Afficher le résumé Masquer le résumé
C’est un chiffre qui fait date : 58 millions de dollars. La startup Filigran signe ainsi la plus grosse levée de fonds jamais réalisée dans la cybersécurité française. Derrière l’opération, un quatuor d’investisseurs mené par Eurazeo, avec T.Capital (Deutsche Telekom), et deux poids lourds américains, Insight Partners et Accel, déjà au capital. Un signal fort dans un climat globalement atone pour la French Tech.
A LIRE AUSSI
Cybersécurité : pourquoi la France court à la catastrophe
Une dynamique rare dans le paysage tricolore
Filigran a été fondée il y a moins de trois ans. En un temps record, la jeune pousse parisienne a aligné les tours de table : 5 millions d’euros au printemps 2023, 15 millions début 2024, puis 35 millions à l’automne. Douze mois après ce dernier tour, elle boucle donc une série C à hauteur de 55 millions d’euros. En cumulé, la startup dépasse désormais les 100 millions de dollars levés. Une montée en puissance rapide, à rebours du ralentissement qui frappe l’essentiel de l’écosystème tech français.
Les investisseurs ne s’y sont pas trompés. Selon Samuel Hassine, cofondateur et président de Filigran, la levée a été « préemptée », autrement dit bouclée avant même d’être officiellement ouverte. L’appétit du marché pour cette startup tranche avec la frilosité actuelle des fonds face aux dossiers européens.
A LIRE AUSSI
Le cybercrime à la portée de monsieur‑tout‑le‑monde, grâce à l’IA
Un pedigree peu commun à la tête de l’entreprise
À l’origine de Filigran, un profil atypique dans le paysage startup. Samuel Hassine n’est pas un serial entrepreneur venu du web, mais un ancien haut cadre de l’ANSSI, où il a piloté les opérations cyber et l’analyse des menaces. C’est là, en 2018, qu’il lance le développement d’OpenCTI, une plateforme de renseignement sur les menaces numériques.
Il passera ensuite par la licorne américaine Tanium, avant de cofonder Filigran en 2022 avec Julien Richard. Les deux hommes s’appuient sur un socle technologique open source, avec une ambition claire : structurer une suite de cybersécurité modulaire, robuste et communautaire, capable de rivaliser avec les géants du secteur.
Une offre produit qui monte en gamme
Le cœur de l’offre s’appelle XTM, pour eXtended Threat Management. Trois modules articulent la plateforme :
- OpenCTI, pour agréger et structurer les flux de renseignement ;
- OpenAEV, un outil de simulation d’attaques en cours de déploiement ;
- OpenGRC, attendu pour 2026, pour prioriser les vulnérabilités selon leur impact réel.
Chaque brique vise à renforcer la détection, la réponse et la gestion des risques, en misant sur la standardisation des données et l’automatisation des flux. L’approche est technique, mais s’aligne sur une tendance de fond : la gestion du risque prend le pas sur la seule protection périmétrique.
A LIRE AUSSI
Mots de passe : la menace cyber majeure en 2025
L’IA pour connecter les points
Depuis septembre 2025, l’intelligence artificielle est devenue un élément clé de la stratégie. Filigran a lancé sa propre infrastructure, Agentic AI, avec un objectif clair : accélérer les processus d’analyse, de réponse et de remédiation. Des agents spécialisés assistent les analystes, sans chercher à les remplacer.
À terme, l’ensemble des modules seront intégrés dans une plateforme unique, XTM One, capable d’orchestrer automatiquement les tâches selon leur criticité. Une façon de combiner précision analytique et gain opérationnel dans un secteur où chaque minute compte.
Un modèle freemium bien rôdé
Filigran s’appuie sur une stratégie commerciale éprouvée : une version gratuite sous licence Apache 2.0, et une version payante avec support avancé. Ce modèle open source permet de séduire un large public, tout en capitalisant sur les besoins plus exigeants des grandes organisations.
Résultat : plus de 6 000 utilisateurs actifs, 110 clients payants, dont Airbus, Thales, Hermès, Bouygues Telecom, Marriott, la NSA ou encore le Cyber Command de l’État de New York. La startup revendique plus de 10 millions de dollars de revenus récurrents annuels (ARR) et vise les 100 millions d’ici 2028.
Une ambition assumée à l’international
Basée à Paris, la société compte 160 collaborateurs dans le monde, dont une trentaine aux États-Unis. Ce marché pèse déjà un tiers de son chiffre d’affaires, et l’entreprise prévoit d’y tripler ses effectifs d’ici fin 2026.
En parallèle, des filiales sont en cours d’ouverture au Japon et en Arabie saoudite, avec des équipes également présentes à Singapour, en Nouvelle-Zélande, et bientôt renforcées en Allemagne. Une stratégie d’expansion offensive, pensée pour asseoir la marque dans les zones les plus dynamiques de la cybersécurité mondiale.
Dans une période où les levées spectaculaires sont rares dans la cybersécurité française, celle de Filigran fait figure de référence. Elle surpasse largement celles de Sekoia.io (26 M€), Riot (29,2 M€), Orasio (16 M€) ou Memority (13 M€).
Filigran incarne aussi l’un des paris du gouvernement : faire émerger trois licornes françaises dans la cybersécurité d’ici fin 2025, avec à la clé un milliard d’euros mobilisés. Sélectionnée dans le programme French Tech Next40/120, l’entreprise bénéficie d’un accompagnement public renforcé sur les sujets sensibles : financement, brevets, expansion à l’international.
Un enjeu stratégique pour l’Europe
Face à la domination des géants américains – Palo Alto, CrowdStrike, Fortinet –, Filigran défend une voie européenne. Transparence, open source, coopération entre agences publiques et entreprises : la startup avance ses pions avec méthode, sans renier l’ambition.
Avec une communauté de 5 600 contributeurs et des clients sur trois continents, elle participe à une recomposition du paysage cyber, dans un contexte où la souveraineté numérique prend une dimension géopolitique de plus en plus marquée.


