés musulmanes, plus importantes et mieux dotées dans les grandes agglomérations.

La fin des imams détachés a bouleversé l’équilibre

Jusqu’à début 2024, une partie des imams exerçait sous le statut d’« imams détachés », envoyés et rémunérés par les gouvernements de leur pays d’origine (Algérie, Turquie, Maroc). Environ 300 fonctionnaires religieux étrangers bénéficiaient de ce statut, avec des salaires allant de 1 250 euros (pour les Marocains) à 2 700 euros (pour les Turcs et Algériens).

Depuis le 1er janvier 2024, ce dispositif a été supprimé par les autorités françaises afin de réduire les influences étrangères sur l’islam de France. Les imams concernés ont été contraints de devenir salariés des associations cultuelles locales ou de quitter le territoire. La baisse de revenus pour ceux qui sont restés est parfois brutale : un imam algérien percevant 2 650 euros par mois ne touche plus que 1 500 euros, sans garanties de stabilité. Selon le ministère de l’Intérieur, une cinquantaine de cas restait encore non régularisée à la fin de l’année 2024.

Des revenus complémentaires nécessaires pour survivre

En raison de la faiblesse de leur rémunération officielle, nombre d’imams dépendent d’activités annexes pour assurer leur subsistance. Mariages, funérailles, enseignement du Coran ou encore conseils spirituels leur permettent d’obtenir des revenus complémentaires, souvent informels et aléatoires.

Un imam exerçant à la Grande Mosquée de Paris déclarait en 2025 ne percevoir que 750 euros par mois de salaire fixe, mais atteindre jusqu’à 3 000 euros mensuels grâce aux cérémonies religieuses. Ces “casuels”, dons versés à l’occasion d’une célébration, ne sont pas encadrés fiscalement et échappent en partie à toute régulation. Cette économie parallèle constitue un filet de sécurité, mais accentue l’instabilité de la profession.

Nombre d’imams, notamment parmi les plus jeunes, exercent une autre activité professionnelle. Ingénieurs, enseignants, ouvriers ou chauffeurs de taxi, ils consacrent leurs week-ends et soirées à l’imamat, souvent sur une base bénévole ou pour un dédommagement symbolique.

Un imam d’Aix-les-Bains travaille en semaine dans le BTP et ne prêche que le vendredi. Un autre, ancien salarié de Renault, cumulait prêches et travail à l’usine. Ces situations révèlent la difficulté à vivre exclusivement de l’imamat, en dehors de quelques postes stables dans de grandes mosquées.

Une protection sociale lacunaire et peu accessible

Théoriquement, les imams peuvent être affiliés à la CAVIMAC, le régime spécial des ministres du culte. En pratique, l’adhésion reste marginale. En 2019, seuls 118 imams sur 1 800 y étaient affiliés. Ce chiffre reste marginalement plus élevé aujourd’hui. En cause : le coût des cotisations (environ 300 euros mensuels par imam) et la complexité administrative.

La CAVIMAC offre une couverture sociale (maladie, invalidité, retraite) mais les pensions de retraite versées sont parmi les plus faibles du système français : entre 387 et 697 euros brut par mois. De plus, l’assurance-chômage ne s’applique pas aux ministres du culte relevant de ce régime. Un imam licencié ne bénéficie donc d’aucun revenu de remplacement.

En comparaison, les autres ministres du culte en France sont dans des situations plus stables. Les prêtres catholiques reçoivent une indemnité comprise entre 950 et 1 200 euros net, mais bénéficient presque toujours d’un logement de fonction et de frais remboursés. Les pasteurs protestants gagnent autour de 1 435 euros brut, avec progression salariale et logement inclus. Les rabbins salariés par le Consistoire perçoivent en moyenne 3 000 euros net par mois.

En Alsace-Moselle, les ministres du culte des religions reconnues par le Concordat sont rémunérés directement par l’État français, avec un salaire compris entre 1 621 et 2 624 euros net. Les imams, bien que présents sur ce territoire, ne bénéficient pas de ce statut particulier.

Le financement des mosquées, pilier fragile du système

Le cœur du problème réside dans le financement même des lieux de culte musulmans. Contrairement aux églises ou temples historiques qui disposent de ressources foncières ou patrimoniales, les mosquées françaises dépendent à près de 90 % des dons des fidèles. Le Ramadan constitue le moment crucial de collecte, mais ces ressources ne suffisent souvent pas à couvrir des salaires pérennes.

Le financement étranger est minoritaire, malgré sa médiatisation : selon les estimations parlementaires, il représente environ 10 % des projets de mosquées. Les aides des collectivités territoriales sont très encadrées et ne peuvent concerner que des parties non cultuelles (salles d’étude, bibliothèques, etc.).

Une formation exigeante, sans garantie de débouchés

Devenir imam requiert souvent plusieurs années d’étude : apprentissage de l’arabe classique, formation théologique, spécialisation en droit musulman. Les cursus peuvent s’étendre sur six à neuf ans. Pourtant, au terme de ce parcours, les débouchés sont incertains, et la rémunération ne reflète pas l’investissement consenti.

Des centres de formation existent en France (Institut Al-Ghazali à Paris, IESH à Saint-Denis, centre de Strasbourg), mais ils peinent à offrir un cadre universitaire ou une reconnaissance officielle. De nombreux candidats choisissent de se former à l’étranger, en Égypte ou en Arabie Saoudite, où l’accueil est plus structuré et les frais moindres.

Un métier sans statut clair dans le droit français

Contrairement aux autres cultes, le métier d’imam n’est pas reconnu dans les référentiels de métiers publics. Certains imams sont embauchés comme “animateurs sociaux” ou “agents d’accompagnement”, ce qui leur permet d’être rémunérés mais ne reflète pas leur fonction réelle. Cette ambiguïté crée des incertitudes juridiques et des situations précaires.

La Cour de cassation a confirmé qu’un imam pouvait être salarié d’une association, tout en rappelant que la relation entre un ministre du culte et son autorité religieuse échappait au droit du travail classique. Les protections habituelles des salariés ne s’appliquent donc pas intégralement.

Vers une professionnalisation encore incertaine

Face à cette précarité généralisée, plusieurs voix appellent à la création d’un statut spécifique pour les imams. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a évoqué la possibilité d’un “statut public reconnu”, sans en préciser les contours. Des formations continues se développent, notamment à la Grande Mosquée de Paris ou à Strasbourg, mais restent marginales face aux besoins du terrain.

Le financement reste le principal obstacle : tant que les mosquées n’auront pas les moyens d’assurer des rémunérations dignes, l’imamat restera un engagement personnel plus qu’une profession reconnue. Un paradoxe pour un rôle central dans la vie religieuse de plusieurs millions de citoyens français.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire