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Le gouvernement s’est engagé à suspendre la réforme des retraites. Mais derrière la fameuse lettre rectificative présentée se cache une décision très politique : certains bénéficiaires de départs anticipés, comme ceux des carrières longues ou des régimes spéciaux, sont exclus de la suspension. Résultat : 300 millions d’euros économisés. Officiellement, rien n’est dit. Officieusement, tout est tranché.
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Une suspension… pas pour tout le monde
Jeudi matin, le Conseil des ministres a validé une version rectifiée du texte sur la réforme des retraites. Objectif affiché : mettre en pause une partie du calendrier de la réforme, comme annoncé par le Premier ministre Sébastien Lecornu dans sa déclaration de politique générale. Mais dans les faits, la suspension est partielle — et sélective.
Les carrières longues sont les grandes absentes. Ces assurés, qui ont commencé à travailler avant 20 ans, peuvent partir un à trois ans avant l’âge légal. En 2024, ils représentaient plus de 18 % des départs. Leur exclusion n’apparaît nulle part dans les documents transmis au Parlement. Mais l’arbitrage a bien eu lieu. Conséquence immédiate : la facture de la suspension passe de 1,8 milliard à 1,4 milliard d’euros. L’écart vient pour l’essentiel de ces départs anticipés maintenus hors du périmètre.
Même logique pour certains régimes spéciaux, notamment ceux dits « super-actifs ». Pas de trace écrite non plus, mais les choix budgétaires sont clairs. La manœuvre, validée en urgence dans des réunions techniques organisées la veille du Conseil, vise à contenir le coût de la suspension sans s’exposer à des critiques frontales.
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Matignon serre la vis
Pour le gouvernement, il s’agit d’une ligne de crête : donner des gages d’apaisement politique sans dérapage budgétaire. En interne, le raisonnement est simple. Les carrières longues profitent déjà d’un régime favorable. Les inclure dans la suspension reviendrait à leur offrir une double dérogation. Statistiquement, ce profil n’est plus marginal. Il ne peut plus, selon l’exécutif, être traité comme une exception.
Même logique d’efficacité budgétaire appliquée aux régimes spéciaux. Au total, 300 millions d’euros d’économies seraient dégagés. Aucun chiffre officiel, mais le montant circule largement dans les ministères.
Problème : ce calcul technocratique ne passe pas inaperçu. À gauche, les critiques montent. Le Parti socialiste exige que les carrières longues soient clairement incluses dans la suspension. Pour les oppositions, l’angle d’attaque est tout trouvé : le gouvernement ménage les plus aisés, tout en rognant les droits de ceux qui ont commencé à travailler tôt.
D’autant que le reste de la stratégie budgétaire suit la même pente. Pour tenir l’équilibre dès 2026, l’exécutif mise sur une hausse temporaire de la taxe sur les complémentaires santé : de 2,05 % à 2,25 %, pour un gain espéré de 100 millions. Autre levier : une sous-indexation des pensions. En 2027, elles seront revalorisées 0,9 point en dessous de l’inflation. De facto, un gel partiel, qui pèsera sur tous les retraités.
Une ligne claire, un risque assumé
Matignon assume : pas de nouvelles recettes, pas de hausses d’impôts ciblant les plus aisés. Le gouvernement préfère jouer sur les curseurs internes au système. En écartant les carrières longues de la suspension, il choisit une cible budgétaire « défendable », et politiquement moins exposée. Mais la manœuvre est risquée. Ces profils bénéficient d’un capital symbolique important, notamment chez ceux qui ont commencé tôt, travaillé dur, et que les précédentes réformes avaient tenté de récompenser.
Un texte qui reste inflammable
Le gouvernement espère maintenant verrouiller le débat au Parlement. Mais les oppositions veulent rouvrir tous les dossiers : inclusion des carrières longues, fiscalité des revenus financiers, revalorisation des pensions. Autrement dit, relancer une bataille politique autour d’un texte dont le socle reste intact.
Car malgré la suspension partielle, la réforme des retraites est toujours là. En rognant sur certains acquis, en durcissant les ajustements budgétaires, l’exécutif prend le risque d’ajouter au mécontentement. La rigueur sans lisibilité peut vite devenir un problème politique.


