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C’est un paradoxe à la mode tech : une entreprise accusée d’espionnage industriel devient, dans le même temps, la plus valorisée de son secteur. Deel, société cofondée par le Français Alex Bouaziz, a annoncé le 16 octobre une levée de fonds de 300 millions de dollars, menée par le fonds américain Ribbit Capital avec le soutien d’Andreessen Horowitz, Coatue, General Catalyst et Green Bay Ventures. Résultat : une valorisation portée à 17,3 milliards de dollars. Un bond de 44 % en trois ans.
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La licorne californienne détrône ainsi son principal rival, Rippling, valorisé à 16,8 milliards de dollars après une levée de 450 millions en mai dernier. Ce nouveau record ne calme en rien une guerre judiciaire qui s’intensifie entre les deux géants de la gestion RH.
Accusations d’espionnage industriel
L’affaire remonte à mars 2025. Keith O’Brien, ancien salarié irlandais de Rippling, accuse Deel d’avoir organisé un vaste système d’espionnage. Selon sa déclaration sous serment, déposée devant la High Court de Dublin, il aurait été recruté directement par Alex Bouaziz pour infiltrer son employeur. Paiement mensuel de 5 000 euros, d’abord via Revolut, ensuite en Ethereum, le tout coordonné via Telegram.
Rippling a déposé une plainte amendée de 84 pages, accusant Deel d’avoir infiltré au moins cinq concurrents. Deel nie en bloc et réplique avec une plainte pour diffamation. L’affaire est en cours d’instruction. Mais elle n’a pas freiné l’ascension fulgurante de l’entreprise.
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Chiffres en forte croissance
Deel dépasse désormais le milliard de dollars de chiffre d’affaires annualisé. La société affiche une rentabilité continue depuis trois ans, avec entre 15 et 17 millions de dollars d’EBITDA générés chaque mois. En septembre, elle a franchi pour la première fois la barre des 100 millions de dollars de revenus mensuels.
La croissance touche tous les segments : +1 500 % sur les produits américains (PEO et paie US), +600 % sur les outils RH, +450 % sur la paie internationale, +220 % sur l’immigration, +410 % pour l’IT. Le nombre d’entreprises utilisant au moins trois produits a bondi de 480 %, celui des utilisateurs de quatre produits ou plus de 1 200 %.
Une clientèle mondiale
Avec plus de 37 000 entreprises clientes dans 150 pays, Deel traite chaque année 22 milliards de dollars de salaires pour 1,5 million de travailleurs. LEGO, Puma, Klarna, Palantir, Capgemini, Virgin Media, Nubank, Novo Nordisk, Fidelity, Pepsi : les grands noms s’accumulent. En France, Air France-KLM, Alan et Spendesk font partie du portefeuille. Les fondateurs conservent entre 25 et 30 % du capital.
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Une politique d’acquisition offensive
Pour renforcer ses positions, Deel prévoit d’investir entre 200 et 500 millions de dollars en acquisitions d’ici 2028. En 2024, elle a racheté cinq sociétés majeures, dont PaySpace en Afrique du Sud (plus de 100 millions de dollars), et Hofy au Royaume-Uni. Suivent Zavvy (talents), Atlantic Money (transferts) et Assemble (rémunération). En 2025, c’est Omnipresent, concurrent britannique, qui passe sous pavillon Deel pour environ 15 millions de dollars.
PaySpace est présentée par Bouaziz comme “la meilleure opération” de l’entreprise. Elle a permis le déploiement d’infrastructures locales en Afrique, en Asie et en Océanie en moins de douze mois. Deel développe désormais entre 10 et 15 moteurs de paie internes chaque année.
L’IA comme nouveau relais de croissance
En août 2025, Deel a lancé “Deel AI Workforce”, une batterie d’agents intelligents actifs dans plus de 150 pays. Sept fonctions RH sont couvertes : recrutement, congés, fiscalité, planification, logistique IT, départs, paie. Ces outils sont intégrés à Slack, Zapier et autres plateformes, et s’appuient sur les données de 2 000 experts locaux. Objectif affiché : en faire des “collègues numériques” à recruter ou désactiver à la demande.
D’ici 2029, Deel veut proposer une paie opérée localement, sans intermédiaire, dans plus de 100 pays. Aujourd’hui, elle dispose déjà de 250 entités juridiques et de licences financières aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et dans l’Union européenne. Ses moteurs de paie natifs sont actifs dans 55 pays.
Les États-Unis pèsent la moitié du chiffre d’affaires, l’Europe environ 30 %. Un nouveau bureau a été ouvert à Paris, preuve que la France joue un rôle croissant, même si son poids exact n’est pas communiqué.
Un secteur en croissance, mais en tension
Le marché mondial des technologies RH pourrait doubler en moins de dix ans : de 40,5 milliards de dollars en 2024 à près de 82 milliards en 2033, soit une croissance annuelle de 12,5 %. Mais les investissements restent modestes : 1,9 milliard levé en 2025, après 2 milliards en 2024. On est très loin des 10,5 milliards de 2021.
Dans ce paysage, la trajectoire de Deel impressionne. En 2020, elle valait 225 millions de dollars. Un an plus tard, elle dépasse le milliard, puis 5,5 milliards à la faveur d’une levée de 425 millions. En 2022, elle atteint 12 milliards. Trois ans plus tard, elle en vaut 17,3.
Une introduction en bourse en ligne de mire
Reste une question : l’IPO. L’entreprise n’exclut pas une entrée en Bourse dès 2026, si les conditions de marché le permettent. La procédure judiciaire en cours pourrait en retarder l’échéance, mais les investisseurs, eux, ne semblent pas inquiets. Pour l’instant.


