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Pensée pour fluidifier la chaîne comptable, la réforme recompose les équilibres du marché. Les acteurs historiques, forts de leur assise financière, absorbent la contrainte réglementaire. Les nouveaux venus, eux, la subissent de plein fouet. Derrière la promesse de simplification, une mécanique plus brutale se met en place : celle d’une sélection par la conformité.
Une réforme nécessaire, mais déjà bousculée
Conçue pour automatiser les échanges B2B, renforcer la lutte contre la fraude à la TVA et moderniser la gestion comptable, la réforme de la facturation électronique incarne l’un des grands chantiers administratifs de la décennie.
« Une opportunité de simplifier la gestion administrative et de gagner en efficacité dans les échanges de factures », rappelle Sébastien Rabineau, directeur du projet facturation électronique à la DGFiP.
Mais sur le terrain, la mise en œuvre s’avère plus longue que prévue. Initialement fixée à 2024, l’échéance d’émission électronique obligatoire a glissé à 2026 pour les grandes entreprises et ETI, avec une généralisation complète attendue en 2027 (pour les PME/TPE). En parallèle, le lexique et la structure du dispositif ont changé : les PDP (Plateformes de Dématérialisation Partenaire) sont devenues PA (Plateformes Agréées), les OD (Opérateurs de Dématérialisation) ont été rebaptisés SC (Solutions Compatibles).
Une sémantique en apparence anodine, mais révélatrice d’un cadre encore en construction. Si le dispositif évolue, il avance : la DGFiP pilote vingt-quatre projets informatiques répartis sur neuf plateformes applicatives et a immatriculé, « sous réserve », une centaine de Plateformes Agréées. Dans ce contexte mouvant, pour les entreprises, choisir sa plateforme, c’est aussi choisir sa capacité à suivre le rythme de la réforme. Parmi la centaine d’acteurs agréés, tous n’avancent pas au même rythme : la conformité devient déjà un critère de sélection.
Le prix de la conformité
Devenir Plateforme Agréée (ex-PDP), ce n’est pas seulement cocher une case technique : c’est un enjeu économique. Les éditeurs doivent investir dès maintenant pour se conformer à la législation, tout en restant attractifs pour leurs clients. Sécurité des données, certification, accompagnement réglementaire… autant d’exigences qui alourdissent les budgets et repoussent la rentabilité. Florence Faguer (Tessi) le confirmait dans une interview : « se lancer dans une course à l’immatriculation est un exercice laborieux, chronophage et qui n’est pas neutre en termes d’investissement ».
Les grands éditeurs déjà structurés ont absorbé ce coût réglementaire dans leur modèle. Mais pour les jeunes pousses, la marche est plus haute. Pennylane, Tiime ou Qonto et d’autres ont dû investir massivement pour franchir ce cap.
“Grâce à notre plateforme, les entreprises peuvent dès aujourd’hui envoyer et recevoir des factures électroniques au format Factur-X”, expliquait alors Arthur Waller, cofondateur de Pennylane, à FrenchWeb.
Mais derrière ce volontarisme, un constat s’impose : la mise en conformité réglementaire consomme un capital considérable, souvent supérieur à ce qu’un modèle d’abonnement à quelques dizaines d’euros par mois peut absorber, comme peuvent le faire Tiime ou Qonto.
Symbole de cette génération d’éditeurs agiles, Pennylane s’est imposé comme le visage d’une fintech française prête à bousculer les codes. Mais la marche vers le statut de Plateforme Agréée (ex-PDP) s’annonce coûteuse. La société, qui n’a toujours pas atteint la rentabilité, s’est « précipitée pour lever des fonds », pour anticiper la réforme, moderniser son infrastructure et rivaliser avec les historiques, quitte pour le fondateur à ne plus être majoritaire au capital. Une accélération bienvenue sur le papier, mais qui interroge sur la viabilité au long terme et sur la capacité à enjamber l’obstacle. Des retours du terrain décrivent un support client jugé inégal et une réactivité perfectible.
En filigrane, le même paradoxe que pour beaucoup d’acteurs : aller vite pour rester dans la course, tout en garantissant la fiabilité d’un système censé rassurer l’État comme les entreprises.
Dans le cas de Tiime, plusieurs voix de la profession ont récemment dénoncé sur les réseaux des campagnes de démarchage jugées insistantes auprès de leurs clients. Une manière d’élargir à tout prix la base d’utilisateurs pour consolider un modèle encore fragile. Symbole d’un secteur sous tension, où la course à la conformité s’accompagne désormais d’une course à la taille critique.
La conformité devient donc un révélateur : elle distingue ceux capables de l’industrialiser en interne de ceux qui devront repenser leur modèle pour la financer, dans un marché où les nouveaux entrants ont longtemps misé sur des prix très bas pour séduire les entreprises.
À l’inverse, il ne faudrait pas que cette réglementation devienne un levier justifier des hausses tarifaires démesurées. Dans un secteur voisin l’affaire Silae a fait date : l’éditeur de paie a provoqué une fronde en triplant ses prix fin 2024 (avant de rétropédaler) lors du lancement de sa plateforme « My Silae ». Présenté comme un produit enrichi mais imposé, ce virage a été jugé disproportionné par une profession peu demandeuse de ces fonctionnalités.
Conclusion : la conformité, nouveau champ de bataille
La réforme de la e-facturation n’est pas qu’un projet administratif. C’est un test de résistance économique pour un secteur en pleine mutation. Derrière les discours sur la modernisation, une réalité s’impose : la conformité a un coût, que tous ne pourront pas absorber de la même manière.
À mesure que 2026 approche, la question n’est plus de savoir quelle plateforme agrée sera prête pour la généralisation de la facturation électronique, mais quel éditeur tiendra dans la durée. Les gagnants de cette réforme ne seront pas seulement les plus conformes, mais les plus solides. C’est toute l’industrie qui cherche son équilibre.